HHhH de Laurent Binet - Chronique n°308
Titre : HHhH
Auteur : Laurent Binet
Genre : Historique
Editions : Le Livre de Poche
Lu en : français
Résumé : A Prague, en 1942, deux hommes doivent en tuer un troisième. C’est l’opération "Anthropoïde": deux parachutistes tchécoslovaques envoyés par Londres sont chargés d’assassiner Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo, chef des services secrets nazis, planificateur de la solution finale, "le bourreau", "la bête blonde", "l’homme le plus dangereux du IIIe Reich". Heydrich était le chef d’Eichmann et le bras droit d’Himmler, mais chez les SS, on disait : "HHhH". Himmlers Hirn heiβt Heydrich – le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich. Tous les personnages de ce livre ont existé ou existent encore. Tous les faits relatés ont été vérifiés. Mais derrière les préparatifs de l’attentat, une autre guerre se fait jour, celle que livre la fiction romanesque à la vérité historique. L’auteur, emporté par son sujet, doit résister à la tentation de romancer. Il faut bien, pourtant, mener l’histoire à son terme.
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Difficile de trouver des ouvrages qui peuvent cristalliser l'incroyable fascination-répulsion que beaucoup de passionnés éprouvent vis-à-vis de la Seconde Guerre mondiale, de la boucherie nazie, de cette expression effarante d'un mal qui couverait en chacun.
Je crois que l'on peut dire qu'HHhH fait partie de cette courte liste d'oeuvres aussi dures que justes qui viennent retourner leurs lecteurs et laminer le classique manichéisme des gros méchants nazis et des gentils courageux Alliés.
On ne sombre évidemment pas dans l'apologie du nazisme, bien au contraire ! Il s'agit simplement de retranscrire toute la noirceur globale d'une époque troublée, toute la porosité de la frontière entre bien et mal si frontière il y a, toute l’ambiguïté du comportement de deux camps féroces.
Laurent Binet choisit l'événement historique sans aucun doute clé dans le basculement des forces au cours de la Seconde Guerre mondiale : l'assassinat par deux résistants tchèques de Reinhard Heydrich, le "bourreau de Prague", la "bête blonde" si dévouée à Hitler, au cours d'une opération aussi folle qu'ambitieuse, "Anthropoïde". Et c'est un succès sur toute la ligne, malgré tous les doutes de l'auteur sur sa démarche.
Des figures historiques injustement méconnues émergent, évidemment celle d'Heydrich dont la non-mention dans les programmes scolaires est un scandaleux mystère, ses deux assassins, deux agents tchèques surentraînés, et bien d'autres figures encore qui gravitent autour d'eux et participent à la lacération de l'Europe dès les années 30. L'écriture prend aux tripes, le récit est d'une immersivité - ce mot n'existe sans doute pas mais je l'aime quand même - folle, les faits décrits débordants de tension bien qu'on en connaisse l'issue. C'est tout l'art d'un roman historique : faire oublier au plus érudits des lecteurs qu'il connaît déjà la fin...
Mais ce n'est pas tout. Loin de là.
Un méta-roman absolument passionnant s'entrelace en effet à un récit historique déjà mené d'une main de maître. L'auteur est là, l'auteur dit "je", l'auteur révèle sa peine ou sa joie d'écrire. Aucun doute, aucune erreur, aucune fulgurance de sa part n'échappe au lecteur, informé du début à la fin du processus de création et de recherche de l'auteur, comme en synchronisation. Viennent alors s'additionner aux questions déjà envahissantes de la barbarie et de la justice d'autres interrogations sur la possibilité d'une histoire objective, juste et loyale au réel, mais aussi la notion de conséquence de ses actes, de mémoire, de quête de sens.
On n'est plus seulement confronté à une histoire, aussi bien orchestrée soit-elle, mais à l'histoire humaine.
HHhH est donc une lecture d'une profondeur remarquable, un roman qui se veut témoin de faits aussi troublants que captivants. Sa mise en abyme du processus de création littéraire et de recherche historique confère au récit une portée originale et inédite, et le résultat s'engloutit en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Il ne s'agit pas d'un texte que vous reléguerez au fin fond de votre mémoire sitôt après l'avoir terminé, non, mais du point de départ d'interrogations internes, de recherches qu'il démangera d'entamer, d'un émerveillement de plus sur ce petit bijou de complexité qu'est la littérature, à la fois brouilleur de pistes et révélateur, professeur et enjoliveur.
Note attribuée : 10/10 : Va. Lire. Bouquin.
Et pour finir, j'ai appris quelque chose.
Il ne faut pas prononcer ce titre "Ache ache ache ache" comme la pauvre créature que je suis, qui avait ainsi l'air de faire au choix une crise de convulsions ou d'éternuements. Il faut le faire à l'allemande, "Ha ha ha ha", et comprendre ainsi le joyeux petit jeu de mots plein d'humour noir du titre...
Je note ce bouquin, je l'ai déjà croisé mais je t'avoue que je ne me suis jamais vraiment arrêtée dessus... Mais je note ! Je vais y remédier :D
RépondreSupprimerTant mieux, crois moi, tu ne le regretteras pas !
SupprimerJ'avoue que sans être germaniste, j'ai toujours prononcé le titre comme une sorte de souffle ou d'expiration (plutôt agonisant je le confesse), mais je ne savais pas que c'était si ironiquement cruel...
RépondreSupprimerJe vais de ce pas déplacer ce roman de ma bibliothèque, et le sortir de cette honteuse étagère de PAL pour le ranger aux côtés de La Part de l'Autre, Le Problème Spinoza ( mille milliards de merci Capucine pour cette recommandation !) et Les Faux Monnayeurs pour la mise en abyme et la transcendance du point de vue. Parfait pour nourrir ma réflexion philosophique ! Bien qu'effarants, ce types de romans sont nécessaires et même fascinants. Des fois dérangeants dans les parallèles ou relations qu'ils établissent, ils nous poussent à considérer le monde sous un autre point de vue et rompre avec toute vision manichéenne des choses, dépasser les oppositions systématiques car toujours réductrices comme tu le dis si bien. Mais c'est tellement dur d'en parler de peut de créer des contre-sens... ( je parle surtout pour moi)
Tu avais l'esprit inconsciemment plus lucide que le mien alors ! Très très heureuse de voir que tu as aimé le Problème Spinoza, tu me donnes envie de m'y replonger furieusement... Effectivement, il y a à mes yeux un véritable lien entre tous les titres que tu as cités, une idée d'introspection, la question de l'éventualité, très bien vu ! Ils invitent à une réflexion passionnante et trop souvent négligée, et c'est pour cela qu'on ne peut que les louer et les recommander avec effusion !
SupprimerEh bien... Il faut que je le lise !
RépondreSupprimerOh oui je suis convaincue qu'il te plaira !
SupprimerBien que pas vraiment fan de la WW2, ta chronique me donne diablement envie de me procurer ce livre ! (plus pour son aspect réflexif qu'historique, je dois dire....)
RépondreSupprimerTu fais bien, l'auteur se demande lui-même si cet assassinat n'est pas un prétexte pour parler de son rôle d'auteur, alors tu ne seras sûrement pas déçue !
SupprimerJ'avais déjà entendu parler de ce livre puisqu'on m'avait conseillé de le lire pour passer le CAPES d'histoire-géo. On m'avait dit qu'il était très bien et ta chronique vient de le confirmer :)
RépondreSupprimerOuuuh mais c'est génial ça, je ne savais pas que tu avais passé le CAPES d'histoire ! Alors oui, je me doute bien qu'il doit être adapté à un tel programme :)
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