Thirteen Reasons Why, la série

Titre : Thirteen Reasons Why
Format : Série (1 saison, 13 épisodes)
Producteur : Netflix
Réalisateur : Brian Yorkey
Résumé : Clay Jensen, un adolescent de dix-sept ans, reçoit une boite contenant treize cassettes de la part d'une de ses amies, Hannah Baker, qui a mis fin à ses jours quelques semaines plus tôt. Ces treize cassettes contiennent chacune une raison pour laquelle la décision d'Hannah Baker était de se suicider. Chaque cassette correspond également à une personne qui l'aurait poussée à mettre fin à ses jours. La série est divisée en treize épisodes, chaque épisode contient une raison et une personne.

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Je vous renvoie à ma chronique du roman, par ici.

Vous n'êtes peut-être pas sans savoir à quel point le roman Thirteen Reasons Why m'a désarçonnée et m'a assaillie de questions dont je cherche encore les réponses. Déjà bien confuse après la lecture de ce roman aussi bouleversant et nuancé, je me suis évidemment encore compliqué la tâche en visionnant son adaptation sérielle - promis ce mot existe - produite par Netflix. 
Et je suis plus perdue que je ne l'étais auparavant. J'en suis la première accablée.

La première chose à savoir est qu'il s'agit d'une série à laquelle l'on ne peut rien reprocher sur le plan formel, narratif, ou technique. Le jeu des acteurs est d'une grande subtilité, la photographie et l'étalonnage très travaillés permettent un contraste fort entre l'avant et l'après suicide - des couleurs chaudes lorsque Hannah est encore en vie, et beaucoup plus froides après le drame. Tout est orchestré avec un soin remarquable aux moindres détails, dans l'écriture qui alterne entre flashs-backs et présent, le montage qui permet à certains plans de s'étirer dans le temps pour créer une certaine mélancolie et à d'autres de s'enchaîner de façon saccadée pour créer un vertige, ou encore la bande originale pleine de pépites de genres très différents. L'atmosphère est loin d'un "high-school movie" mièvre, débordante de petites touches vintage, de réflexions pertinentes, de trouvailles intelligentes. 

Thirteen Reasons Why est d'ailleurs, contrairement à ce que l'on a pu lire, tout sauf une "série pour ados", comme certains médias se sont plu à l'estampiller, considérant qu'il s'agissait d'une justification pour la mépriser. C'est une série dont les protagonistes sont des ados, ce qui n'a rien à voir. C'est une série importante, et surtout violente. 
Et une "série pour ados", un concept qui n'existe d'ailleurs pas vraiment, n'est pas une tare en soi, au passage. Les ados aiment beaucoup de choses très différentes, et ils disposent tout à fait de facultés cognitives. Alors épargnons nous ce tampon absurde. 

La deuxième chose dont j'aimerais vous parler est le détachement - subtil, mais réel - de la série par rapport au roman. Des modifications très judicieuses ont été opérées par rapport à la structure du texte original, étirant l'unique nuit que Clay passait à écouter les cassettes à plusieurs semaines, pour tenir sur treize épisodes d'une heure. On s'attarde ainsi bien plus longuement sur les personnages secondaires, notamment sur les parents des adolescents, et on introduit de nouveaux éléments d'intrigue : la procédure judiciaire que les Baker lancent contre le lycée, le rôle ambigu de Tony, les relations malsaines tissées dans le triangle formé par Jessica, Justin et Bryce... La psyché de chaque personnage saute encore plus aux yeux qu'elle ne le faisait dans un récit déjà très expressif et mémorable. 
Cependant, cet approfondissement est également la cause d'une évolution dans l'intrigue, qui se fait bien plus sombre qu'un roman dont vous vous accorderez à dire qu'il n'était pas non plus extrêmement léger. Certains parmi les plus sensibles auront indéniablement du mal à supporter la tension, la violence psychologique qui se dégage de chaque épisode et s'alourdit au fur et à mesure que le temps passe, mais surtout quelques scènes extrêmement dures, d'autant plus marquantes qu'elles ne sont pas décrites dans le livre. De plus, là où la lecture du livre s'effectue en grand maximum trois ou quatre heures, celle de la série en prend treize, et nécessite donc une plongée bien plus intense et prolongée dans la noirceur de l'intrigue.

Et c'est là que resurgit mon gros problème avec cette histoire.
Vous l'aurez compris, je suis fascinée par l'engagement et l'émotion que tout spectateur ne pourra que ressentir en découvrant les personnages et leur parcours, et estime que la série est d'une telle sophistication technique et esthétique qu'elle mérite sans doute le détour pour ces seuls points. 
Mais quelle est vraiment la portée de cette adaptation ? Quel message en retiendront ses spectateurs, quelle communication crée-t-elle autour des thèmes si terribles et si essentiels qu'elle décortique ? 

Parce que la dernière chose avec cette série, qui la rend aussi remarquable que potentiellement fragilisante, c'est son réalisme. Les acteurs - qui, pour une fois, ont à peu près l'âge des personnages qu'ils interprètent et non pas vingt-cinq ans, victoire -, livrent des performances aussi authentiques de pleines d'émotion, et on n'a aucun mal à s'identifier à eux ou à projeter leur situation dans sa propre existence. Ils aiment leurs parents autant qu'ils se disputent avec eux, utilisent des jurons aussi bien que des métaphores spontanées, vivent au jour le jour et se battent pour espérer alors que, bon sang, qu'est-ce qu'il est difficile de supporter de ne plus savoir qui on est, d'être en transition si instable, de se construire dans un monde bien trop noir. 
La série est réaliste, oui. Alors comment s'approprier son message, lorsque l'atmosphère est si sombre ? 
La démarche de Hannah, rendue de façon si tangible, si frappante, n'est-elle pas dangereuse pour certains, qui pourront y voire la justification de son suicide, l'accomplissement de sa vengeance à travers la mort ? Que penser du harcèlement qu'elle exerce sur les destinataires des cassettes ? Où se trouve la justice, y en a-t-il seulement une ? 
La série ne bascule évidemment jamais dans un versant manichéiste, elle ne fait pas du tout l'apologie du suicide - voir à quel point les personnages sont détruits est suffisamment dissuasif. Simplement, tout le monde n'a pas les mêmes yeux pour considérer la situation. Quelqu'un de fragile n'est potentiellement pas prêt à cette série. 
La fin, différente de celle du roman à plus d'un égard, est cela dit un plus à ce sujet, plus lucide que l'originale à mes yeux, parce qu'elle tire vers une morale plus claire et surtout, plus tournée vers l'horreur et l'absurdité du suicide. Une personne qui se suicide ne doit pas être blâmée, ne peut pas être blâmée. Mais le suicide est un acte stérile qui n'est en rien, en rien une solution. 

Voilà donc tout mon trouble disséqué. Il s'agit d'une série incontournable en ce moment, vous l'aurez sans doute remarqué, et elle mérite largement tout ce bruit, parce que malgré quelques épisodes initiaux un peu lents, elle fera, je l'espère, bouger les choses. J'enjoindrais cependant les plus jeunes et les plus fragiles à éviter de se confronter trop tôt et trop brutalement à ces situations choquantes et ambiguës, non pas par immaturité, mais pour se préserver. Il ne s'agit pas d'être dans le déni et de refuser de sortir d'une petite bulle de sérénité, mais j'estime que certaines situations sont déjà suffisamment difficiles à supporter sans qu'il faille s'imprégner de la souffrance, même imaginaire, d'autrui. Une oeuvre à propos de laquelle on ne finit pas de se poser des questions, donc...


Commentaires

  1. Tu m'as donné envie de laisser une chance à cette adaptation...

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    1. Elle a un intérêt certain, même si on n'en devient pas fan...

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  2. J'ai commencé à la regarder aujourd'hui. Je suis accro. J'avais un peu peur qu'elle ne soit raté mais pour le moment j'adhère totalement. Comme toi, je pense que certaines personnes ne devraient pas la regarder ou alors s'il y a débat autour.

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    1. Oui, ça reste une série qui pose énormément de questions dont je doute que l'on puisse les résoudre ! Et on est d'accord, c'est addictif...

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  3. Roman que je n'ai pas encore lu. Je me demande ce que j'attends ^^ ...

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  4. J'ai le livre dans ma PAL et même si la série me tente j'ai peur qu'elle ne soit pas vraiment faite pour moi.

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  5. La série me fait de plus en plus envie. J'en entends beaucoup de bien donc je compte la commencer prochainement.

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