La Ballade de l'Impossible d'Haruki Murakami - Chronique n°515

Titre : La Ballade de l'Impossible
Auteur : Haruki Murakami
Genre : Contemporain
Date de parution : 1987
Editions : Belfond | 10/18
Lu en : français
Nombre de pages : 448
Résumé : Dans un avion, une chanson ramène Watanabe à ses souvenirs. Son amour de lycée pour Naoko, hantée comme lui par le suicide de leur ami, Kizuki. Puis sa rencontre avec une jeune fille, Midori, qui combat ses démons en affrontant la vie. Hommage aux amours enfuies, le premier roman culte d'Haruki Murakami fait resurgir la violence et la poésie de l'adolescence.

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Il y a des livres qu'on lit exactement, précisément au bon moment, au point que ça en devient presque étrange.
Ça a été le cas pour moi et La Ballade de l'Impossible.
Je ne peux pas dire que je l'ai adoré, que je le recommande à absolument tout le monde autour de moi. Ce roman m'a foudroyée. Il m'a malmenée, aussi. 

C'est un roman d'adolescents déjà presque adultes, ceux qui naviguent entre leur dix-neuvième et leur vingtième anniversaire (c'est-à-dire, exactement moi), déjà assez ancrés dans leurs habitudes universitaires pour ne plus y trouver que du confort et non plus de l'enthousiasme, mais encore complètement démunis face à la grande question de l'avenir, de l'orientation, de la vie mature telle qu'on sait qu'on devra bientôt la porter sur ses épaules.
C'est encore et surtout un roman de douleurs, de deuils, de solitudes, une histoire rythmée par les pertes et la maladie, un récit sans doute volontairement "excessif" dans sa noirceur, qui crée un climat nostalgique d'une intensité comme je n'en avais jamais ressentie auparavant. Je me suis immergée corps et âme dans cet ouvrage sans pouvoir m'en détacher, l'achevant quasi d'une traite, transportée par un récit qui n'a pourtant rien de particulièrement palpitant. Le texte est sombre, profondément mélancolique, bien davantage structuré par ses personnages que par son intrigue. L'histoire pourrait tenir en quelques mots : un adolescent, sa routine à l'université, ses tentatives de créer du lien avec les filles qui le fascinent, son impuissance face à la souffrance de sa meilleure amie dont le petit ami s'est suicidé alors qu'ils étaient ensemble au lycée, son lent processus de résilience et d'ouverture à la vie. Pas joyeux. Inoubliable malgré tout - et peut-être même grâce à ça.

Impossible de décrire l'atmosphère unique qui empreint le roman, si enfantine et insouciante dans les premières pages, puis de moins en moins légère, de plus en plus meurtrie au fur et à mesure que les personnages réalisent l'ampleur des démons qu'ils devront affronter tout au long de leur existence. Murakami est loin de ménager son lecteur ; c'est avant tout un récit de destruction qu'il présente ici. L'écriture en elle-même est toute simple, s'attachant à décrire les rituels du quotidien, la simplicité des conversations, le goût de la nourriture, la tenue et l'expression des personnages. L'auteur rend le quotidien évident tout autant qu'il l'interroge. C'est ce sentiment de confort, de familiarité et de curiosité mêlées, qui déclenche chez le lecteur une réaction particulière aux émotions particulièrement intenses qui traversent les personnages. 

L'immense force du roman demeure la lucidité avec laquelle il décrit ses propres personnages. On connaît tous un Watanabe, quelqu'un d'un peu détaché de tout, très fidèle, gentil au fond, mais malgré tout toujours un peu absent, ou une Naoko, marquée par ses traumatismes au point qu'elle en perd progressivement toute capacité à vivre comme avant, ou encore une Midori, personnalité énigmatique limite manipulatrice, qui affirme au contraire sa flamme et son énergie à travers toutes les provocations et toutes les facéties possibles. Ce sont toutes les facettes de l'adolescence douloureuse, du deuil, des personnalités dysfonctionnelles comme on a pu en croiser au fil de son existence. Et Murakami les décrit à la perfection.

La Ballade de l'Impossible fera partie de ces lectures que je charrierai avec moi bien longtemps après les avoir découvertes, et ce malgré certains points dont je reconnais sans hésitation les avoir trouvés problématiques. Watanabe témoigne d'une vision des femmes pour le moins particulière, presque instrumentalisante, et d'un rapport au couple et à l'intimité loin d'être tout à fait équilibré. Certaines relations paraissent franchement malsaines mais ne sont jamais vraiment analysées comme telles (notamment en ce qui concerne le personnage de Reiko, ou même les tendances contrôlantes de Midori). Je pourrais concevoir que Murakami cherchait justement à déstabiliser et questionner le lecteur à travers ces éléments "problématiques", mais il me manque malgré tout un soupçon de nuance ou d'analyse de sa part pour que je puisse lui faire crédit d'une telle intention. Dans le récit tel que je l'ai perçu, les personnages féminins ont évidemment la part belle pour exprimer leurs émotions et leur vécu, mais ils n'existent finalement qu'à travers le regard du narrateur masculin, et demeurent à chaque instant des objets de désir. Murakami a un don dans sa façon de décrire le monde et ses rituels dans leur inquiétante étrangeté, mais force est pour moi d'admettre que son écriture reste masculine - pas forcément misogyne bien sûr, mais en tout cas, partiale.

Je crois que c'est ça, ce qui me perturbe le plus, en réalité : ce roman aurait dû me perturber, voire me repousser, tant il met le doigt avec acuité et intransigeance sur certains sentiments si profonds que j'ai moi-même du mal à me les formuler. Mais je n'ai d'autre choix que de l'admettre, quand bien même je ne le comprends pas vraiment : La Ballade de l'Impossible m'a fait du bien. Un bien fou. C'est un roman grave qui m'a fait me sentir légère, et dont je ne voulais pas voir venir la fin, quand bien même il ne racontait rien de vraiment joyeux. Et je le relirai, c'est certain. 
Il ne s'agit cela dit clairement pas d'un ouvrage grand public, et s'il a produit sur moi une impression que j'aurais du mal à transcrire par des mots, je conçois aussi complètement que l'on puisse le rejeter. C'est une histoire qu'on pourrait qualifier de simplement glauque, mais en laquelle j'ai justement reconnu un optimisme d'autant plus marquant qu'on ne l'anticipe pas, et qu'il s'impose avec une surprise incroyable dans les toutes dernières pages, et encore plus lorsque l'on relit le premier chapitre après avoir achevé le texte. Une histoire d'apprentissage du bonheur.

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