Les Dames de Kimoto de Sawako Ariyoshi - Chronique n°454

Titre : Les Dames de Kimoto
Autrice : Sawako Ariyoshi
Editions : Folio
Genre : Historique
Lu en : français
Nombre de pages : 320
Résumé : «Le mont Kudo était encore voilé par les brumes matinales de ce début de printemps. La main serrée dans celle de sa grand-mère, Hana franchissait les dernières marches de pierre menant au temple Jison. L’étreinte de la main autour de la sienne lui rappelait que, maintenant qu’elle allait être admise comme bru dans une nouvelle famille, elle cesserait d’appartenir à celle où elle avait vécu les vingt années de son existence.» 

À travers le récit des amours, des passions et des drames vécus par trois femmes de générations différentes, Les dames de Kimoto dresse un tableau subtil et saisissant de la condition féminine au Japon depuis la fin du XIXe siècle.
--------------------------------------------------

Parfois, il faut juste se faire confiance, prendre le premier livre qui vient, et se laisser emporter. C'est ce que j'ai fait avec Les Dames de Kimoto, sur un coup de tête total et absolu, motivée par une vague petite voix qui me disait que ce serait une bonne occasion de découvrir une première plume japonaise. 
Comme vous l'aurez compris, j'ai bien fait d'écouter cette injonction culturelle. Et voici pourquoi.

Les Dames de Kimoto s'annonçait d'après sa quatrième de couverture comme un classique de la littérature japonaise, écoulé à plus de 3 millions d'exemplaires là-bas, et surtout la pierre angulaire de l'oeuvre de l'une des rares femmes écrivaines japonaises du XXème siècle, Sawako Ariyoshi. Son intrigue est simple mais prometteuse : suivre quatre générations de femmes d'une même lignée au fil de leurs vies et de leur époque, les voir s'éloigner, se retrouver, se comparer, et surtout être témoins avec elle de l'évolution de tout un pays. 

Que dit le peuple ? 
Le peuple dit oui.

Vous me direz peut-être, et à raison : tu es gentille Capucine, mais les sagas familiales/multigénérationnelles/fresques historico-intimes, on en a déjà eu des caisses, pourquoi s'en infliger de nouvelles ? 

C'est bien simple : vous serez surpris, ému et touché par ce roman, parce que Les Dames de Kimoto a sa singularité, sa saveur particulière qui vaut le détour et justifie plus qu'amplement qu'on se penche dessus. 

Je suis à peu près aussi compétente en littérature japonaise qu'en mécanique des fluides, mais je vais malgré tout me risquer à affirmer que le roman semble diffuser une tonalité, une atmosphère, une mentalité propre à cette culture. Le temps défile de façon incroyablement fluide, les années s'enroulent à une vitesse vertigineuse mais qui n'en paraît pas moins naturelle, et on vit une sorte d'expérience du temps à mille lieux de celle dont on a l'habitude en tant qu'occidental. Le temps n'est pas fatalité mais continuité, un cycle constant, et ce malgré la modernisation qui s'impose petit-à-petit sur les îles du Japon. 

Les personnages eux-mêmes sont le reflet de cette posture spécifique, malgré leurs personnalités bien distinctes : si Hana est docile et respectueuse de la tradition, Fumio bouillonnante et révoltée, et Hanako curieuse et ouverte d'esprit, toutes semblent partager une même sérénité qui n'a rien de résigné. Ce n'est pas de l'immobilisme, mais la simple certitude que les choses sont telles qu'elles sont, que l'essentiel demeurera présent malgré les années, que l'ordre du monde a un sens et qu'il est foncièrement bon pour le genre humain. 

Pour quitter ces considérations pseudo-métaphysiques et retourner à nos affaires littéraires, le roman en lui-même offre une plume dépouillée mais évocatrice, très tournée vers les éléments naturels du décor, et qui parvient à brosser avec pudeur et beaucoup de justesse les émotions des personnages. Ce n'est pas une surprise, la culture japonaise diffère énormément de la nôtre, et notamment en ce qui concerne l'expression des sentiments et les relations intimes, mais à aucun moment on ne se sent perturbé ou dérangé par ces comportements nouveaux. Au contraire, on se laisse attendrir sans même y penser dès la première page, et sans non plus se fondre avec la mentalité de cette famille, on rentre en véritable connexion avec son vécu et sa façon d'appréhender son monde. 
Et c'est un petit miracle : je suis à peu près la dernière personne sur Terre susceptible de penser que la femme doit rester au foyer pour s'occuper de sa famille, et pourtant, tout en conservant mes convictions, j'ai été capable de rentrer en empathie avec Hana dont la façon de penser est aux antipodes de la mienne. 

Le récit, tout en demeurant classique dans sa narration, est extrêmement prenant et se dévore quasi d'une traite, et ce d'autant plus avec sa chronologie très fluide que j'ai déjà évoquée plus haut. Il permet d'appréhender la culture japonaise à petites touches, par exemple avec la question du féminisme est évidemment sous-jacente au récit, notamment avec la figure très indépendante qu'est Fumio, et il est rafraîchissant de découvrir ce genre de perspectives, certes un peu datée, mais qui mérite de l'attention. 

Les Dames de Kimoto est donc un récit doux, délicat même, tout en retenue mais sans jamais en perdre en intensité pour autant. Il permet de découvrir de nouveaux moyens de raconter une histoire, des traditions dont on n'a pas idée, et tout simplement des personnages auxquels on ne peut décemment que s'attacher. C'est prenant, c'est carrément empreint de nostalgie mais jamais déprimant, et surtout, touchant à plus d'un titre. 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]

J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda - Chronique n°517

Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

U4 – Koridwen d'Yves Grevet — Chronique n°120

Le Choix d'Isabelle Hanne [Littérature]