Station Eleven d'Emily St. John Mandel - Chronique n°516

Titre : Station Eleven
Autrice : Emily St-John Mandel
Genre : Science-fiction
Editions : Knopf
Date de parution : 2014
Lu en : anglais
Nombre de pages : 336
Résumé : One snowy night a famous Hollywood actor slumps over and dies onstage during a production of King Lear. Hours later, the world as we know it begins to dissolve. Moving back and forth in time—from the actor's early days as a film star to fifteen years in the future, when a theater troupe known as the Traveling Symphony roams the wasteland of what remains—this suspenseful, elegiac, spellbinding novel charts the strange twists of fate that connect five people: the actor, the man who tried to save him, the actor's first wife, his oldest friend, and a young actress with the Traveling Symphony, caught in the crosshairs of a dangerous self-proclaimed prophet.

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Existe également en français

Titre : Station Eleven
Traduit par : Gérard de Chergé
Editions : Rivages 
Station eleven | RivagesDate de parution : 2016
Résumé : 
Un soir d’hiver à l’Elgin Theatre de Toronto, le célèbre acteur Arthur Leander s’écroule sur scène, en pleine représentation du Roi Lear. Plus rien ne sera jamais comme avant. Dans un monde où la civilisation s’est effondrée, une troupe itinérante d’acteurs et de musiciens parcourt la région du lac Michigan et tente de préserver l’espoir en jouant du Shakespeare et du
Beethoven. Ceux qui ont connu l’ancien monde l’évoquent avec nostalgie, alors que la nouvelle
génération peine à se le représenter. De l’humanité ne subsistent plus que l’art et le souvenir. Peut-être l’essentiel.

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Eh bien, on peut dire que question lecture, j'ai le sens de l'à-propos.
Je savais que Station Eleven se déroulait dans un contexte post-apocalyptique et parlait de théâtre, mais c'était à peu près tout.
J'ignorais totalement qu'il présentait avec un sens rare du réalisme et du détail les conséquences très concrètes d'une pandémie qui vient à bout de rien de moins que 99% de la population mondiale et mène en l'espace de quelques jours à la destruction de notre civilisation actuelle.
Voilà voilà. Vive les lectures joyeuses. 

On aurait pu croire qu'avec un pareil résumé, le roman s'avèrerait pour le moins lourd, si ce n'est plombant. Et s'il comporte certes une part indéniable (et très justement dosée) de gravité et de douleur, ce n'est pas ce qu'on en retire de plus marquant. Station Eleven, c'est avant tout une histoire de mémoire, de temps, qui s'attarde avec soin et délicatesse sur des portraits de personnages bouleversants et sur les souvenirs qui les hantent, et qui étire cette situation de fin du monde jusqu'à l'extrême, mais sans verser dans le sensationnalisme, et en s'attachant finalement à décrire une apocalypse la plus réaliste, silencieuse et simple possible.

L'autrice orchestre parfaitement la structure du roman, avec une construction temporelle certes tout sauf linéaire mais terriblement maligne : on a en permanence de nouvelles questions, des réponses quand on en a besoin, et juste assez de frustration pour continuer à tourner les pages. On n'obtiendra pas toutes les informations dont on a envie, juste assez pour se projeter encore et toujours, pour aller au-delà de ce que retrace le texte même, pour mettre un peu (beaucoup) de soi dans l'histoire.

Et ça marche.
Mieux, ça fait un drôle d'effet, cette lecture.
C'est la fin du monde, mais ce n'est pas la fin de l'héritage, des ambitions, des passions et des projets. Il n'a jamais été aussi étrange et difficile de rêver, d'oser, de vivre tout court, mais ça reste possible, et on y découvre même une forme de beauté.

Il est en fait très déstabilisant qu'une intrigue aussi sombre puisse aboutir à un résultat aussi fluide, presque apaisant. On navigue entre les époques de façon tout sauf chronologique mais toujours bien pensée, avant, pendant et après le désastre, avec un mélange de curiosité, de mélancolie et d'attendrissement. On se prend d'affection pour tous les personnages sans distinction, on voyage, on regrette, et on referme le roman pris d'une puissante envie de savourer tout ce qu'il nous reste, certes, mais surtout de se détacher de tout ce qui nous pèse, tout ce qui ne compte pas tant que ça et qu'on accepte par habitude plutôt que par préférence. 

La petite prouesse de ce roman réside dans l'ascenseur émotionnel renversant dans lequel il pousse son lecteur. Après un incipit d'une efficacité redoutable, et de premiers chapitres qui créent un malaise profond, au point que la lecture peut même en devenir éprouvant, Emily St. John Mandel crée certes un monde effrayant que l'on ne peut que redouter, mais parvient surtout dans la deuxième partie du livre à instaurer une atmosphère nouvelle, un ensemble de décors qui deviennent petit à petit réconfortants, et pour le lecteur, le sentiment déconcertant de se sentir finalement plutôt bien, en tout cas pas trop mal, dans cet univers dans lequel il n'a pourtant aucune envie de vivre a priori. Station Eleven parle de désastre, bien sûr, de pandémie et de morts et de la fin de nos routines dématérialisées, mais avant tout de communauté, et du qu'on trouve partout même lorsque cela peut paraître aberrant tant on a perdu. Ce n'est pas le paradis, ça reste pénible, évidemment, après tout, c'est la fin du monde, mais ce que raconte l'écrivaine, c'est que même dans ce quotidien désolé et marqué par le deuil, les survivants ont réussi à se recréer des communautés saines et apaisantes, des oeuvres qui les dépassent, des journaux, des musées, des concerts, et que certains d'entre eux, si ce n'est la plupart, n'ont jamais perdu l'habitude de scruter le ciel nocturne à la recherche des traînées lumineuses d'un avion, même quinze ans après.  C'est un espoir doux et tranquille qui se contente d'exister et n'a pas même besoin de trouver de réponse. Et c'est peut-être ça, la résilience. Vivre, et puis c'est tout. Vivre, et puis c'est déjà beaucoup. 

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