Charlotte de David Foenkinos — Chronique n°45



"Les mots n'ont pas toujours besoin d'une destination.
On les laisse s'arrêter aux frontières des sensations.
Errant sans tête dans l'espace du trouble.
Et c'est bien le privilège des artistes : vivre dans la confusion."


Titre : Charlotte
Auteur : David Foenkinos
Genre : Biographie
Éditions : Gallimard 
Nombre de pages : 224
Résumé : Ce roman retrace la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre morte à vingt-six ans alors qu'elle était enceinte. Après une enfance à Berlin marquée par une tragédie familiale, Charlotte est exclue progressivement par les nazis de toutes les sphères de la société allemande. Elle vit une passion amoureuse fondatrice, avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France. Exilée, elle entreprend la composition d'une œuvre picturale autobiographique d'une modernité fascinante. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin en lui disant : «C'est toute ma vie.» Portrait saisissant d'une femme exceptionnelle, évocation d'un destin tragique, Charlotte est aussi le récit d'une quête. Celle d'un écrivain hanté par une artiste, et qui part à sa recherche.

Je sais, ce roman ne ressemble pas du tout à ce que je lis le plus souvent. Mais il m'a tellement plu que j'étais obligée de vous le présenter. 
Charlotte, vous en avez peut-être entendu parler : il a reçu le prix Renaudot 2014. Je n'ai pas lu les autres livres de David Foenkinos, mais je sais que celui-ci est très différent des précédents. Il s'agit d'une biographie, mais pas rédigée sous n'importe quelle forme. Un poème en vers libres. Et pas n'importe quelle biographie : celle d'une artiste qui a marqué David Foenkinos, Charlotte Salomon. 

Unique
Une biographie rédigée sous la forme d'un immense poème en vers libres ? La prochaine fois que vous croiserez ce genre de livre, faites-moi signe. 
Au-delà de ça, Charlotte est unique par la manière dont il est écrit. Les phrases sont percutantes, poétiques, justes... On est frappé par ce roman, on ne peut pas en sortir indemne.
David Foenkinos explique dans une strophe pourquoi il a fait ce choix de rédaction :


"J'ai tenté d'écrire ce livre tant de fois. 
Mais comment?
Devais-je être présent? 
Devais-je romancer son histoire? 
Quelle forme mon obsession devait-elle prendre?
Je commençais, j'essayais, puis j'abandonnais.
Je n'arrivais pas à écrire deux phrases de suite.
Je me sentais à l'arrêt à chaque point.
Impossible d'avancer.
C'était une obsession physique, une oppression.
J'éprouvais la nécessité d'aller à la ligne pour respirer
Alors j'ai compris qu'il fallait l'écrire ainsi."

Pour respirer, pour que le lecteur puisse respirer. Sans cela, ce serait impossible de poursuivre sa lecture. Il fallait alléger.

Tragique et poignant
Dès le début du roman, on nous donne la couleur :
"Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe."
Mais rien qu'en lisant le résumé ou la note introductive, on apprend que Charlotte Salomon est une "artiste peintre morte à vingt-six ans alors qu'elle était enceinte", à Auschwitz.  Voilà. C'est dit. En commençant sa lecture, on constate très vite que bien avant la Shoah, l'histoire de sa famille est déjà tragique : presque tous les membres de sa famille se sont suicidés. 
La vie de Charlotte pourrait se résumer à une longue succession de drames. Mais David Foenkinos réussit à nous montrer autre chose de sa vie. 

Captivant
Ce livre est court, les chapitres sont courts, les phrases en elles-mêmes sont courtes... On dévore Charlotte en très peu de temps, on est happé par ce destin unique et cette héroïne incroyable. Le rythme est extrêmement rapide, on veut enchaîner un chapitre, puis un autre, en espérant vainement que Charlotte va s'en sortir.
La tension est de plus en plus forte, les phrases courtes l'amplifient encore.

Vrai
J'ai retenu un passage, quelques vers, à la toute fin, qui m'ont vraiment marquée. Pour moi, c'était toute l'horreur de la Shoah rendue en quelques mots. C'est le moment où j'ai failli pleurer.



"Sur le bâtiment, on peut lire qu'on va prendre une douche.
Avant de pénétrer dans les bains, chacune se déshabille. 
Il faut mettre ses vêtements sur un crochet.
Une gardienne s'époumone.
Surtout, retenez bien le numéro de votre porte-manteau.
Les femmes mémorisent ce chiffre ultime."

Pas larmoyant
Malgré l'issue tragique que l'on connaît dès la lecture du résumé et qui se rapproche inéluctablement tout au long du roman, ce livre n'est pas larmoyant : le message final n'est pas "pleurez tous en pensant à cette pauvre Charlotte Salomon qui a eu une vie effroyable". Il est rempli d'espoir. Rien n'est pesant, rien n'est lourd.
Même le passage final dans les camps de concentration n'est pas très long, parce que ce n'est pas ce qui compte le plus quand on veut connaître Charlotte. C'est le reste.

Hommage
Charlotte est simplement la plus belle forme d'hommage que David Foenkinos ait pu rendre à l'artiste. À plusieurs reprises, l'auteur nous raconte la manière dont il l'a découverte, et toute son enquête pour écrire le livre. Le passage où il raconte sa réaction devant l'œuvre autobiographique de Charlotte, -Vie ? ou Théâtre ? est juste... beau !



"Le sentiment d'avoir enfin trouvé ce que je cherchais.
Le dénouement inattendu de mes attirances.
Mes errances m'avaient conduit au bon endroit. 
Je le sus dès l'instant où je découvris -Vie ? ou Théâtre ?
Tout ce que j'aimais. 
Tout ce qui me troublait depuis des années. 
Warburg et la peinture.
Les écrivains allemands. 
La musique et la fantaisie. 
Le désespoir et la folie. 
Tout était là. 
Dans un éclat de couleurs vives. 
La connivence immédiate avec quelqu'un.
La sensation étrange d'être déjà venu dans un lieu.
J'avais tout cela avec l'oeuvre de Charlotte. 
Je connaissais ce que je découvrais."


Je pense qu'il a largement réussi son pari : le lecteur ne peut qu'être touché par Charlotte Salomon et sa vie tragique. Ça a été mon cas. 


Émouvant
Cette histoire est horrible, affreuse, il n'existe pas de mots pour décrire ce profond sentiment d'injustice qu'on ressent en fermant le livre. Je suis encore soufflée, bouleversée, et j'ai du mal à passer à autre chose. Charlotte est fulgurant, intense, une vraie bombe d'émotions. Comment la vie peut-elle être aussi cruelle envers une personne foncièrement bonne qui avait la vie devant elle, une artiste peintre au talent prometteur qui attendait un enfant ? 

En conclusion, un roman unique, tragique, poignant, captivant, vrai, pas larmoyant, un hommage incroyablement émouvant. Forcément un coup de cœur.

Si je n'ai pas réussi à vous faire comprendre à quel point j'ai aimé Charlotte... autant fermer ce blog tout de suite !

Commentaires

  1. Ce livre à l'air GENIAL ! Et ta chronique est extraordinaire ! Elle est vraiment excellente ! Tu m'as vraiment donné envie de le lire !
    Pauline

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    1. Haha merci ! Je suis contente que ma chronique t'ait donné envie de le lire, parce qu'il FAUT le lire :)

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  2. Ne t'inquiète pas, tu nous as très bien fait comprendre à quel point tu as aimé ;) J'adore David Foenkinos, c'est l'un de mes auteurs préférés, je te conseille ses autres livres (même si je ne les ai pas tous lus ^^). J'ai Charlotte dans ma PAL (et même dédicacé :p), il faut vraiment que je le lise :D

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    1. Je penserai à les lire alors ;) dédicacé ? La classe :p Lis-le vite !

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