Dans les Forêts de Sibérie de Sylvain Tesson - Chronique n°430

Titre : Dans les Forêts de Sibérie
Auteur : Sylvain Tesson
Genre : Nature writing | Contemporain
Editions : Folio
Lu en : français
Résumé : Assez tôt, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m'installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie.
J'ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal.
Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j'ai tâché d'être heureux.
Je crois y être parvenu.
Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à la vie.
Et si la liberté consistait à posséder le temps ?
Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures ?
Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.

-----------------------------------------------------------------

Certains, à l'orée de la quarantaine, démissionnent, divorcent, passent un CAP pâtissier ou prennent des billets pour les Maldives.
D'autres se lancent dans le développement personnel, le yoga, le zéro-déchet ou le bénévolat.

Et puis il y a Sylvain Tesson.
Sylvain Tesson, lui, part s'exiler six mois dans une cabane perdue au fin fond de la Sibérie, sans réseau évidemment, ni âme qui rôde à des kilomètres à  la ronde. 
Pourquoi ? 
Et pourquoi pas ? 

Ces six mois d’érémitisme - eh oui, ce livre permet en plus du reste d'enrichir son vocabulaire - donnent ainsi forme à un roman, sobrement et très justement intitulé Dans les Forêts de Sibérie, journal de bord de ce projet un peu fou et complètement enthousiasmant. De février à juillet, le lecteur se retrouve seul à seul avec les pensées d'un narrateur passablement alcoolisé et absolument isolé, en proie à des séances émerveillées de contemplation de la nature, alternant avec des plages infinies d'ennui, et à l'origine de quelques réflexions aussi cyniques qu'exquises sur notre humaine condition.

Tout un programme.


La plume de Tesson est volatile, changeante, capricieuse, mais toujours d'une justesse et d'une richesse à couper le souffle.  Les images qu'elle invoque pour décrire les paysages uniques qui s'offrent au lieu de l'auteur sont toujours déconcertantes au premier abord, mais si évocatrices et frappantes qu'on ne peut qu'y adhérer. 

C'est un curieux petit texte sans but annoncé, qui suit les égarements de son narrateur pour aboutir à un ensemble miraculeusement homogène et attachant, regorgeant de petites trouvailles philosophiques et de pépites poétiques. Le lecteur, quelque part entre spectateur voyeur de Koh-Lanta et disciple admiratif, se laisse porter par les états d'âme de Tesson, apprend à l'apprivoiser, plus ou moins, à supporter et même aimer ses élans de misanthropie. 

Alors arrachez quelques heures à votre quotidien survolté pour vous plonger dans une réalité dont vous n'avez pas idée et qui ne vous atteindra jamais - à moins que vous ne sombriez dans une lassitude généralisée comparable à celle de Tesson et que vous ne décidiez vous aussi de goûter aux charmes des cabanes russes. 
Vous découvrirez des descriptions d'un lac à couper le souffle, des constats indéniables mais vexants sur votre propre comportement humain, des passages en apparence absolument anecdotiques mais dont vous vous souviendrez avec émotion des semaines plus tard, des déclarations d'amour mythiques à l'espèce tout entière des chiens, bref, un joyeux mélange qui, promis,  n'a rien d'indigeste. Lisez Dans les Forêts de Sibérie, un petit livre imbibé des litres de vodka qu'engloutit son auteur, éclairé des veinures bleues de la glace qu'il regarde fondre petit à petit au fil des mois, et porté par son lyrisme incomparable. 

C'est vide de toute action, saturé de détails inutiles, c'est le reflet d'une démarche absurde, mais qui ne l'est au fond pas moins que nos petites vies symétriques réglées comme du papier à musique. C'est beau, tout simplement.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]

J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda - Chronique n°517

Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

U4 – Koridwen d'Yves Grevet — Chronique n°120

Le Choix d'Isabelle Hanne [Littérature]