Gabriële d'Anne et Claire Berest - Chronique n°459
Titre : Gabriële
Autrices : Anne et Claire Berest
Genre : Biographie
Editions : Le Livre de Poche
Lu en : français
Résumé : Septembre 1908. Gabriële Buffet, une jeune femme de vingt-sept ans, indépendante, musicienne, féministe avant l'heure, rencontre Francis Picabia, un peintre à succès et à la réputation sulfureuse. Il avait besoin d'un renouveau dans son œuvre, elle est prête à briser les carcans : insuffler, faire réfléchir, théoriser. Elle devient « la femme au cerveau érotique » qui met tous les hommes à genoux, dont Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire. Entre Paris, New York, Berlin, Zurich, Barcelone, Étival et Saint-Tropez, Gabriële guide les précurseurs de l'art abstrait, des futuristes, des Dada, toujours à la pointe des avancées artistiques.
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Il est de ces histoires merveilleuses dont l'on n'entend jamais parler, par une injustice historique, un biais inexplicable, un bug technique de la logique de l'Univers.
Celle de Gabriële Buffet en fait partie.
Enfin, en faisait partie, puisque grâce à deux de ses arrière-petites-filles, sa vie est désormais retracée, inscrite entre les quelques 480 pages d'un roman dense, passionné, prenant.
Désormais, Gabriële appartient à l'histoire, elle aussi.
Gabriële, c'est cette femme dont l'orthographe du nom - qu'elle s'est choisi elle-même - peut laisser perplexe, qui a surtout décidé de ne jamais se laisser imposer quoi que ce soit dans sa vie, et de toujours se laisser la possibilité de choisir, de bifurquer, de tout renverser, de repartir de zéro.
Elle naît au crépuscule du XIXème siècle, se destine à une carrière de grande compositrice à une époque où la plupart des écoles de musique sont obstinément fermées aux femmes, voyage, se refuse à se marier, jusqu'au jour où elle rencontre le peintre Francis Picabia, coqueluche des salons de peinture, jeune millionnaire en puissance, pasionaria insolente et géniale. Gabriële le sait, très vite : sa vie, elle la passera aux côtés de Francis, pour le meilleur et pour le pire, dans la popularité, la solitude, dans les périodes de vache maigre comme dans celles où la critique se pâmera d'admiration pour le talent du peintre.
Elle a déjà fait son choix.
Alors elle l'épouse, elle s'installe avec lui, elle le conseille, elle le porte, et bientôt, elle se fond avec lui dans une bande d'amis un peu fous et surtout formidables, dont les noms résonnent pour nous comme des légendes : Marcel Duchamp, Guillaume Apollinaire, André Breton, Marie Laurencin, Luis Bunuel, Jean Cocteau ou encore Pablo Picasso.
C'est ambitieux, comme idée, ce roman qu'est Gabriële. C'est en fait, pour ses deux autrices, s'attaquer au destin d'une femme irrécupérablement insaisissable, mais aussi à celui de leur propre arrière-grand-mère - qu'elles n'ont jamais connue au demeurant -, en cumulant les casquettes de biographes, de romancières, de descendantes, d'inconnues, de familières.
C'est ambitieux, ça aurait pu être périlleux, mais c'est diablement convaincant.
La réussite du roman tient à plusieurs qualités, mais notamment celle-ci : sa passion. On sent derrière ces quelques centaines de pages des mois et des mois de recherches fouillées et appliquées, et plus largement un véritable souci de rendre justice à cette figure hors-normes en point d'en paraître fictive. Les autrices peignent l'époque à grands coups de descriptions fouillées et de portraits attendris, imaginent, connectent, avouent leur ignorance, expliquent, s'extasient. Et le lecteur, forcément, suit.
L'enjeu était aussi et surtout de laisser transparaître toutes les contradictions de Gabriële sans que cela ne fasse d'elle un personnage agaçant ou peu crédible. Mais au contraire, ici, plus la jeune femme hésite et rétropédale, plus on s'attache à elle, plus on se plonge dans ses dilemmes propres à son époque et à son engagement artistique. Bien sûr qu'une femme comme elle veut se dévouer corps et âme à l'art - mais cela laisse-t-il une place pour son grand amour, Picabia ? Bien sûr qu'elle n'aspire qu'à l'indépendance, mais n'a-t-elle pas aussi ce besoin inavoué de soutien, voire de protection ? Bien sûr, on le voit, on le sent, elle aime profondément et foncièrement ses amis, son entourage, mais on perçoit aussi sa soif de solitude, de paix, autant de désirs inconciliables qui se bousculent et se déchaînent le long d'un récit captivant. Comment faire, alors ?
Comment vivre lorsque l'on est Gabriële Buffet et que l'on ne saura jamais se satisfaire de ce que le monde a à offrir, avec ses guerres, ses blocages et ses imperfections ?
C'est un roman brodé d'énergie furieuse et créatrice, celle de Picabia, et d'exigence mature et passionnée, celle de Gabriële, parcouru de piques d'érudition qui ne se teintent jamais de prétention, purement romanesque mais tout aussi riche d'un documentaire, une tragédie aux accents comiques, une biographie qui s'accommode très bien de ses zones d'ombres. Gabriële se lit vite et fort, entraîne son lecteur dans un halo d'extase artistique, de frénésie intellectuelle, d'émerveillement contemplatif, non sans quelques échos nostalgiques. Plus qu'un bel hommage, c'est un texte qui peut devenir une petite expérience si on choisit de l'accompagner de la musique de Debussy, des toiles de Duchamp, Picabia et Picasso, de l'architecture diabolique de New York, des photos de famille disséminées entre les pages. C'est une plongée dans la bande d'amis la plus fascinante et tumultueuse qui soit, les surréalistes, une odyssée artistique un peu chaotique, un destin enfin, celui d'une femme dont on ne savait rien et que l'on voudrait comprendre - un peu -, bref, une lecture douce-amère, qui ouvre tout un tas de portes mais accepte aussi de devoir en laisser certaines closes.
Il est de ces histoires merveilleuses dont l'on n'entend jamais parler, par une injustice historique, un biais inexplicable, un bug technique de la logique de l'Univers.
Celle de Gabriële Buffet en fait partie.
Enfin, en faisait partie, puisque grâce à deux de ses arrière-petites-filles, sa vie est désormais retracée, inscrite entre les quelques 480 pages d'un roman dense, passionné, prenant.
Désormais, Gabriële appartient à l'histoire, elle aussi.
Gabriële, c'est cette femme dont l'orthographe du nom - qu'elle s'est choisi elle-même - peut laisser perplexe, qui a surtout décidé de ne jamais se laisser imposer quoi que ce soit dans sa vie, et de toujours se laisser la possibilité de choisir, de bifurquer, de tout renverser, de repartir de zéro.
Elle naît au crépuscule du XIXème siècle, se destine à une carrière de grande compositrice à une époque où la plupart des écoles de musique sont obstinément fermées aux femmes, voyage, se refuse à se marier, jusqu'au jour où elle rencontre le peintre Francis Picabia, coqueluche des salons de peinture, jeune millionnaire en puissance, pasionaria insolente et géniale. Gabriële le sait, très vite : sa vie, elle la passera aux côtés de Francis, pour le meilleur et pour le pire, dans la popularité, la solitude, dans les périodes de vache maigre comme dans celles où la critique se pâmera d'admiration pour le talent du peintre.
Elle a déjà fait son choix.
Alors elle l'épouse, elle s'installe avec lui, elle le conseille, elle le porte, et bientôt, elle se fond avec lui dans une bande d'amis un peu fous et surtout formidables, dont les noms résonnent pour nous comme des légendes : Marcel Duchamp, Guillaume Apollinaire, André Breton, Marie Laurencin, Luis Bunuel, Jean Cocteau ou encore Pablo Picasso.
(Ne sont-ils pas adorables) |
C'est ambitieux, ça aurait pu être périlleux, mais c'est diablement convaincant.
La réussite du roman tient à plusieurs qualités, mais notamment celle-ci : sa passion. On sent derrière ces quelques centaines de pages des mois et des mois de recherches fouillées et appliquées, et plus largement un véritable souci de rendre justice à cette figure hors-normes en point d'en paraître fictive. Les autrices peignent l'époque à grands coups de descriptions fouillées et de portraits attendris, imaginent, connectent, avouent leur ignorance, expliquent, s'extasient. Et le lecteur, forcément, suit.
L'enjeu était aussi et surtout de laisser transparaître toutes les contradictions de Gabriële sans que cela ne fasse d'elle un personnage agaçant ou peu crédible. Mais au contraire, ici, plus la jeune femme hésite et rétropédale, plus on s'attache à elle, plus on se plonge dans ses dilemmes propres à son époque et à son engagement artistique. Bien sûr qu'une femme comme elle veut se dévouer corps et âme à l'art - mais cela laisse-t-il une place pour son grand amour, Picabia ? Bien sûr qu'elle n'aspire qu'à l'indépendance, mais n'a-t-elle pas aussi ce besoin inavoué de soutien, voire de protection ? Bien sûr, on le voit, on le sent, elle aime profondément et foncièrement ses amis, son entourage, mais on perçoit aussi sa soif de solitude, de paix, autant de désirs inconciliables qui se bousculent et se déchaînent le long d'un récit captivant. Comment faire, alors ?
Comment vivre lorsque l'on est Gabriële Buffet et que l'on ne saura jamais se satisfaire de ce que le monde a à offrir, avec ses guerres, ses blocages et ses imperfections ?
C'est un roman brodé d'énergie furieuse et créatrice, celle de Picabia, et d'exigence mature et passionnée, celle de Gabriële, parcouru de piques d'érudition qui ne se teintent jamais de prétention, purement romanesque mais tout aussi riche d'un documentaire, une tragédie aux accents comiques, une biographie qui s'accommode très bien de ses zones d'ombres. Gabriële se lit vite et fort, entraîne son lecteur dans un halo d'extase artistique, de frénésie intellectuelle, d'émerveillement contemplatif, non sans quelques échos nostalgiques. Plus qu'un bel hommage, c'est un texte qui peut devenir une petite expérience si on choisit de l'accompagner de la musique de Debussy, des toiles de Duchamp, Picabia et Picasso, de l'architecture diabolique de New York, des photos de famille disséminées entre les pages. C'est une plongée dans la bande d'amis la plus fascinante et tumultueuse qui soit, les surréalistes, une odyssée artistique un peu chaotique, un destin enfin, celui d'une femme dont on ne savait rien et que l'on voudrait comprendre - un peu -, bref, une lecture douce-amère, qui ouvre tout un tas de portes mais accepte aussi de devoir en laisser certaines closes.
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