Abraham et fils de Martin Winckler - Chronique n°521

Titre : Abraham et fils
Auteur : Martin Winckler
Editions : P.O.L. / Folio
Lu en : français
Date de parution : 2016
Genre : Contemporain
Résumé : Un jour du printemps 1963, une Dauphine jaune se gare devant le monument aux morts, sur la grand-place de Tilliers, petite ville de la Beauce. Elle transporte Abraham Farkas, médecin rapatrié d'Algérie, proche de la cinquantaine et son fils Franz, âgé de neuf ans et demi. Abraham n’a qu’une seule préoccupation : son fils. Franz, lui, en a deux : son père et les livres. Leur vie a été brisée un an plus tôt par un « accident » qui a laissé Franz amnésique et dont Abraham ne lui parle jamais. Ils s’installent rue des Crocus, dans la grande maison où Abraham va se remettre à travailler. Ils vont devoir apprendre a vivre avec le reste du monde...

----------------------------------------------------------------------------

Bon, eh bien, c'est dit, Martin Winckler est officiellement devenu une référence pour moi.

Martin Winckler, c'est cet écrivain formidable, médecin de profession, dont tous les romans explorent avec une infinie bienveillance la thématique du soin, la distinction entre soignant.e et simple "traiteur de maladies", la mémoire, le manque, la souffrance, l'apaisement, bref, tout un spectre de réflexions toujours fines, subtiles et nuancées, qui donnent lieu à des textes aussi bouleversants que nécessaires.

Son roman Le Chœur des Femmes fait partie des rares ouvrages dont je peux dire qu'ils ont changé ma vie (en toute simplicité). Alors forcément, en me lançant dans Abraham et fils, premier tome de ce qui s'annonce comme une pentalogie (oui, j'ai fait quatre ans de grec ancien, faut bien que je rentabilise), mes attentes étaient plutôt élevées.
Mais devinez-quoi ? 
Eh oui.
Martin Winckler did it again.

Abraham et fils présente un duo inoubliable, fragilisé certes, mais infiniment aimant, formé par Abraham, médecin, et son fils Franz, neuf ans. Tous deux ont vécu en Algérie toute leur vie, jusqu'à l'an dernier, où un "accident" les a privés de la mère de Franz, effaçant les souvenirs de ce dernier, et poussant le père à s'installer avec son fils un an aux Etats-Unis. Abraham et son fils finissent donc par rejoindre la France, toujours marqués par ce drame dont ils ne parlent pas, et déménagent dans un petit village perdu dans le Loiret, pour se refaire, se reconstruire, ou juste pour voir.

Franz (qui, tiens, drôle de coïncidence, porte le même prénom que la meilleure personne de tous les temps, à savoir le docteur Franz Karma du Chœur des Femmes) (indice : ce n'est pas une coïncidence) est un petit garçon absorbé, passionné de lecture, silencieux. Il s'adapte plutôt vite à la vie à Tilliers, cultive avec son père une complicité inouïe, bien qu'elle doive souvent de passer de mots. Tous deux se font petit à petit adopter par le village tout entier, et deviennent des figures locales. Et si Abraham a parfois du mal à dire les choses qui comptent à son fils, il n'en est pas de même avec les villageois : en un rien de temps, il devient un véritable pilier, figure rassurante et paternelle pour toute sa patientèle, et agrège autour de lui tout un ensemble de personnes enthousiastes, blessées, respectueuses, pleines d'espoir.

Abraham et fils est un roman auquel on s'attache sans se rendre compte, une histoire sans coup d'éclat dont l'intrigue pourrait être résumée en un paragraphe comme je viens de le faire, mais dont la puissance émotionnelle est telle qu'on en arrive à peine à l'analyser. L'auteur accomplit l'exploit de rendre l'amour entre Franz et son père infiniment palpable, au point qu'il peut même se passer de mots et malgré tout être ressenti par le lecteur. On y croit, à ce foyer de bric et de broc, aux solitudes inspirées de ce petit garçon,  à la vocation médicale de ce grand monsieur. On les devine, les murmures qui agitent la maison où ils accueillent très vite deux amies elles aussi en deuil, une mère et sa fille, et où tous quatre s'appliquent à grandir ensemble et à se rendre heureux. On le savoure, tout le sous-texte infiniment doux, infiniment optimiste, qui vient au fur et à mesure éclaircir les vies de personnages marqués par le traumatisme pour en faire des héros en puissance.

C'est un récit tranquille certes, mais bouleversant, porté par une plume toute délicate qui alterne à merveille entre la narration enfantine d'un Franz à l'intelligence relationnelle et à l'intuition incroyables, et un point de vue omniscient réconciliateur, apaisant, moteur. On se laisse porter sans en avoir conscience, fasciné par les courts chapitres et la rythmique hypnotique dont Martin Winckler a le secret, convaincu par cette façon simple et juste qu'il a de décrire le temps qui passe et les esprits qui s'ouvrent à d'autres idées que les leurs. C'est magnifique, plein de secrets qu'on se prépare à dévoiler, de vocations qu'on couve, de principes essentiels qu'on applique et transmet. Ça parle de respect, entraide, écoute, deuil et réparation, ça donne un furieux souffle d'espoir à celui ou celle qui a la chance de se plonger entre ces pages, c'est parsemé de personnages tous plus beaux les uns que les autres, c'est un beau livre, tout simplement. Jetez-vous dessus, c'est tout.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]

La Disparition de Stephanie Mailer de Joël Dicker - Chronique n°426

Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda - Chronique n°517

À la place du cœur d'Arnaud Cathrine — Chronique n°241