Loin d'Alexis Michalik - Chronique n°509

Titre : Loin
Auteur : Alexis Michalik
Editions : Albin Michel
Genre : Contemporain 
Lu en : français
Date de parution : 2019
Nombre de pages : 642
Résumé :
 Tout commence par quelques mots griffonnés au dos d'une carte postale : "Je pense à vous, je vous aime." Ils sont signés de Charles, le père d'Antoine, parti vingt ans plus tôt sans laisser d'adresse. Avec son meilleur ami, Laurent, apprenti journaliste, et Anna, sa jeune soeur complètement déjantée, Antoine part sur les traces de ce père fantôme. C'est l'affaire d'une semaine, pense-t-il... De l'ex-Allemagne de l'Est à la Turquie d'Atatürk, de la Géorgie de Staline à l'Autriche nazie, de rebondissements en coups de théâtre, les voici partis pour un road movie généalogique et chaotique à la recherche de leurs origines insoupçonnées.

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C'était une lecture de circonstance, en ces temps où l'on étouffe un peu chez soi, même si c'est de bonne grâce, et avec raison et conviction. 

On aspire à autre chose. On aspire aux Grandes Vérités avec des majuscules. On aspire au Loin, finalement, tout comme les personnages de Michalik dans ce premier roman au volume assez impressionnant et à l'ambition non moins époustouflante.
(Admirez la fluidité de cette transition).
On fait ainsi la connaissance de Laurent, narrateur inconstant qui s'amuse à se retirer du récit quand bon lui semble pour adopter un point de vue extérieur, de son meilleur ami Antoine, jeune avocat bien sous tous rapports, fiancé à l'amour de sa vie, terrorisé par l'inconnu (surtout quand celui-ci se matérialise sous la forme d'un avion), et de la soeur de ce dernier, Anna, pas même vingt ans, et un potentiel inédit à se moquer de son frère et à faire la fête de mille et unes façons aussi dangereuses qu'excitantes.

Tous trois ont un rapport bien particulier à l'ailleurs. Laurent s'y est perpétuellement fait renvoyer, métis d'origine camerounaise élevé en Bretagne, jamais assez passe-partout, toujours trop exotique. A force de tenter d'en faire une force, il s'en accommode, mais le fait reste là : on semble constamment le pousser vers la sortie. Anna, elle, ne rêve que de ça, l'audace, l'aventure, l'impossible, le danger surtout, et peu importe ce qu'on en dira, peu importe si à force de fuir, elle ne trouve pas toujours grand-chose. Antoine, lui, est bloqué, au point qu'il ne parvient même pas à le reconnaître, empêtré dans ses convictions un peu artificielles, dans un mode de vie qui pourrait en soi convenir à d'autres, mais qui le rend profondément malheureux.

Le statu quo aurait pu se prolonger indéfiniment, sans un certain nombre de révélations perturbantes, à commencer par une carte postale mystérieuse, égarée par la Poste pendant près de vingt ans et un jour envoyée à un Antoine ébahi, qui y découvre quelques mots d'un père qu'il n'a jamais connu. Il a beau s'être répété toute sa vie que son absence n'importait guère et qu'il saurait se construire sans figure paternelle, ce signe de vie, ça le chamboule, d'autant plus que plus il creuse, et plus il s'avère que ledit père a mené une existence bien plus mystérieuse que ce qu'on a bien voulu lui raconter.

Alors il part.
Avec Laurent, Anna, avec plus ou moins de transparence, d'enthousiasme, d'assurance, l'essentiel, c'est de partir, de voir ce qu'il y trouvera, et puis pourquoi pas, de s'y trouver au passage.

Le roman met un peu de temps à démarrer, à force de digressions un peu éparses (quoique très amusantes en toute honnêteté) sur la dimension comparative des vies amoureuses respectives de Laurent et d'Antoine, mais quand il se lance enfin sur le chemin sinueux de sa propre intrigue, c'est quelque chose. Ca part dans toutes les directions, toutes les époques et toutes les thématiques possibles et imaginables, ça part de famille, d'amour, de haine, de guerre, de nationalistes, d'apatrides, d'amitié, beaucoup, de promesses, de secrets, de faux noms (tellement), d'enfants, de dissimulations, de petits miracles, ça envoie le lecteur valdinguer d'un bord à l'autre de l'Europe, ça brosse la fin du XXème siècle, puis l'Autriche face au précipice du nazisme, ou encore la Turquie, la Première Guerre mondiale, les troubles d'un continent tout entier déchiré. 

C'est quelque chose.


On retrouve la plume fantasque et nerveuse d'un auteur habitué à l'énergie du théâtre et à ses dialogues piquants, doué pour structurer son récit d'une façon qui pousse toujours le lecteur à grappiller quelques pages (et quelques informations) supplémentaires. Les décors s'enchaînent, de même que les époques, avec une clarté tout à fait satisfaisantes pour un roman d'une ambition pareille. Ça fuse dans tous les sens, et on en retire en tant que lecteur une grande satisfaction : on sait pourquoi on lit, on sent que ça avance, et qu'à chaque étape il se joue encore tout un tas de secrets dont on ne sait rien et qu'on s'apprête à découvrir.

C'est survolté, certes, ça pourrait peut-être même tourner à l'étourdissement chez certain.e.s, mais on y trouve avant tout ce vertige caractéristique du voyage, cette façon que l'on a d'avancer avec confiance et excitation quand bien même on n'a aucune idée de là où l'on met les pieds et encore moins de là où on les mettra dans un avenir immédiat, quand bien même il nous manque des informations, quand bien même on peut redouter de voir son itinéraire prendre un détour imprévu. On part à l'aventure, avec tout ce que cela implique de tâtonnements, et le tout est mené avec un tel enthousiasme et un tel dynamisme par l'auteur qu'on n'a, honnêtement, pas le choix d'accrocher ou non. Très réussi !



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