Les Evasions Particulières de Véronique Olmi - Chronique n°535

Titre : Les Evasions Particulières
Autrice : Véronique Olmi
Genre : Contemporain
Editions : Albin Michel
Lu en : français
Date de parution : 2020
Nombre de pages : 499
Résumé : Elles sont trois sœurs, nées dans une famille catholique modeste à Aix-en-Provence. Sabine, l’aînée, rêve d’une vie d’artiste à Paris ; Hélène, la cadette, grandit entre son oncle et sa tante, des bourgeois de Neuilly-sur-Seine, et ses parents, des gens simples ; Mariette, la benjamine, apprend les secrets et les silences d’un monde éblouissant et cruel.

En 1970, dans cette société française qui change, où les femmes s’émancipent tandis que les hommes perdent leurs repères, les trois sœurs vont, chacune à sa façon, trouver comment vivre une vie à soi, une vie forte, loin de la morale, de l’éducation ou de la religion de l’enfance.

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Sabine, Hélène et Mariette sont sœurs, pas forcément très proches, quoiqu'elles n'ont rien les unes contre les autres non plus.
Non, si toutes les trois ne se croisent pas si souvent, c'est surtout que Sabine a ses ambitions, Hélène son autre maison, et Mariette son statut de petite dernière.
Sabine veut être actrice, loin d'Aix où elle vit, à Paris, et forcément, un rêve pareil, ça l'occupe, et ça lui laisse peu de temps pour sa famille.
Hélène a été prise sous l'aile de son oncle et sa tante, bien plus aisés que ses parents, qui l'accueillent très régulièrement chez eux, à Neuilly, et où elle joue le rôle d'une petite fille sage et bourgeoise qu'elle est à moitié.
Mariette est petite, elle ne sait pas, ne comprend pas, ne voit pas, mais ne peut juste pas participer comme elles au grand chambardement de leur vie intérieure.

Et les parents, dans tout ça, sont un peu perdus. Ils ont une bonne vie, un bon mariage, trois beaux enfants, mais aussi toute une pelletée de doutes, de frustrations et d'envies qu'ils n'ont pas les mots pour désigner, et encore moins expliquer, des complexes dont ils ne se font pas part, des pulsions auxquelles ils ne s'autorisent pas le droit de céder.
Malgré ça, tout va bien. On est heureux. La vie est bonne. On est catholique, dans la famille, on est respectable, on fait aller, on n'a pas de quoi se plaindre. Mais force est d'admettre que le pays change, bouge, secoue un peu parfois, que les enfants grandissent, font part soudain de tout un tas de revendications nouvelles, contraires et péremptoires, qu'on s'y perd, et qu'on vieillit, plus vite que prévu à vrai dire.

Face à ça, on fait quoi ?

Véronique Olmi, elle, en fait un roman résolument puissant, qui n'a l'air de rien dans ses premiers chapitres, se contentant de dresser les premiers éléments d'une chronique familiale détaillée et classique, mais dont la puissance, la pertinence et la lucidité sont déjà en germe, et ne font que croître au fil du récit. Très vite, on est submergé par la façon tendre et cruelle avec laquelle elle décrit ses personnages, par les obstacles auxquels ils se confrontent, la résignation avec laquelle les parents y tournent le dos, et l'inventivité (voire l'aisance !) avec laquelle les filles les défont. Chacune s'y prend à sa manière : Sabine par son audace, sa fougue, une certaine part de frustration envers elle-même aussi, qui la pousse à se dépasser, Hélène par ses convictions naissantes, son refus de se complaire au statut de gentille petite fille dans lequel on a voulu la cantonner, Mariette par l'indépendance inouïe qu'elle trouve dans son rôle de benjamine, et la facilité avec laquelle elle peut dès lors explorer tous les endroits qu'on n'a pas songé à lui interdire.

Le roman est d'autant plus réussi que l'exercice de la "saga familiale", "fresque historique" ou encore "photographie d'une époque" est devenu très répandu, voire un peu galvaudé, et qu'il est donc de plus en plus difficile de tirer son épingle du jeu dès lors qu'on se lance dans pareil récit. Les Evasions Particulières parvient à triompher de cet écueil en se concentrant avant tout sur l'intime, le point de vue particulier de ses personnages, en donnant à leur intériorité une résonance et une force telle qu'elle ne peut que ricocher sur la mentalité globale de la société de l'époque. Ce que ressentent les trois héroïnes est forcément lié à ce qui se passe autour d'elles, dans leur ville, leur pays, leur milieu, et on n'a pas besoin de parallèles explicites ou de métaphores un peu pesantes pour le comprendre : au contraire, Véronique Olmi sait qu'il suffit de raconter leur histoire à elle, avec intensité, détail et délicatesse, pour parvenir à cette impression de "vrai", "d'instant de vie", de "portrait générationnel". Là où les premières pages restent un peu impersonnelles, avec un style encore assez générique, le roman gagne en force au fil des chapitres (je ne le répéterai jamais assez) pour aboutir sur deux cent dernières pages tout simplement captivantes, où l'on découvre presque tout à coup combien on s'est attaché à ces héroïnes, et combien leurs parcours sont à la fois "particuliers", bien sûr (c'est le titre, après tout), mais bien vus, sensibles, justes. Une jolie découverte !

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