Isidore et les autres de Camille Bordas - Chronique n°449

Titre : Isidore et les autres
Autrice : Camille Bordas
Editions : Inculte Romans
Genre : Contemporain
Lu en : français
Nombre de pages : 412
Résumé
Difficile à onze ans de trouver sa place dans une famille de surdoués, surtout lorsqu'on se contente d'être « normal ». Entouré de cinq frères et sœurs qui dissertent à table des mérites comparés de Deleuze et Aristote, Isidore recherche d'abord l'affection de son meilleur ami, monument de douceur : son canapé. Dans sa famille, seul Isidore est capable d'exprimer des émotions, de poser les questions que les autres n'osent pas formuler. Et lorsqu'un drame survient, il est le seul capable d'écouter et réconforter son prochain. A moins que, épris d'ailleurs, il ne réussisse enfin une énième fugue qui lui ouvrirait un monde de liberté et de légèreté. 

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Dans la famille d'Isidore, tout le monde est brillant. Plus que ça, brillantissime. A table, on parle de philosophes et de la Critique de la raison pure ; devant la télé, on ne se contente pas de regarder le film, on le décortique et on le démonte ; face à un invité, on ne fait pas connaissance, on l'analyse ; dans la vie, on ne reçoit pas, on exige toujours plus. 
Les trois aînés évoluent à différents stades de leurs thèses respectives, le quatrième est un compositeur de génie, la cinquième a sauté trois classes et se prépare à rentrer en prépa à Paris. 
Et puis il y a Isidore. 
Izzie - enfin, ça c'est le surnom qu'il s'est choisi, mais tout le monde chez lui s'obstine à l'appeler Dory. Il fait avec.

Isidore a douze ans. Et Isidore est complètement largué. 


Les thèses, les ficelles intellectuelles, les références et les traités d'histoire antique, ça lui échappe complètement. Lui, il est et sera toujours le petit dernier, celui qui est largué dans les conversations, celui qui demande à ce qu'on répète la question, celui qui a renoncé à faire partie du délire il y a longtemps déjà.
Et puis, malgré les différences et les écarts, Isidore est aimé. Il se sent un peu ignoré, bien sûr, mais il est aimé. Alors ça va. 

Mais un jour, son père, ou plutôt "le père" comme ils l'appellent, meurt brutalement. Et tout change. 
Hébétude. Sidération.
Et puis la vie continue. 


Chacun des frères et sœurs d'Isidore cherche alors à gérer le choc en se murant encore plus profondément dans ses lubies, ses passions, son domaine de niche, en s'absorbant dans ses occupations pour éviter le plus possible de se confronter à lui-même. 
Il faut aller de l'avant.

Mais Isidore en est incapable, Isidore, qui avait déjà à gérer des milliers de questions insolubles chaque jour, se voit soudain assailli par une nécessité de tout changer, de tout comprendre, un besoin de liberté aussi irrépressible qu’insatiable. Alors Isidore va faire ce qu'il fait de mieux : chercher à comprendre. Les autres, les inconnus, les proches, les sentiments, les comportements, les codes, les tabous et les interdits, les rituels de passage et les accomplissements. 

C'est terriblement galvaudé, mais il n'y a pas d'autre façon de le dire : Isidore et les autres est une célébration de la sensibilité, de la tendresse, de l'empathie, du respect de l'autre et de la bienveillance.
Voilà, c'est dit.
Maintenant que le quota de clichés de cette critique est épuisé, nous pouvons développer. 


On le comprend très vite : Isidore n'a rien du vilain petit canard qu'il se croit être. Bien loin d'être l'idiot du village ou l'attardé de service, Isidore s'avère être un petit garçon d'une sensibilité extraordinaire, d'une inventivité sans nom, et oui, bien entendu, d'une immense intelligence. Ce n'est pas l'intelligence qui donne une moyenne de 18/20, ce n'est pas non plus celle qui permet d'écraser d'autres convives à table, ce n'est pas celle qui écrit des thèses ou encore celle qui compose des sonates. 

Mais elle n'en est pas moins réelle. Elle n'en est pas moins valide. 

Isidore a ses propres mécanismes innés et indicibles, sa propre grille de lecture intrinsèque, qui lui font voir le monde à travers un filtre ému et perplexe et qui le poussent à toujours tout comprendre. 
Isidore évolue dans une surprise permanente qui ne se satisfait pas d'elle-même, un étonnement qui est à la base de toute réflexion philosophique. Personne dans sa famille ne parvient à distinguer ce qui est, et encore moins à comprendre le pourquoi de l'existence de ce qui est. 
Mais Isidore voit tout. Et Isidore veut tout comprendre. 

On a affaire à un narrateur tout sauf conventionnel, à un mélange de petit garçon immature, d'esprit hypersensible, de mémoire émotionnelle imbibée d'une infinité de souvenirs. Il aurait été plus que facile de sombrer dans une caricature de personnage, un petit sage savant qui aurait fait semblant de ne pas l'être, mais bien au contraire, l'autrice parvient à donner vie et corps à une personnalité si rare et si précieuse qu'elle reste dans les pensées du lecteur bien après l'instant où il tourne la dernière page. 

C'est un roman excessif, bien sûr, dans tous les sens du terme, un roman qui exacerbe et suranalyse tous les éléments de la personnalité de ses protagonistes, tous les symboles, toutes les curiosités, tous les détails, mais sans jamais en devenir lourd pour une seule et excellente raison : l'émerveillement.


Tout est merveilleux. Et tout est naturel. 

La vie avec Isidore est merveilleuse. La vie avec Isidore est naturelle.

Lisez ce livre, bon sang. C'est fantastique. C'est doux-amer - Dieu sait que j'aime ce mot et que je ne l'emploie pas à la légère. 
C'est Isidore et ça tombe sous le sens. 

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