Mrs Hemingway de Naomi Wood - Chronique n°474

Titre : Mrs Hemingway
Autrice : Naomi Wood

Genre : Contemporain
Editions : La table ronde (collection Quai Voltaire)
Lu en : français
Traduit par : Karine Degliame-O'Keeffe
Date de parution : 2017
Nombre de pages : 288
Résumé : Un clou chasse l'autre, dit le proverbe. Ainsi la généreuse et maternelle Hadley Richardson a-t-elle été remplacée par la très mondaine Pauline Pfeiffer ; ainsi l'intrépide et célèbre Martha Gellhorn a-t-elle été éloignée par la dévouée Mary Welsh. C'est un fait : Hemingway était un homme à femmes. Mais l'auteur de Paris est une fête ne se contentait pas d'enchaîner les histoires d'amour. Ces maîtresses-là, il les a épousées. Au fil d'un scénario ne variant que de quelques lignes, il en a fait des Mrs Hemingway : la passion initiale, les fêtes, l'orgueil de hisser son couple sur le devant d'une scène – la Côte d'Azur, le Paris bohème, la Floride assoiffée, Cuba, l'Espagne bombardée ... – puis les démons, les noires pensées dont chacune de ses femmes espérait le sauver.

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Si les écrivains se livrent certes dans leurs romans, ils se racontent tout autant si ce n'est plus à travers leurs proches et les relations qu'ils nouent avec eux. C'est à partir de cette idée que Naomi Wood a construit son récit, articulé autour des quatre femmes d'Ernest Hemingway, figure iconique de la littérature américaine du XXème siècle qu'il en est une, et assurément un grand coureur de jupons et briseur de cœurs. Dans chacune des quatre parties - une par épouse -, l'autrice s'attache à décrire la fin du mariage, le délitement, les regrets ou au contraire la résignation, l'après, les souvenirs, la nostalgie, la colère froide, le ressentiment. Se crée très vite une sorte de refrain, de rengaine, de "je te l'avais bien dit", une sorte de tragédie en somme, où le lecteur regarde avec une certaine pitié la "nouvelle femme" croire au rêve que vend perpétuellement Ernest, celui d'un amour fou et sans partage, d'une vie d'aventures, d'une magie quotidienne. Le refrain est bien sûr cruel, on sait parfaitement que la conquête finira par se muer en objet aux yeux de l'écrivain, qui lui-même passera immanquablement à autre chose, mais on s'attache tout de même sans y prendre garde à ces figures féminines marquantes, plus ou moins ancrées dans la durée, plus ou moins sereines face à leur sort.

Mais ce n'est évidemment pas tant le roman de ces femmes-là, quand bien même c'est leur voix intérieure qui guide le récit, sinon celui d'Hemingway lui-même, figure irascible, capricieuse, insaisissable. Au fil des décennies (et des épouses), le lecteur voit Ernest s'enfoncer toujours plus profondément dans ses propres travers, jusqu'à devenir une caricature de lui-même, dévoré par des défauts déjà en germe dès les toutes premières années de son mariage avec sa première femme, Hadley. On entretient un rapport passionné à la figure de l'écrivain, sans doute influencé par ce que l'on connaît déjà de lui avant d'entamer le roman. Je n'en ai personnellement jamais été une grande amatrice (navrée, Ernest) et force est d'admettre que mon aversion à son encontre n'a fait que croître - même si j'ai aimé explorer sa vie une fois de plus, à travers le prisme de la fiction, dans une reconstitution soignée d'une époque que j'aime infiniment. En plus de cela, Naomi Wood dégage certaines hypothèses assez pertinentes quant au pourquoi du comment Hemingway se conduit comme il le fait avec ses femmes, et parvient à construire un personnage imaginaire dont on peut se plaire à croire qu'il caresse d'assez près son avatar réel.

Le roman, aussi documenté soit-il quant à la vie des quatre héroïnes, reste une oeuvre de fiction, ce que l'autrice assume en donnant libre court à son imagination et à un certain romanesque, notamment à travers les monologues intérieurs des quatre épouses. Le tout se fait avec une certaine fluidité et cohérence, sans que l'on n'ait l'impression que l'autrice cherche absolument à coller à la vérité vraie et unique : elle cherche simplement une harmonie, et elle la trouve. Chaque partie a sa vibration propre : la douceur de Hadley, la flamme et l'entêtement de Fife, l'indépendance totale de Martha (et son refus de demander pardon à qui que ce soit pour ça), et enfin la sérénité de Mary, la dernière épouse, celle qui reste par fidélité, résignation, attachement, avec un homme qui n'a plus grand-chose d'un soleil et presque tout d'une épave.

Le tout se lit avec un arrière-goût doux-amer, renforcé par la plume de Wood, assez talentueuse en ce qui concerne les sentiments pas forcément toujours très légers de ses héroïnes. Rien de maussade ou de déprimant cela dit : le roman veille à maintenir un certain stoïcisme face aux événements, à pointer ce qu'Hemingway et ses femmes ont pu s'apporter mutuellement, à montrer que si les histoires d'amour finissent mal en général, elles laissent toujours des avancées dans leur sillage, des leçons, des évolutions. Ce n'est pas tellement Hemingway qui apprend - lui, j'ai envie de dire, c'est un peu une cause perdue -, mais bien ses femmes, qui font chacune à leur façon le deuil d'une relation pour laquelle elles avaient tout espéré, et qui les a bien souvent déçues au-delà de l'imaginable. Elles grandissent, se remettent (plus ou moins), poursuivent leur vie indépendamment de l'homme qui a voulu leur faire croire qu'il allait être tout pour elles.

C'est ce que j'ai envie de retenir de ce roman, cette idée d'un couple comme un partenariat, bref ou indéfini, d'un homme flamboyant et talentueux qui a pu être capable de montrer à ses femmes ce qu'elles-mêmes avaient de flamboyant et talentueux, et qui doit désormais s'effacer de leur vie pour les laisser être ce qu'elles ont toujours dû être. C'est ça, Mrs Hemingway, à mon sens. Le couple est une aventure de laquelle il ne faut rien attendre et tout savourer, et qui, quand il cesse d'être, vous laisse ses apprentissages, et l'espoir d'en créer un nouveau, plus doux, plus fort, plus juste encore.


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