Lolita de Vladimir Nabokov - Chronique n°468

Titre : Lolita
Auteur : Vladimir Nabokov
Résultat de recherche d'images pour "lolita penguin"Editions : Penguin Books
Lu en : anglais
Nombre de pages : 320
Résumé : Humbert Humbert - scholar, aesthete and romantic - has fallen completely and utterly in love with Lolita Haze, his landlady's gum-snapping, silky skinned twelve-year-old daughter. Reluctantly agreeing to marry Mrs Haze just to be close to Lolita, Humbert suffers greatly in the pursuit of romance; but when Lo herself starts looking for attention elsewhere, he will carry her off on a desperate cross-country misadventure, all in the name of Love. Hilarious, flamboyant, heart-breaking and full of ingenious word play, Lolita is an immaculate, unforgettable masterpiece of obsession, delusion and lust.

Lolita (Folio)------------------------------------------------------

Existe également en français
Titre : Lolita
Editions : Folio
Résumé : " Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois reprises, contre les dents. Lo. Lii. Ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolorès sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita. "

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Il est peu de sensations aussi exquises que de voir ses certitudes confirmées.
Notamment, bien sûr, lorsque lesdites certitudes concernent des objets littéraires.

J'avais pour ma part la certitude assez affirmée que Lolita de Nabokov, le jour où je me déciderais enfin à le lire, me plairait. Mieux, qu'il intégrerait par la grande porte mon panthéon littéraire personnel. 
Alors, en ce cas, pourquoi avoir tardé à découvrir ce monument du XXème siècle ? Par appréhension ? Par flemme ? Sans doute un mélange des deux. Mais le fait est que, enfin, j'ai lu Lolita

Et comme prévu, c'était fabuleux.

Lolita, c'est avant tout l'un des meilleurs incipits qu'il m'ait été donné de découvrir. Tenez, juste pour le plaisir : 
“Lolita, light of my life, fire of my loins. My sin, my soul. Lo-lee-ta: the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three, on the teeth. Lo. Lee. Ta. She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita. Did she have a precursor? She did, indeed she did. In point of fact, there might have been no Lolita at all had I not loved, one summer, an initial girl-child. In a princedom by the sea. Oh when? About as many years before Lolita was born as my age was that summer. You can always count on a murderer for a fancy prose style. Ladies and gentlemen of the jury, exhibit number one is what the seraphs, the misinformed, simple, noble-winged seraphs, envied. Look at this tangle of thorns.”
Assonances, rythmes ternaires, ton saccadé, jeu sur les mots, les images, flux de pensées insaisissables, vivacité d'esprit, associations d'idées, insolence, ludisme, ironie, et surtout, ce qui fait le sel du roman, une passion détachée, un détachement passionné, on ne saurait trancher entre les deux, mais un curieux mélange d'obsession et de résignation, de fusion et d'éloignement amusé.

Dès les premières lignes du roman, vous savez à quoi vous attendre. Vous l'avez, face à vous, Humbert Humbert, narrateur génial s'il est, dont toutes les caractéristiques semblent concorder vers un personnage universellement détestable, mais que l'on se surprend à apprécier, voire à soutenir dans ses entreprises toutes plus déplacées les unes que les autres.

Pas de dissimulation : Humbert ne s'en cache pas, il fonctionne par fixettes, par schémas, par affections. Il est malade, sans doute, mais ça ne l'empêchera pas de vivre, il est malheureux, peut-être, il ne se l'avouera jamais, et ce n'est certainement pas une raison pour ne pas se précipiter dans des jeux de roulette russe toujours plus risqués.

Humbert, c'est l'idolâtre ultime de la "nymphette", cette jeune fille à mi-chemin entre l'enfance et l'adolescence, âgée d'entre neuf et quatorze ans, "créature élue" par son admirateur, dont l'âge avoisine le "triple ou le quintuple" de celui de l'élue de son cœur. C'est là le fondament de ce qui a fait de ce roman un roman à scandale, un roman qui dérange, qui scandalise peut-être même encore, un roman qui retrace l'histoire d'amour passionnelle et malsaine entre un homme de trente-sept ans et une jeune fille de pas même treize ans.

Humbert est à la dérive. Humbert rencontre Lolita. Humbert déraille, s'enthousiasme, se passionne. Humbert a trouvé un nouveau but à sa vie. Un but en trois syllabes.

Le génie de Nabokov est incontestable : le portrait qu'il fait de son narrateur est si juste, si implacable, si complètement et richement pensé que le personnage s'impose comme une évidence à la limite de la référence, et que l'on se retrouve embarqué avec un plaisir à moitié avoué dans son entreprise insensée.

Lolita se divise en autant de parties que les trois syllabes du nom adoré, chacune un peu plus profondément enfoncée dans le drame qui encercle Lolita et Humbert, chacune un peu plus hypnotique, chacune un peu plus sombre. On les dévore à une vitesse quasi supersonique - affirmation à peine exagérée - du fait de la fluidité de la plume de l'auteur, de la façon quasi liquide avec laquelle le flot des pensées d'Humbert s'écoule. C'est magique, mécanique : on pénètre son psyché, sa logique, sa façon de voir les choses, à un tel point que s'en détacher devient un effort. 

C'est tragique, lyrique, cynique, c'est un ébouriffant mélange de provocation morale et de séduction sensorielle. Nabokov manipule un lecteur dont il sait pertinemment qu'il est en proie à un certain malaise face à une situation clairement criminelle, mais dont on devient si familier qu'on se surprend à vouloir la comprendre, y voir plus que cela.

La forme même de l'ouvrage est plus que bien trouvée, et se révèle propice à tout un cadre d'analyses passionnantes. Le récit est en effet celui d'Humbert, incarcéré, qui retrace au fil de la plume ses mémoires à la veille de son procès. Le narrateur est moins que fiable, ses intentions floues. Tout voudrait qu'il manipule les faits sous un jour qui lui soit favorable, mais tout résonne de spontanéité, de défi même. Humbert donne le sentiment de tout déballer d'un coup, comme par provocation, pour laisser stupéfaits ses lecteurs devenus jurés.

C'est là encore le génie de Lolita : laisser son lectorat face à une interrogation massive, celle de la vérité ou du mensonge. Que croire, pourquoi, quelles étaient les intentions d'une telle confession ? Et comment nier que ce que l'on choisira de croire veut sans doute en dire plus sur soi-même que sur Humbert ? 

Humbert n'a plus rien à faire, il est fichu, en somme. En revanche, il peut se moquer une dernière fois, semer la zizanie comme il aime tant le faire, briser des codes pour lesquels il n'a jamais éprouvé que du mépris.
Et il y arrive sacrément bien.

Lolita, au-delà d'être un chef-d'oeuvre de maîtrise littéraire, s'offre donc comme un dilemme alors même que l'on ne devrait pas avoir le moindre doute face à une telle relation. C'est un roman captivant, foisonnant, à la fois fluide, évident, mais aussi incroyablement dense, qui mériterait de nombreuses relectures. C'est une fascinante dissection de l'amour, entre l'amour obsessif mais sincère de la première partie, l'amour maladif et intéressé de la deuxième, l'amour blessé et humilié de la dernière, qui désarçonne et interroge. C'est une histoire d'(a)moralité, bien sûr, mais plus encore que cela, un récit brillant dont l'on voudrait plus que tout avoir la voix en miroir, la version des faits de Lolita, cette enfant papillonnante et perturbante dont les intentions importent peu dans un contexte juridique (puisque le crime de pédophilie est incontestable), mais que le lecteur curieux voudrait plus que tout pouvoir enfin comprendre.

Lolita, en un mot, c'est génial.
En deux mots, génial et fou.
A la lisière entre la folie douce et la folie sombre, une expérience, un livre à faire circuler pour pouvoir en discuter des heures durant. Foncez.


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