La Commode aux tiroirs de couleur d'Olivia Ruiz - Chronique n°525

Titre : La Commode aux tiroirs de couleur
Autrice : Olivia Ruiz
Genre : Contemporain
Editions : JC Lattès
Lu en : français
Date de parution : 2020
Nombre de pages : 193
Résumé : À la mort de sa grand-mère, une jeune femme hérite de l’intrigante commode qui a nourri tous ses fantasmes de petite fille. Le temps d’une nuit, elle va ouvrir ses dix tiroirs et dérouler le fil de la vie de Rita, son Abuela, dévoilant les secrets qui ont scellé le destin de quatre générations de femmes indomptables, entre Espagne et France, de la dictature franquiste à nos jours.


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C'est l'un des romans les plus lus et commentés de cet été : la première incursion de la chanteuse Olivia Ruiz dans le monde de la fiction. Elle s'inspire ici de sa propre histoire familiale pour retracer le parcours de toute une lignée de femmes espagnoles exilées dans le Sud de la France après la guerre civile de 1936, alors que le personnage principal se replonge dans le contenu des tiroirs de la précieuse commode que sa grand-mère, tout juste disparue, a protégée avec soin tout au long de sa vie. Bibelots, souvenirs, preuves d'un passé disparu, les objets se succèdent et charrient avec eux le souvenir de vies marquées par le sacrifice, mais aussi et surtout par une volonté et une résilience inflexibles.

Le style de l'autrice a un côté un peu déstabilisant dans les premières pages, notamment en raison du ton détaché et analytique de sa narratrice, mais bascule très vite vers quelque chose de très fluide, poétique presque, où l'on retrouve une efficacité et un sens du rythme plutôt soignés. On s'attache aux différents souvenirs énumérés par la narratrice au fur et à mesure de son exploration des tiroirs de la commode, et on se fie à ce processus narratif très prenant tant et si bien qu'on n'en voit pas venir la fin de ce court roman, dernier choc d'un récit qui en aura compris un certain nombre. L'histoire se déroule avec des airs de conte, un côté inéluctable, cruel presque dans la façon dont elle fait défiler les années sans égard pour les sentiments du lecteur tour à tour chamboulé, chahuté ou perturbé. C'est la marche du temps, de pays qui s'écartèlent, de générations qui apprennent à se nier pour continuer à exister, de liens qui se font et s'éprouvent. 

C'est un roman remarquable dans sa façon d'évoquer le statut de femme de ses héroïnes, toutes aux prises avec les mêmes problématiques - quoique de façon différente en fonction de leur année de naissance et de leur statut les unes par rapport aux autres - : loyauté, pureté imposée, transmission, quand bien même elle est parfois douloureuse, deuil, mémoire, transcendance, maturité. Il n'était pas évident d'arriver à tirer des "portraits de femme" réussis de ce roman, d'une part parce que l'idée même de "portrait de femme forte" est franchement galvaudée, d'autre part parce qu'avec les romans historiques, on a toujours cette tentation de s'arrêter à un banal "les femmes avait quand même une vie sacrément dure, avant". Non, ici, le tout est réussi et traité avec une vraie intelligence : bien entendu, la vie des femmes décrites par Olivia Ruiz n'a plus grand-chose avec notre réalité à nous, mais elle comporte suffisamment de parallèles, de sous-entendus et de similitudes pour parvenir à s'imposer, à trouver sa pertinence. En plus de ça, on sent évidemment que l'autrice évoque quelque chose de très proche de sa propre histoire, d'intime presque, et qu'elle reste de ce fait dans une forme très juste et difficilement critiquable de sincérité. 

Le tout est resté un peu trop froid, trop rapide peut-être pour parvenir à me toucher tout à fait, mais force est d'admettre que certains passages sont d'une dureté et d'une beauté certaine, et que le tout recèle un vrai potentiel. On ne peut donc qu'avoir hâte de voir ce qu'Olivia Ruiz accomplira dans ses prochains romans, en espérant qu'elle y donnera vie à des personnages féminins aussi marquants et aussi éblouissants que dans celui-ci !

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