La Trajectoire des confettis de Marie-Eve Thuriot - Chronique n°542

 Titre : La Trajectoire des confettis
Autrice : Marie-Eve Thuriot
Genre : Contemporain
Editions : Editions du Sous-Sol
Lu en : français
Date de parution : 2020
Nombre de pages : 624
Résumé : 2015, un barman ayant fait vœu de chasteté s’intéresse malgré lui à une cliente qui s’appelle tantôt Oscara, tantôt Fanny ou Cléopâtre. 1999, sous la pluie de bonbons d’une piñata, un adolescent tombe amoureux de sa tante. 1899, au nord des États-Unis, dans un village reculé, un pasteur récite à ses fidèles des passages salaces de la Bible. 2027, trois jeunes femmes se moquent en secret du gourou de leur communauté d’extinctionnistes. Quelque chose ne colle pas, n’a jamais collé dans le rapport entre sexe, amour et procréation. Des générations de personnages, coincés par les normes sociales, testent tour à tour les limites de la décence. Mais entre le tabou et l’acceptable, la frontière n’est pas aussi claire qu’on aimerait le croire. Pas plus qu’entre la vérité et le mensonge…

---------------------------------------------------------------------

Mes aïeux.
Ce roman est un sacré phénomène.

Je n'avais pas vraiment prévu de m'y atteler, et pour être tout à fait honnête, c'est surtout ma violente, profonde et constante nostalgie du Québec qui m'a poussée à m'y intéresser. Marie-Eve Thuriot, à l'instar de ses personnages, est en effet québécoise, et beaucoup parmi vous tomberont sans doute d'accord avec moi pour considérer que la littérature est l'un des meilleurs moyens (si ce n'est le meilleur) de se maintenir en lien avec les endroits, pays et époques que l'on aime. 

Je me suis donc jetée dans La Trajectoire des confettis à l'aveugle, avec à peine un vague coup d'oeil vers la première phrase, un regard intéressé vers la grosse masse des 624 de ce pavé (les gros bouquins, je l'avoue, j'adore ça), et un petit soupçon de curiosité pour cette histoire qui avait l'air à la fois d'un roman familial multi-générationnel, d'une sorte de fiction d'anticipation, mais aussi d'un récit porté par un certain nombre de convictions féministes et autres considérations sociologiques. 

Et si j'ai été très surprise, je n'en ai certainement pas été déçue.

La plume est solide, sans véritables effets de style ou recherche particulière au niveau des images invoquées, mais d'une vraie qualité et surtout d'une incroyable fluidité. C'est l'écriture de l'autrice, le rythme avec lequel elle enchaîne ses phrases et fait virevolter ses dialogues, qui porte le récit tout au long des centaines de pages sur lequel il s'étale, et accroche le lecteur malgré les quelques longueurs qui émaillent l'intrigue. On aime cette verve, cette fougue, ce naturel des dialogues dans lesquels pointent humour, cynisme, conviction et détachement, on aime se laisser emporter par la valse des générations et décennies que Marie-Eve Thuriot alterne et confronte avec allégresse. On adore surtout les différents personnages qu'elle dépeint, ces grands amoureux/fous/grands malades/êtres humains tout simples qu'on apprend à connaître sous un certain angle pour les découvrir tout à coup sous un autre, très (très) nombreux membres de ce qu'on comprend petit à petit être une grande famille parcourue de ruptures, secrets et autres silences, dont les atermoiements s'avèrent si passionnants qu'on en dévore sans problème la chronique tout au long du roman. 

Ca parle d'amour, beaucoup, de rapports de pouvoir, de liaisons, d'idylles, de séparations, de sexualité, d'enfants, de mariage, ou pas, d'aventures, de ce que c'est que de s'aimer en 1980, 2015 et 2027, de comment on s'y prend, ou pas, de ce que ça apporte, ou pas, de ce qu'on s'autorise à faire, ou pas. Ca parle d'incompréhensions, de désirs jaloux, d'élans de bienveillance, d'égoïsme quand même (beaucoup), ça place sous un même prisme tout un tas de problématiques parfois extrêmement actuelles, parfois vraiment incongrues, souvent inattendues et malgré tout très bien liées les unes aux autres. Ca ne réinvente rien, ça joue beaucoup sur des histoires aux schémas finalement très classique, mais ça le fait avec intelligence, sincérité et dynamisme, et d'une façon qui sonne très juste par rapport à ce que d'autres romans moins recherchés peuvent parfois faire. Le roman brille surtout dans sa façon de dépeindre toutes les nuances de gris qui caractérisent les relations intra-familiales, ce mélange d'agacement, de reproches, d'amour infini, d'empathie et de contrariétés qu'on retrouve dans toutes les familles du monde et que La Trajectoire des confettis dépeint avec un humour mordant et un ton acerbe des plus appréciables. Très jolie découverte donc, un roman que je relirai sans doute, quand bien même son style même n'est pas des plus mémorables, son rythme peut parfois être un peu inégal et ses cinquante dernières pages bien moins convaincantes que le reste. Croyez-moi en tout cas là-dessus : c'est là un texte si foisonnant, si généreux, si bizarre et si savamment construit qu'on ne pourra, dans un sens ou dans l'autre, pas vous laisser de marbre.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]

J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda - Chronique n°517

Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

U4 – Koridwen d'Yves Grevet — Chronique n°120

Le Choix d'Isabelle Hanne [Littérature]