Yoga d'Emmanuel Carrère - Chronique n°540

 Titre : Yoga
Auteur : Emmanuel Carrère
Genre : Autobiographie | Contemporain 

Editions : P.O.L.
Lu en : français
Date de parution : 2020
Nombre de pages : 400
Résumé : 
C’est l’histoire d’un livre sur le yoga et la dépression. La méditation et le terrorisme. L’aspiration à l’unité et le trouble bipolaire. Des choses qui n’ont pas l’air d’aller ensemble, et pourtant : elles vont ensemble.

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A la base, Emmanuel Carrère voulait juste parler de yoga.
Et puis après ça, il y a eu la vie, les morts, la maladie, les psys, les motos, les journalistes américains, les séparations, les statues offertes par des femmes disparues, les méditations qu'il aurait fallu interrompre, et au contraire celles qu'on aurait dû savoir mener à bien.

A la base, Emmanuel Carrère avait eu une bonne idée.
Partir en retraite méditative, coupé du reste du monde, sans même le moindre accès internet, le moindre livre, ou le moindre carnet.
Ca a même plutôt pas mal fonctionné, les premiers jours. Ça l'apaisait, ça lui inspirait tout un tas de pensées métaphysiques.
Mais voilà, dix jours plus tard, on vient le chercher. Une urgence.
Et là, quelque chose d'autre commence.

Commence alors un autre récit, un nouveau, à moins qu'il ne s'agisse d'une suite, personne ne le sait vraiment et surtout pas l'auteur. Il y a parle de malheur, de vie, d'écriture, des médecins et de tous les gens autour, de souvenirs, de morts, de journalistes aussi, et de ce qu'on fait dans Paris quand on se sent seul et perdu. Il y évoque l'histoire, la politique et la justice, il y a parle littérature et surtout poésie, il y tisse des doutes et quelques convictions, se raconte beaucoup et se répète parfois.

Il cite ses précédents romans, pas trop, parle de choses terribles avec pas mal d'ellipses, de choses très anodines avec beaucoup de détails, ne cherche pas vraiment à trouver de cohérence, de but ultime ou de transcendance à son récit.
Ca marche.
Ca marche, c'est indéniable.

Ce long monologue intérieur fragmenté, on s'y accroche, on y trouve des petites pépites, des phrases qui brillent, comme ça, qu'on retient. 
"La littérature est le lieu où l'on ne ment pas", affirme l'auteur tout en sachant très bien qu'il vient là de proférer le rêve absolu de toute la profession, une contre-vérité totale, un vœu pieux, et une certaine forme de constat objectif. Et en effet, il dit du vrai, du vrai sincère, du vrai blessé, du vrai ignorant et du vrai plus ou moins apaisé. 

C'est inégal, cela dit. C'est parfois plat, décevant, on a parfois le sentiment d'attendre des dizaines de pages durant que ça commence pour de bon, que ça décolle, non pas qu'on soit en attente d'une "vraie" histoire dont on comprend bien vite qu'elle ne démarrera jamais, mais plutôt une forme d'envol narratif, de poussée d'émotion, un regain en force de la voix brisée de cet écrivain avec lequel on est bien évidemment en empathie, mais qui se maintient sans doute trop éloigné pour qu'on entre vraiment en communion avec lui, trop analytique, trop elliptique et peut-être trop cryptique, quand bien même il raconte tout. 

C'est un roman dans le roman qui raconte le roman qu'aurait pu être le roman qui n'en est finalement pas vraiment un, un procédé certes intrigant qui a pu me plaire par le passé mais dont je commence en fait à me lasser, mécanisme artificiel qui explique beaucoup, propose énormément, mais ne raconte pas grand-chose, et a du mal à ménager au lecteur une place quelconque. On n'est ni témoin (à ce stade de détail et de confession absolue, on est limite élève plus qu'autre chose), ni spectateur (ça n'a rien d'un spectacle, c'est une confession), ni public (il n'y a pas d'histoire à raconter), on est juste là, humain on va dire, et c'est déjà très beau, mais forcément, on peut aussi se sentir en manque de quelque chose, d'un certain dépassement peut-être. C'est un livre qui se cherche, et qui, s'il trouve beaucoup de jolies choses, n'en est pas arrivé à la découverte de lui-même ; un récit que je suis heureuse d'avoir découvert, qui me laissera indéniablement une trace, une vibration (et c'est déjà beaucoup), mais auquel il manquait une certaine substance, une intention, une direction, pour qu'il me marque vraiment. Et il faut dire aussi, pour finir, que c'est tellement personnel et ovniesque, tellement nécessaire pour Carrère et tellement étrange comme position pour le lecteur, qu'il est impossible de noter ce texte comme un roman classique. Alors on se contentera d'en parler, de penser à ce que Yoga aurait dû être (et dont on est très contents qu'il ne le soit pas devenu), à ce qu'il tente de paraître, et à ce qu'il deviendra dans nos têtes. Pour ma part, je suis déconcertée, sensible au texte, mais pas vraiment touchée. Ce sera différent pour d'autres. Et c'est très bien comme ça.

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