Une Joie Féroce de Sorj Chalandon - Chronique n°492

Titre : Une Joie Féroce
Auteur : Sorj Chalandon
Editions : Grasset
Date de parution : 2019
Genre : Contemporain
Lu en : français
Nombre de pages : 320
Résumé : Jeanne est une femme formidable. Tout le monde l’aime, Jeanne.
Libraire, on l’apprécie parce qu’elle écoute et parle peu. Elle a peur de déranger la vie. Pudique, transparente, elle fait du bien aux autres sans rien exiger d’eux. A l’image de Matt, son mari, dont elle connaît chaque regard sans qu’il ne se soit jamais préoccupé du sien.
Jeanne bien élevée, polie par l’épreuve, qui demande pardon à tous et salue jusqu’aux réverbères. Jeanne, qui a passé ses jours à s’excuser est brusquement frappée par le mal. « Il y a quelque chose », lui a dit le médecin en découvrant ses examens médicaux. Quelque chose. Pauvre mot. Stupéfaction. Et autour d’elle, tout se fane. Son mari, les autres, sa vie d’avant. En guerre contre ce qui la ronge, elle va prendre les armes. Jamais elle ne s’en serait crue capable. Elle était résignée, la voilà résistante. Jeanne ne murmure plus, ne sourit plus en écoutant les autres. Elle se dresse, gueule, griffe, se bat comme une furie. Elle s’éprend de liberté. Elle découvre l’urgence de vivre, l’insoumission, l’illégalité, le bonheur interdit, une ivresse qu’elle ne soupçonnait pas.
Avec Brigitte la flamboyante, Assia l’écorchée et l’étrange Mélody, trois amies d’affliction, Jeanne la rebelle va détruire le pavillon des cancéreux et élever une joyeuse citadelle.

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Jeanne est une toute jeune quadragénaire tranquille, aimée, sans histoires. Enfin, à première vue, mais ça c'est comme tout le monde, pas vrai. 

Elle est mariée. Elle va bien. Elle a son métier, qui la fatigue un peu, mais au moins elle a la chance d'avoir des livres autour d'elle, de voir du monde, d'accomplir quelque chose qui a du sens pour elle.
Oui, il y a cette blessure intime, ce gouffre, la perte de son enfant.
Mais elle fait avec. Ou plutôt sans.
Jusqu'à ce qu'on lui diagnostic un cancer du sein, bien agressif. 
Cancer. 
Une réalité tellement violente qu'elle préfère la rebaptiser. Son cancer, ce sera son camélia.

Elle commence la chimio.
Son mari la quitte.
Son monde s'effondre.
Ses cheveux font de même.

Jeanne s'enfonce. Et elle le raconte, jour après jour, à un lecteur attendri, ému, accablé.

Certaines descriptions du cancer et de sa réalité vont peut-être un peu loin, deviennent  assez lourdes, se teintent de lieux communs parfois, mais quand on sait que l'écrivain a rédigé ce roman alors que lui-même et son épouse étaient tous deux atteints d'un cancer, on comprend son besoin de raconter ce que c'est de vivre pareille maladie, pareille injustice, et on n'en est que plus touché. L'écriture est délicate, grave sans être plombante, l'intrigue se déroule avec une intensité et une fluidité folles. L'autoportrait dressé par la narratrice est touchant à plus d'un égard, et on finit la première moitié du roman avec une mélancolie douce-amère, et une tristesse teintée d'empathie.

Puis débarque la seconde partie.
Et là, tout change.
Sans trop en dire, les personnages s'éveillent, le récit se propulse dans une dimension inattendue, le ton désarçonne et les enjeux vont un virage à 180 degrés. Cela pourra rebuter ou enthousiasmer, selon les lecteurs, mais une chose est sûre : ça décape. On s'attendait à ce que le monologue sur la maladie se poursuive indéfiniment, mais c'est tout autre chose que Chalandon réserve à son public : un virage, un renouveau, un pari. C'est une fable, bien sûr, une parabole, une exagération, mais ça fonctionne furieusement.

En tout cas, ça a été le cas pour moi.



Le récit évolue certes à ce moment-là vers des directions un peu moins crédibles - voire complètement improbables - mais très sincèrement, on s'en moque un peu. Non, ce qui marque, ce qui émeut, ce qui lui arrache des sourires de plus en plus tendres, c'est l'audace qui s'invite dans la vie de ces femmes qui se croyaient condamnées à ne plus pouvoir que subir le cours de leur existence, c'est le romanesque qui revient en force, c'est l'aventure, le danger ailleurs que dans le cabinet du cancérologue. Ce qui marque, ce qu'on désire, ce qu'on ressent, c'est le retour de l'expérience, du choix, du libre-arbitre. Alors oui, ce n'est ni très moral, ni très réaliste, mais bon sang, qu'est-ce que ça fait du bien.

Une Joie Féroce est un renouvellement total de la part de Sorj Chalandon, un texte assez unique en son genre, qui n'a pas vocation à révolutionner les codes ou à changer le monde, mais à apaiser, à montrer que même au cœur du pire du pire du malheur, il reste des possibles, il reste des imprévus. Il va sans dire que le roman n'encourage pas à suivre l'exemple précis de ses héroïnes, mais il réjouit, rassure, invente. C'est un hommage à toutes les formes de courage, d'arrangements avec la maladie, l'épreuve, la transition. C'est une ode à la résilience. Et ça, on aime. 

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