Un homme qui dort de Georges Perec - Chronique n°523

Titre : Un homme qui dort
Auteur : Georges Perec
Genre : Classique
Editions : Gallimard / Folio
Date de parution : 1967
Lu en : français
Nombre de pages : 144
Résumé : 
« Tu as vingt-cinq ans et vingt-neuf dents, trois chemises et huit chaussettes, quelques livres que tu ne lis plus, quelques disques que tu n'écoutes plus. Tu n'as pas envie de te souvenir d'autre chose, ni de ta famille, ni de tes études, ni de tes amours, ni de tes amis, ni de tes vacances, ni de tes projets. Tu as voyagé et tu n'as rien rapporté de tes voyages. Tu es assis et tu ne veux qu'attendre, attendre seulement jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre : que vienne la nuit, que sonnent les heures, que les jours s'en aillent, que les souvenirs s'estompent. »
C'est en ces termes que le narrateur s'adresse à lui-même, « un homme qui dort », qui va se laisser envahir par la torpeur et faire l'expérience de l'indifférence absolue.

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Je n'avais pas vraiment prévu de lire ce livre, et puis voilà, j'en ai entendu le titre trois fois par hasard au cours de la même journée, et il faut savoir que vraiment, les coïncidences, ça me travaille, alors ni une ni deux, j'ai foncé en librairie, et puis ça y était, je l'avais, ce petit livre bizarre, loin d'être le plus connu de l'auteur, et puis je l'ai lu, d'une traite presque, et je l'ai reposé, et voilà, je savais de quoi il en retournait, et c'était fou et tout simple à la fois.

Un homme qui dort, c'est l'histoire d'un étudiant qui s'ennuie, qui continue tout de même de dérouler son quotidien, qui obéit même, tout sage et docile, dévoué à la discipline d'une vie qu'il a à peine choisie, mais qui fatigue, qui s'acidifie, et qui décide un jour d'arrêter.
D'arrêter, tout simplement.
D'arrêter, et puis de voir.
D'obtenir la preuve que tout ça ne sert à rien pour enfin pouvoir se retirer du monde content de lui, avec la certitude du fait que lui seul a tout compris à l'absence de sens de la vie et que lui, au moins, s'en sort bien, parce que lui a su s'échapper, contrairement au commun des mortels trop occupés à subir pour s'éveiller.

L'homme qui dort est un personnage fascinant, d'une part par son absence totale de relief et de personnalité propre, d'autre part par cet incroyable élan de motivation et de force d'esprit qui le pousse à se retirer de la vie. Il est à la fois complètement insaisissable, imperméable à toute émotion, à tout sursaut de vie, mais de ce fait curieusement attachant, puisque le lecteur est libre de projeter sur cette toile blanche ses propres angoisses, sans même s'en rendre compte. On est à la fois repoussé par la forme extrême de pessimisme du personnage, mais on est aussi parfois tenté de voir en sa tentative d'évasion un immense aveu d'optimisme, la tentative ultime de celui qui croit encore ou veut croire au bonheur. Un homme, juste un homme sans nom, ni âge, ni ambition, juste une histoire sans but ni dénouement, qui rend le réel à la fois cruel et évident.

Le roman est déroutant, sorte de monologue intérieur sans la moindre structure ni interruption, succession de pensées solitaires et contradictoires assénées en saccade, décortication minutieuse des moindres aspects d'une vie devenue soudain à la fois insupportable et dénuée de toute saveur, de tout élément remarquable. Un homme qui dort s'offre comme une plongée hyper-réaliste dans les ruminations d'un homme isolé, amer et dépressif, qui cultive son propre malaise sans trop savoir s'il le fait par volonté de vivre mieux, davantage, ou plus du tout. Le lecteur s'en trouve à la fois chamboulé et terrifié, tant cette litanie de considérations désabusées peut avoir quelque chose de glaçant, d'anormal, de radical. C'est un lent, très lent éveil qui prend la forme d'un endormissement, voire d'une hibernation, mais dont on comprend bien vite qu'il poussera le personnage à prendre conscience (même malgré lui) de la nature réelle de sa condition et de son existence. C'est un roman qu'on prend paragraphe par paragraphe, en le lisant bien plus lentement que ses 150 petites pages ne pourraient le laisser supposer à première vue. C'est un roman qu'il faut laisser décanter surtout, et reprendre plus tard. Son propos est assez simple (l'absurdité de la vie, tout ça) mais décrit et analysé avec une exhaustivité, une lucidité et une poésie telle qu'on ne peut que s'en trouver dérangé, touché ou même inspiré. Un roman qui donne résolument envie de sortir de chez soi, comme un plaidoyer pour un ennui délimité, créatif et inspiré, et contre une résignation moribonde et destructrice. 

C'est en tout cas l'interprétation que j'en ai faite. Il faut dire que j'ai toujours été du genre optimiste.

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