L'Insouciance de Karine Tuil - Chronique n°491
Titre : L'Insouciance
Autrice : Karine Tuil
Editions : Gallimard/Folio
Genre : Contemporain
Genre : Contemporain
Lu en : français
Résumé : De retour d’Afghanistan où il a perdu plusieurs hommes, le lieutenant Romain Roller est dévasté. Au cours d’un séjour de décompression à Chypre, il tombe sous le charme de Marion Decker, mais découvre dès le lendemain que cette jeune journaliste est mariée à François Vély, un entrepreneur franco-américain très influent. Au même moment, Romain renoue avec son ami d’enfance Osman Diboula, fils d’immigrés ivoiriens devenu une personnalité politique montante.
Tentant désespérément de reprendre le contrôle de leur vie, tous ces protagonistes sont entraînés dans un engrenage qui révèle la violence du monde.
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Après avoir lu L'Invention de nos vies de Karine Tuil, j'étais perplexe.
Je sentais le potentiel, la force des idées, la passion pour les personnages, mais je restais rebutée par le style et le caractère convenu du développement du récit.
Alors j'ai retenté le coup avec L'Insouciance.
Et bien m'en a pris.
Pour le style, ce n'est toujours pas ça en ce qui me concerne : c'est efficace, fluide, fonctionnel, mais sans doute un peu trop pour moi. Les images et figures de style invoquées restent classiques (voire absentes), et la plume de l'autrice se concentre davantage sur la mécanique du récit que sur sa chair, sa fantaisie, sa couleur. Les dialogues n'ont rien de réaliste et ne cherchent pas à l'être, les descriptions sont informatives plus qu'évocatrices, bref, c'est en quelque sorte l'exemple type d'une certaine forme d'écriture contemporaine.
Non, ce qui est prenant avec L'Insouciance, c'est sa fureur, son engagement qui bouillonne dans chacune de ses intrigues, sa puissance narrative, son rythme implacable, sa tension qui s'invite l'air de rien pour finir par vous tenir solidement dans son emprise. L'Insouciance, on n'y échappe pas, on y est happé, on y étouffe presque. A l'inverse de L'Invention de nos vies qui jouait avec ses thèmes plus qu'il ne les analysait (l'identité, le mensonge, le destin, le sens), ici, tout est disséqué, retourné jusqu'à en atteindre une forme de malaise et d'absurdité totale. Chaque personne se voue corps et âme à sa quête personnelle, pour finalement se heurter à son aberration : Osman et sa soif de reconnaissance politique, sa vengeance envers la société, son appétit pour la justice, Marion et sa dérive entre un mariage qui ne lui inspire plus grand-chose et une relation qui lui inspire tout un tas de signaux d'alerte, avec en toile de fond un traumatisme pas forcément tout à fait évacué, Romain et ses ruines, son envie de mourir, sa culpabilité, et François, son argent et son ennui, ses mensonges, ses fuites. Tous les quatre se répondent bien sûr, se trahissent, se trompent, bataillent entre les deux piliers majeurs du roman : l'identité et la violence, comment l'une fausse l'autre ou l'amplifie, comment on prend l'une pour la cause de l'autre et vice-versa.
Autant le dire tout de suite : le constat est amer, pessimiste, si ce n'est dévastateur. Karine Tuil s'applique à révéler l'univers occidental de façon aussi amère que révoltante, avec un certain cynisme qui pourrait être un peu plus nuancé, mais qui reste pertinent tout au long du récit. On peut regretter certains poncifs, certains lieux communs, certains constats un peu moins fins que d'autres, mais le tout reste d'une rage, d'une ferveur et d'une énergie telle - à dix mille lieux de l'insouciance du titre, finalement -, et on ne peut que se laisser porter (voire s'emporter tout court).
Non, ce qui est prenant avec L'Insouciance, c'est sa fureur, son engagement qui bouillonne dans chacune de ses intrigues, sa puissance narrative, son rythme implacable, sa tension qui s'invite l'air de rien pour finir par vous tenir solidement dans son emprise. L'Insouciance, on n'y échappe pas, on y est happé, on y étouffe presque. A l'inverse de L'Invention de nos vies qui jouait avec ses thèmes plus qu'il ne les analysait (l'identité, le mensonge, le destin, le sens), ici, tout est disséqué, retourné jusqu'à en atteindre une forme de malaise et d'absurdité totale. Chaque personne se voue corps et âme à sa quête personnelle, pour finalement se heurter à son aberration : Osman et sa soif de reconnaissance politique, sa vengeance envers la société, son appétit pour la justice, Marion et sa dérive entre un mariage qui ne lui inspire plus grand-chose et une relation qui lui inspire tout un tas de signaux d'alerte, avec en toile de fond un traumatisme pas forcément tout à fait évacué, Romain et ses ruines, son envie de mourir, sa culpabilité, et François, son argent et son ennui, ses mensonges, ses fuites. Tous les quatre se répondent bien sûr, se trahissent, se trompent, bataillent entre les deux piliers majeurs du roman : l'identité et la violence, comment l'une fausse l'autre ou l'amplifie, comment on prend l'une pour la cause de l'autre et vice-versa.
Autant le dire tout de suite : le constat est amer, pessimiste, si ce n'est dévastateur. Karine Tuil s'applique à révéler l'univers occidental de façon aussi amère que révoltante, avec un certain cynisme qui pourrait être un peu plus nuancé, mais qui reste pertinent tout au long du récit. On peut regretter certains poncifs, certains lieux communs, certains constats un peu moins fins que d'autres, mais le tout reste d'une rage, d'une ferveur et d'une énergie telle - à dix mille lieux de l'insouciance du titre, finalement -, et on ne peut que se laisser porter (voire s'emporter tout court).
Il y a enfin quelque chose de perturbant chez les personnages de Karine Tuil, en ce qu'ils restent des personnalités individuelles, des figures avec leur nom et leur histoire propres, tout en restant curieusement universels, "impersonnels", comme des véhicules de réalités qui les dépassent, menant à bien à la fois leur parcours à eux et celui d'une société tout entière. On les visualise, et dans le même temps on ne cesse de leur assigner des visages différents au fil du récit : celui d'un politicien en vue, d'une journaliste tombée en disgrâce, d'une actrice indignée, d'un criminel condamné, d'une politicienne insaisissable, d'un anonyme parmi d'autres. Ces non-héros deviennent des transmetteurs, des réceptacles, et par-là même se font d'autant plus mémorables.
L'Insouciance s'offre donc comme une belle claque totale, un peu brute dans sa forme comme dans son fond, mais qui a le grand mérite de secouer son lecteur un grand coup et de lui faire quelques rappels nécessaires. Une oeuvre importante, solide, qui prend le temps de faire les constats qu'elle a à faire, et qui donne surtout une furieuse envie d'agir. Un roman qui a peut-être un peu trop conscience d'être politique, qui cherche parfois un peu visiblement à être "un grand roman de son temps," un roman à prix que l'on retrouvera dans les listes des grands romans du début du XXIème siècle, mais on le lui pardonnera.
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