Last Night in Soho d'Edgar Wright - [Cinéma]

Titre : Last Night in Soho
Réalisateur : Edgar Wright
Date de sortie (France) : 26 octobre 2021
Durée : 1h56
Résumé : 
Une jeune étudiante en stylisme se découvre capable de se rendre dans les années 1960, où elle rencontre une femme à la beauté éblouissante rêvant de devenir chanteuse. Cependant, le luxe qu'elle découvre n'est pas tout ce qu'il semble être, et les rêves du passé commencent à se transformer en quelque chose de bien plus sombre.

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Qu'on se le dise : j'ai un énorme problème avec les couleurs, c'est très grave, possiblement l'unique trait de personnalité qu'il me restera d'ici huit mois, j'en suis au stade où je me refuse à sortir si je ne porte pas au moins une couleur vive sur ma personne, je considère qu'il s'agit d'une question de respect de moi et je ne transige pas sur ce principe.

Bon.

Cette passion se transcrit dans de multiples domaines, de la photographie à l'écriture, mais aussi et surtout au cinéma, où, je ne vais pas vous mentir, elle oriente et colore (oups) assez souvent mes goûts et mes préférences. Il va donc sans dire que face à des affiches comme celles de Last Night in Soho, additionnées à un message lapidairement et radicalement efficace de mon frère ("Capu, vas-y, y a des couleurs partout"), je n'ai guère eu d'autre choix que de me ruer dans l'une des étonnamment rares salles de Paris à jouer le film (un scandale, au moins).

Mon verdict esthétique est d'une prévisibilité confondante, mais pas moins enthousiaste : c'est sublime. Le premier tiers du film, diablement prometteur, livre le meilleur de ce à quoi Edgar Wright a habitué son public : montage ciselé, bande-son à s'en pourlécher les babines (auditives), narration ultra efficace, esthétique marquée, choix visuels ingénieux, inventivité de chaque instant, bref, une grosse première demi-heure qui pose le décor avec brio. On s'attache d'emblée au personnage innocent sans être mièvre d'Ellie, qui débarque à Londres pour commencer de prestigieuses études en stylisme et se retrouve bien vite confrontée à la jalousie, à la mesquinerie, à la brutalité aussi, de la ville et de ceux qui y ont leurs marques. A la faveur d'un déménagement inopiné, elle se découvre capable de voyager dans le temps la nuit et d'arpenter le Londres des années 1960, sa période de prédilection, qui l'inspire et l'exalte depuis toujours. Mais si ces explorations nocturnes l'enchantent dans un premier temps, elles s'avèrent bien vite particulièrement éprouvantes pour la jeune fille - tsam tsam tsam. 

On accueille l'irruption de cet élément fantastique avec enthousiasme, Last Night in Soho ayant été vendu comme un film d'horreur, du moins un thriller horrifique. L'intrigue se complexifie alors, multiplie les variations autour du thème du double, de la jumelle, de la grande soeur, et crée un arc d'une grande intensité autour de la rencontre, puis de la fascination d'Ellie pour une jeune femme, Sandie, dont elle est l'ombre et le reflet lors de ses explorations nocturnes dans le passé. Sandie est tout ce qu'Ellie rêve d'être : extravertie, séductrice, talentueuse, douée en chant, en danse, sûre d'elle, affirmée. Elle parcourt les cafés de la capitale dans l'espoir d'être repérée pour ses facultés artistiques, et rêve d'une carrière prestigieuse. Se crée un dialogue exaltant entre Ellie et Sandie, un peu unilatéral certes, mais formateur pour la jeune styliste, qui bascule dans une forme de frénésie créatrice en adoptant l'allure, la coiffure, les goûts musicaux de la jeune chanteuse. Mais bien sûr, la curiosité vire vite à l'obsession, et le rêve se teinte d'aspects de plus en plus inquiétants au fur et à mesure qu'Ellie comme Sandie perdent la main sur leur histoire, et que la ville, ses figures de pouvoir et ses institutions en font leurs pions.

Le film entre alors dans un tronçon central un peu balourd qui multiplie les jumpscares sans grande intelligence, au point de susciter un rictus las davantage qu'un frisson, et un dénouement sous amphétamines, dense au point qu'on voit presque ses coutures craquer, qui sort les grosses ficelles, les cordages marins dirais-je même, pour clore son intrigue avec la délicatesse que j'ai moi-même lorsque je tente d'emballer un cadeau, c'est-à-dire vraiment très peu. Le ton est sacrément déceptif, notamment parce qu'il se refuse à trancher, et alterne constamment entre le comique, voire le burlesque (sans qu'on sache vraiment s'il est délibéré ou non), le drame (avec des références un peu artificielles à l'histoire familiale douloureuse d'Ellie, ou une insistance pas très subtile sur le calvaire d'une Sandie qui subit la domination des hommes qui régissent le showbiz londonien), l'horreur (et c'est vraiment là que le bât blesse, si Wright tenait à faire un film d'horreur, il fallait y aller bien plus que ça, de façon bien plus assumée, et surtout moins grotesque - les jumpscares font figure de pastiche plus que de réelle intention d'auteur, l'atmosphère n'a pas le temps de devenir effrayante tant le film est bavard, dense, surchargé, et le sentiment de peur n'éclot jamais, bien souvent parasité par l'amusement un peu las d'un spectateur qui est déjà là depuis 1h30 et qui a du mal à redouter ces monstres, présentés de face en éclairage complet dès leur première apparition), et le thriller (un angle pourquoi pas prometteur, mais complètement désamorcé par une décevante scène finale de grand-méchant-qui-raconte-son-plan-dans-les-détails-et-choisit-une-façon-extrêmement-lente-et-détournée-et-stupide-de-tuer-le-héros-alors-qu'en-soi-il-suffisait-de-lui-tirer-une-balle-et-c'était-plié-n'importe-quel-assassin-un-peu-respectueux-du-code-déontologique-de-la-profession-l'aurait-fait-en-tout-cas). Le tout est saupoudré de notes assez malvenues de comédie romantique (le duo est chouette, mais vraiment, il n'a pas sa place dans le film, et quitte à créer une relation amoureuse, il s'agit de la rendre cohérente et crois-moi Edgar Wright personne n'accepterait de continuer à fréquenter et soutenir une quasi inconnue qui commet les actes qu'Ellie commet dans le film et raconte les trucs qu'Ellie raconte dans le film, je veux bien suspendre mon incrédulité mais là vraiment ce degré de confiance aveugle que porte le love interest d'Ellie à sa dulcinée c'est soit de la bêtise soit de la mauvaise foi de scénariste). A choisir, si Edgar Wright avait eu l'excellent goût de me recruter comme consultante (laissez-moi rêver), je lui aurais fortement recommandé d'y aller bien plus franchement dans l'horreur, de couper certains développements mélo pas forcément pertinents, et surtout de suggérer bien davantage, d'en montrer moins. L'ambiguïté "le personnage a-t-il des hallucinations ou s'agit-il bien d'événements paranormaux" est particulièrement complexe à gérer, et le fait que Wright insiste lourdement sur les problèmes de santé mentale récurrents dans la famille d'Ellie n'aide pas franchement à se laisser convaincre de la potentielle dangerosité de la situation, rendant le changement tonal de la fin du film bizarrement incohérent, au point qu'on a le sentiment que l'explication un peu trop facilement rationnelle et pragmatique ne suffit pas à tout résoudre. 

Le tout reste cela dit sincèrement divertissant, traversé par de vrais moments de grâce, cette image sublime qui sauve réellement l'ensemble et permet au spectateur de rester accroché même dans les escalades de grand n'importe quoi (je mets au défi quiconque d'avoir vraiment peur - et là encore, on peut faire un film d'horreur qui ne fait pas peur, ça peut même être très intéressant et subtil, mais dans ce cas il faut assumer et ne pas chercher à provoquer des sursauts un peu cheap comme il me semble que le réalisateur cherche à le faire, non pas que je veuille faire un procès d'intentions à Edgar Wright attention, il manie extrêmement bien les projecteurs de couleur et ça mérite tout le respect du monde, simplement ses virages à 90 degrés en termes de ton ne me paraissent pas toujours bien aiguillés).

Reste enfin à commenter le parti pris féministe, du moins antisexiste du film : qu'on se le dise, ce n'est pas fait dans la dentelle, ça n'a pas lu différents essais de différentes théoriciennes de différentes militantes, mais ça n'est pas le lieu et ce serait de la mauvaise foi que de le reprocher à une oeuvre qui, au fond, fait de son mieux pour donner corps et émotion à une oppression véritable, à un système qui se perpétue malgré les années, et pour raconter le sentiment de peur, réel et partagé, que la domination masculine nourrit chez de nombreuses femmes, à des degrés et pour des raisons diverses. De façon générale, je trouve l'idée de femmes retournant la violence des hommes contre eux dans des oeuvres de fiction souvent caricaturale en général dans ce que l'on peut voir sur les écrans, et Edgar Wright ne fait pas figure d'exception avec ses gentils très gentils et ses méchants très méchants, mais dans les tous derniers instants de son grand final d'action, il trouve une forme d'émotion, d'ambiguïté, qui me plaît assez et me paraît finalement relativement juste. Une excellente découverte visuelle, une belle séance de cinéma tout en sensations et en émerveillements, et une histoire parfois un peu bancale ou balourde à laquelle on pardonne sans souci ses raccourcis au vu de sa fraîcheur et de son enthousiasme.

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