My Absolute Darling de Gabriel Tallent - Chronique n°455

Titre : My Absolute Darling
Auteur : Gabriel Tallent
Genre : Contemporain
Editions : Riverhead Books
Lu en : anglais
Nombre de pages : 430
Résumé : Turtle Alveston is a survivor. At fourteen, she roams the woods along the northern California coast. The creeks, tide pools, and rocky islands are her haunts and her hiding grounds, and she is known to wander for miles. But while her physical world is expansive, her personal one is small and treacherous: Turtle has grown up isolated since the death of her mother, in the thrall of her tortured and charismatic father, Martin. Her social existence is confined to the middle school (where she fends off the interest of anyone, student or teacher, who might penetrate her shell) and to her life with her father.


Then Turtle meets Jacob, a high-school boy who tells jokes, lives in a big clean house, and looks at Turtle as if she is the sunrise. And for the first time, the larger world begins to come into focus: her life with Martin is neither safe nor sustainable. Motivated by her first experience with real friendship and a teenage crush, Turtle starts to imagine escape, using the very survival skills her father devoted himself to teaching her. What follows is a harrowing story of bravery and redemption. 


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Existe également en français

Titre : My Absolute Darling
Editions : Gallmeister
Résultat de recherche d'images pour "my absolute darling gallmeister"Résumé : A quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu'elle parcourt sur des kilomètres. Mais si le monde extérieur s'ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d'un père charismatique et abusif. Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace. Jusqu'au jour où elle rencontre Jacob, un lycéen blagueur qu'elle intrigue et fascine à la fois. Poussée par cette amitié naissante, Turtle décide alors d'échapper à son père et plonge dans une aventure sans retour où elle mettra en jeu sa liberté et sa survie.

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Aaaaaaah. 
Mes amis, je n'étais pas prête. 

Je n'étais pas prête à affronter un roman d'une violence aussi saisissante, froide, frappante, sur un ton à ce point glaçant et sombre, avec une narration intensité dramatique aussi inouïe.

Il vous sera rarement donné de faire l'expérience personnelle et intime d'un roman à ce point : dès les premières pages, on se retrouve catapulté dans cette vieille bicoque perdue au fond des bois, témoin muet mais total du duo formé par Turtle et son père Martin, jusque dans l'insoutenable, jusque dans l'irréversible. 

Turtle a quatorze ans, et elle vit depuis toujours avec son père. Ce dernier, convaincu que la fin du monde approche et qu'il convient donc de s'y préparer pour le moins radicalement, a appris depuis longtemps à sa fille comment survivre et utiliser une arme. Tous deux vivent ainsi reclus, à la dure, par nécessité, par conviction, par obstination. 
Mais ça va au-delà de ça, évidemment. 
Turtle aime son père, et lui aussi l'aime, bien sûr, en tout cas, c'est ce qu'il lui répète. 

Mais c'est trop.

On ne sait pas comment, on n'en connaît pas l'origine, mais on le sent, et plus tard on le sait : l'amour de Martin n'a rien de doux et paternel, et tout d'obsessionnel et de malsain. Ce n'est pas de l'amour, c'est de la possession.
Son discours bienveillant, comme quoi il veut avant tout la sauver, la préserver, la rendre unique, cache la pire des vérités : il veut en faire sa chose, la retirer au monde. 
Et Turtle se retrouve ainsi privée de nom normal, de libre-arbitre, sujette à une vigilance constante, une attention absolue, et à un père dont l'on comprend très vite que le comportement a basculé depuis longtemps vers l'ineffable et l'impardonnable. 

C'est cette relation malsaine, violente et insidieuse que Gabriel Tallent cherche à décortiquer dans son roman, à travers le choix d'une narration à la troisième personne déstabilisante au premier abord, mais qui ne va en réalité que mettre encore plus en lumière le détachement émotionnel et le délabrement interne que subit Turtle. 
Petit à petit, on découvre le quotidien de la jeune fille rompue au maniement des armes et habituée à tout considérer avec une froideur mécanique : le collège où tout n'est que silence et incompréhension, la maison où tout se passe, son père, le seul être à lui avoir jamais donné la moindre définition de ce qu'est l'amour. 

Un amour-danger, un amour-tout-ou-rien, un amour malade, c'est évident pour le lecteur. 
Mais Turtle n'a jamais connu que ça.
Turtle n'a eu droit qu'à une seule histoire. 

La plume de Gabriel Tallent est en perpétuelle mutation et s'adapte aux différents moments du récit : extrêmement précise et fourmillant d'adjectifs lorsqu'il s'agit de décrire la forêt nord-californienne dans laquelle Turtle évolue, mais aussi froide et chirurgicale lorsque la jeune fille rentre en mode "pilote automatique", horrifiante et cruelle lorsqu'elle dépeint les scènes les plus éprouvantes, et puis apaisée lorsque le calme revient après la tempête. Elle peut se faire un peu sèche parfois, et on pourra critiquer le choix de mots parfois très cru de Tallent, mais j'ai personnellement trouvé un sens à cette démarche, qui permet en réalité de faire des mots le reflet de la souffrance vécue par l'adolescente. Tout malmène le lecteur : les phrases ciselées et implacables, les dialogues au cordeau, les descriptions d'un environnement qui part en lambeaux, et bien évidemment des scènes d'abus si vivaces et si crédibles qu'on les visualise sans même y penser.

En clair, on s'y croit. 
On s'y croit d'autant plus qu'on est épouvanté.

Il est terriblement difficile d'étudier et surtout de montrer la violence en littérature. Comment ne pas sombrer dans quelque chose de gratuit, d'inutilement choquant, comment parvenir à dépasser les actes décrits pour les analyser, comment frapper sans mater, et surtout, surtout, comment parler du vécu, du ressenti, du traumatisme ? 
My Absolute Darling parvient, en tout cas à mes yeux, à dominer de façon absolument impeccable ce parti-pris pourtant hautement périlleux. La violence est présente, évidemment, tant physique que psychologique - et autant vous prévenir tout de suite, ce roman ne s'adresse pas aux plus impressionnables d'entre vous -, mais sans jamais devenir purement sensationnelle ou destinée à choquer pour choquer. Je conçois cependant parfaitement que d'autres lecteurs que moi puissent trouver le propos stérile et inutilement choquant : chacun possède sa propre sensibilité, et si, à mon sens, la violence est avant tout présente à titre cathartique, je peux comprendre qu'elle soit intenable pour d'autres. 

My Absolute Darling n'est pas un manuel universel de la violence et de la réponse unique qu'il faut adopter face à la maltraitance, pas plus que son héroïne n'adopte le "seul" comportement possible en tant que victime. C'est une histoire, une fiction, un possible terriblement convaincant, jamais complaisante vis-à-vis des faits qu'elle décrit, jamais voyeuse, c'est en réalité un dilemme moral. Bien évidemment, le personnage de Martin n'est jamais excusé pour les abominations qu'il commet, le dilemme moral ne se pose pas vis-à-vis de lui mais des habitants de la ville, qui devinent très bien ce qu'il se passe mais n'agissent pas, là où le lecteur n'a pas le choix et doit accepter la terrible vérité que Gabriel Tallent lui décrit dès le départ.

On doit poursuivre. On doit assumer. 

On vit véritablement les faits, on s'oublie à travers les mots, et on se retrouve à agripper le livre en serrant les dents et en suppliant le narrateur ou les personnages secondaires de faire quelque chose pour Turtle, de faire cesser tout ça, de mettre un terme à la violence. 

Parce qu'il faut y mettre un terme, il faut que cela cesse, il faut pouvoir reconstruire. 
Et My Absolute Darling le fait. C'est un livre d'horreurs comme de réparations, et c'est bien là qu'il est le plus brillant.

En donnant cette réponse à l'horreur, il permet à la catharsis de s'accomplir, au lecteur de ressortir purifié et enrichi de cette épreuve. On referme My Absolute Darling haletant et ému, soufflé par l'ambition de son auteur et l'intransigeance de son propos. L'oeuvre a un but : mettre ses lecteurs face-à-face avec le pire de la nature humaine, le mal absolu, et le forcer à le regarder bien droit dans les yeux pendant plus de 430 pages, sans issue de secours, sans moyen de se voiler la face comme le font les personnages secondaires. C'est triste, c'est terrible, c'est éprouvant à plus d'un titre, mais, mes amis, c'est fort. C'est de la littérature : une vision, une exigence, une puissance. 

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