Les Indifférents de Julien Dufresne-Lamy - Chronique n°482

Titre : Les Indifférents
Auteur : Julien Dufresne-Lamy
Genre : Contemporain
Editions : Belfond (collection Pointillés)

Lu en : français
Date de parution : 2018
Résumé : Ils sont les enfants bénis. Les élus. Ils se surnomment les Indifférents.

Une bande d'adolescents bourgeois mène une existence paisible sur le bassin d'Arcachon. Justine arrive d'Alsace avec sa mère, recrutée par un notable du coin. Elle rencontre Théo, le plus jeune fils de la famille, et, très vite, intègre son clan.
De ces belles années, Justine raconte tout. Les rituels, le gang, l'océan. Cette vie d'insouciance parmi les aulnes et les fêtes clandestines, sous le regard des parents mondains.
Mais un matin sur la plage, un drame survient. Les Indifférents sont certainement coupables.
La bande est devenue bestiale.



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La littérature aime les grands changements, les déménagements, les mutations. 
Les irréversibles.


C'est ainsi que s'ouvre Les Indifférents, alors qu'un drame indicible se conclut sur une plage. 
C'est ainsi qu'il se poursuit, alors que le roman fait un bond en arrière pour raconter l'arrivée de Justine à Arcachon, loin de l'Alsace et du père auprès desquels elle vivait jusqu'alors. Embauchée par des bourgeois du coin comme comptable, sa mère veut "reconstruire sa vie". Dommage qu'il ait fallu détruire celle de Justine au passage. 

Petit à petit, Justine se familiarise avec ce qu'elle va finir par se résoudre à appeler son nouveau chez-elle. Les rencontres aident. Surtout celle de Théo, le fils des employeurs de sa mère, un garçon tranquille, érudit, un peu sauvage, très tendre, qui lui présente ses deux meilleurs amis. Ensemble, on les appelle les Indifférents. Ils sont une bande de jeunes un peu désabusés et carrément sarcastiques, complètement hédonistes et pas scrupuleux pour un sou. Rien ne compte vraiment, ça, ils l'ont bien compris. Seules comptent l'insouciance, la fête, la complicité et les séances de surf au parfum intrépide et exaltant. 

Les années passent. Les enfants grandissent, se débarrassent peu à peu de leurs derniers lambeaux de naïveté. C'est le temps des renoncements, des mutations, des résignations. Justine n'est plus la même. Elle est devenue autre, hiératique, un peu froide, un peu sèche.

Peu importe. Peu leur importe à tous. 
Ils sont différents, on ne la leur fait pas, à eux.

Mais à force de se croire trop malin pour le reste du monde, constamment à l'abri du danger, on finit par en oublier les précautions les plus élémentaires. On finit par oublier la critique constructive, la conscience de l'autre, les besoins, les pulsions, les passions. On finit par s'y oublier. On finit par se perdre. 

Les Indifférents est une lente, profonde et tortueuse plongée dans le quotidien las et indolent d'une bande d'adolescents trop intelligents pour leur âge - ou en tout cas, qui aiment à le croire -, drogués à l'attentisme, à la passivité. C'est l'histoire d'une destruction à petit feu, d'une arrogance coutumière, d'une ambition trop souvent déçue qui finit par se transformer en soif d'intensité, quelle qu'elle soit. C'est l'histoire de quatre gamins bardés de cicatrices, mais qui ont les moyens de les maquiller. C'est l'histoire de délinquants qui s'ignorent, du mal qui couve et s'impatiente, de la jeunesse qui ne sait plus à quoi s'employer. C'est l'histoire de la violence qui tait son nom et se fait passer pour de la sophistication. C'est l'histoire des passages avortés. C'est l'histoire de celles que l'on ne prend pas le temps d'écouter. C'est l'histoire des ennuis qui ravagent et des silences carnages. 

C'est porté par une plume sublime, sensorielle, souple, sensuelle, toujours prête à bousculer la langue et les coutumes pour laisser transparaître le plaisir, la douleur, l'abrutissement ou la contemplation, focalisée sur la perception, détachée de tout jugement.
On raconte. On retransmet. On communique. On partage. Mais on ne condamne pas. Comment le pourrait-on ? 

Ce ne sont que des enfants. 

"Doucement, l’écume pétille et nos corps deviennent méduses."

A l'image de cette phrase, toute simple, toute belle, toute pure, le roman s'offre par tranches de vies, par rayons, par fragments.  Les Indifférents s'offrent comme une sorte de spectacle, une tragédie contemporaine dont on connaît parfaitement la fin sans jamais parvenir à l'accepter, une épistémologie de la violence, une injonction à ne pas rester aveugle à son monde, à l'embrasser, même lorsque c'est douloureux, même lorsque ça fait désordre. La construction est millimétrée, le rythme implacable, la sentence totale. C'est une parenthèse d'onirisme, de pureté des mots et des sensations, de puissance, un moment littéraire rare et fort comme on n'en vit que peu.

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