Une Odyssée de Daniel Mendelsohn - Chronique n°532

Titre : Une Odyssée | Un père, un fils, une épopée
Auteur : Daniel Mendelsohn
Genre : Contemporain | Autofiction | Honnêtement assez inclassable
Editions : Flammarion | J'ai Lu
Lu en : français
Traduit par : Clotilde Meyer, Isabelle D. Taudière
Date de parution : 2017
Résumé : 
Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père.


---------------------------------------------------------------

Ce livre.
Est une étrangeté.
Dont je suis vraiment, vraiment ravie qu'elle existe.

Elle est inclassable, cette Odyssée, à mi-chemin entre l'essai et le roman, trop précise pour relever de l'autofiction, trop concentrée pour qu'il puisse s'agir d'une autobiographie. C'est en quelque sorte un récit, mais aussi une profonde analyse littéraire d'une oeuvre d'une densité folle, bref, incroyable, précieuse et captivante somme de savoirs, de réflexions et de remises en perspective. On y trouve bien sûr une analyse poussée mais accessible de L'Odyssée d'Homère en elle-même, mais aussi de toute la littérature antique et de sa portée jusqu'à nos jours, et enfin de la relation entre l'auteur, Daniel Mendelsohn, et son père Jay, récemment disparu.

C'est avec Jay que commence en effet le récit, lorsque celui-ci, octogénaire déjà, demande à son professeur de fils (Daniel donc) s'il peut assister au cours qu'il s'apprête à donner au semestre de printemps. Daniel s'en trouve un peu étonné, son père n'ayant jamais étudié ni le grec ni la littérature antique (ce que les anglophones appellent les Classical Studies), mais finit par accepter, touché par cette demande. Il faut dire que lui et Jay ont certes eu une relation aimante, mais parfois chahutée, voire complexe. Jay a été absent, longtemps, dur, souvent, taiseux, pratiquement tout le temps, curieux malgré tout, attentif à ce que ses enfants ne manquent de rien, hâtif dans ses jugements cela dit. Ce séminaire, ce cours auquel le très retraité Jay n'a pourtant a priori rien à faire, c'est aussi (peut-être) l'occasion pour le père et le fils de partager un beau moment ensemble, de se voir chaque semaine, d'échanger, de se retrouver autour de la passion de l'un et d'une frustration (Jay n'ayant jamais pu poursuivre l'étude du latin pour une raison encore un peu floue).

Et c'est.
Captivant.

Alors, je le précise tout de suite, j'ai fait neuf ans de latin et quatre ans de grec, ça me manque terriblement à l'heure actuelle, et je pense très sérieusement à continuer d'étudier ces deux merveilleuses langues de mon côté quand bien même ça n'aura strictement aucun lien avec mon (vague) projet professionnel.
J'aime, passionnément, à la folie, le latin et le grec, le grec surtout (désolée le latin, toi et moi on s'aime fort, mais le grec ancien c'est encore autre chose). Alors forcément, pour moi, un bouquin comme celui-ci, c'est une pure sucrerie.
Mais même pour quelqu'un de moins frappadingue que moi, je vous le garantis, cet ouvrage a tout de captivant.

Ce que l'Odyssée de Mendelsohn a d'admirable, c'est qu'elle a quelque chose à apporter à absolument chacun de ses lecteurs, que celui-ci soit déjà initié de près ou de loin à l'Odyssée d'Homère, soit venu pour l'histoire du rapprochement entre le père et le fils, ou soit simplement curieux d'en apprendre davantage quant au monde de la littérature antique, et de la Grèce antique en particulier. Le texte est à la fois très précis, très détaillé, très érudit, et vraiment accessible, clair dans son propos, admirablement traduit, synthétique, bref, en un mot maîtrisé. Mendelsohn parvient de façon assez admirable à mêler l'intime (son histoire familiale) à l'universel (l'étude et la portée d'une oeuvre comme celle d'Homère, le monde de l'académie, du professorat en général, et le thème même de la transmission, de la mémoire, de l'héritage). Tout se mêle, se traverse, se répond, mû par une structure claire de laquelle l'auteur ne se détourne jamais, sans créer de lassitude pour autant, bien au contraire. On suit à la fois le déroulé du cours en lui-même, mais aussi "l'historique" de la relation entre Jay et Daniel, et enfin la croisière que père et fils décideront plus tard de faire ensemble autour de l'itinéraire d'Ulysse vers Ithaque. C'est d'une spontanéité, d'une justesse et d'une sobriété telles qu'on n'a honnêtement d'autre choix que de se prendre de tendresse pour les protagonistes, de passion pour le contenu théorique de l'ouvrage, et de curiosité pour le mélange unique et incroyablement pertinent que l'auteur opère à partir de la mise en parallèle de toutes ces thématiques. 

On aurait du mal à voir dans ce petit pavé une lecture de vacances, mais c'est pourtant ce que ce livre a été pour moi, une évasion, une immersion profonde et exigeante dans un univers à la fois très dépaysant et totalement familier. C'est là l'effet (à mon sens magique) de la culture antique : assez éloignée de nous pour qu'on la fantasme et qu'on y trouve un côté exotique, mais bien trop proche de notre culture, de nos références et de notre conception du monde pour qu'on n'y trouve pas une sorte de réconfort. Une Odyssée est précisément un réconfort, à la fois littéraire, culturel et humain, une parenthèse incroyable d'empathie et de transmission où l'idée de mémoire trouve un sens nouveau, à la fois intime et collectif. Fantastique !

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]

J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda - Chronique n°517

Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

U4 – Koridwen d'Yves Grevet — Chronique n°120

Le Choix d'Isabelle Hanne [Littérature]