Le Mur Invisible de Marlen Haushofer - Chronique n°462

Titre : Le Mur Invisible
Autrice : Marlen Haushofer
Genre : Fantastique
Editions : Actes Sud (collection Babel)
Lu en : français
Résumé : Voici le roman le plus célèbre et le plus émouvant de Marlen Haushofer, journal de bord d'une femme ordinaire, confrontée à une expérience - limite. Après une catastrophe planétaire, l'héroïne se retrouve seule dans un chalet en pleine forêt autrichienne, séparée du reste du monde par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble s'être pétrifiée durant la nuit. Tel un moderne Robinson, elle organise sa survie en compagnie de quelques animaux familiers, prend en main son destin dans un combat quotidien contre la forêt, les intempéries et la maladie. Et ce qui aurait pu être un simple exercice de style sur un thème à la mode prend dès lors la dimension d'une aventure bouleversante où le labeur, la solitude et la peur constituent les conditions de l'expérience humaine.

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Certains romans se découvrent par hasard, par instinct, par obligation.
Pour d'autres, cela se fait de façon enthousiasmante, imprévue, voire exaltante.
Ce fut le cas pour moi avec Le Mur Invisible, un roman allemand dont le simple titre n'avait pas même effleuré mes délicates oreilles avant que je ne le découvre sur un post Instagram, vanté par la dessinatrice Diglee. Ma curiosité, relativement titillée, s'est très rapidement téléportée à un niveau stratosphérique lorsque j'ai petit à petit constaté le petit emballement qui s'est petit à petit développé autour de ce livre en apparence assez anodin. 


C'est bien simple : des centaines de lecteurs et lectrices se sont arraché le roman l'espace de quelques semaines, dans les librairies qui se retrouvaient en rupture de stock, sur Amazon où il caracolait en tête des ventes, et même en bibliothèque. L'éditeur a lancé une réimpression, et c'est ainsi que j'ai moi aussi fini par faire partie du groupe assez considérable d'individus ayant cédé aux sirènes mystérieuses de cette troublante histoire dont j'ignorais en réalité globalement tout. 

Alors, me demanderez-vous, ça parle de quoi, ton bouquin ? 

Le Mur Invisible nous propulse aux côtés d'une femme autour de la quarantaine, mère de grands enfants qui l'ont un peu délaissée, et qui fait le constat amer qu'elle a subi sa vie plutôt que de la mener. 
Elle rend un jour visite à un couple d'amis, dans leur chalet un peu perdu dans la forêt. Lesdits amis sortent un soir pour rejoindre le village non loin de leur résidence, laissant notre narratrice seule pour quelques heures. Problème : lorsque cette dernière se réveille le lendemain matin, aucun signe du couple. Elle s'aventure alors à l'extérieur, pour se heurter - littéralement - à un mur invisible (role credits). Petit à petit, bien qu'il lui manque les réponses profondes, elle comprend l'essentiel : quelque chose d'irréversible et de dramatique s'est produit dehors, dans ce monde qui restera désormais pour elle un ailleurs. Les silhouettes qu'elle reconnaît en marchant le long du mur restent inertes, le mur demeure inébranlable : elle n'a d'autre choix que de survivre seule, de trouver un moyen de subsister sans l'assistance de qui que ce soit. 

L'angoisse, a priori. 
Et pourtant. 

Notre héroïne anonyme va en effet se révéler dans cette vie pourtant ô combien imprévue et éprouvante, sans compagnie humaine, dans des conditions plus que rudimentaires, et surtout sans aucune assurance d'être un jour secourue ou même de ne pas être l'ultime être humain sur Terre. Avec une réaction aussi immédiate que méthodique, elle apprend à connaître son environnement, dresse des listes de sources potentielles de nourriture, fait l'inventaire de ses ressources et outils, et se met au travail d'arrache-pied. Au fur et à mesure que les jours défilent et que l'évidence de sa solitude se confirme, elle s'endurcit, approfondit son expertise, et s'entoure même et surtout de compagnons aussi inattendus qu'attachants, à savoir quelques animaux qui sont demeurés de son côté du mur. Elle devient en quelque sorte comme maîtresse et possesseuse de la nature, emplie d'un immense pouvoir, et dans le même temps parcourue de faiblesses qui ne l'en rendent que plus impressionnante. 

Le roman saisit et bouleverse par la détermination de sa narratrice, d'autant plus touchante qu'elle n'est évidemment ni constante ni infaillible. Les instants de doute existent, évidemment, et l'intrigue en elle-même se déroule sur une tension assez implacable de laquelle le lecteur éprouve d'infinies difficultés à se détacher, mais en dépit de cela et peut-être grâce à cela, Le Mur Invisible parvient à se hisser à des sommets de sensibilité et d'intensité. Le livre défile en un kaléidoscope d'émotions qui se contredisent et se complètent en même temps - sérénité, satisfaction, confiance, mais aussi inquiétude, désespoir, isolement -, et témoigne d'une lucidité assez hallucinante de l'autrice par rapport au regard qu'elle pose sur son personnage. Cette femme est crédible, d'un bout à l'autre, en proie à toutes les insécurités légitimes et appropriées à une telle situation de détresse, mais surtout d'une inflexible résolution, d'une inventivité hors-normes et d'une volonté d'acier. 

Le Mur Invisible n'est pas un traité d'agriculture ou une longue déblatération sur les dangers de l'arme nucléaire, c'est avant tout une parabole, un quasi conte de fées doublé d'un manifeste philosophique, en quelque sorte l'épilogue de Candide de Voltaire poussé à son extrême limite. On y voit en effet une affirmation inoubliable d'un personnage féminin brut, authentique, résolu et débordant de ressources, qui réinvente à sa façon la figure de l'ermite, et trouve les moyens de s'épanouir quand tout semblait la pousser à se morfondre et à lâcher prise. On se pose évidemment la question de savoir pourquoi elle s'acharne, pourquoi elle continue de s'efforcer à survivre quand elle sait pertinemment que toutes ses ressources ne sont pas éternelles et que viendra un jour où elle devra se résoudre à baisser les bras. Pourquoi continuer à vivre quand on a perdu l'espoir de retrouver la moindre compagnie humaine un jour, pourquoi continuer à se lever tous les matins lorsque chaque jour est la copie exacte de la veille ? 

C'est là la magie du Mur Invisible : sa logique assez indicible, sa simplicité toute poétique, sa croyance réaffirmée en une vie simple, pure, qui se savoure dans la moindre de ses beautés, qui ne cherche d'autre objectif que d'apporter de l'affection et un soin constant aux individus autour de soi, en l'occurrence les animaux de l'héroïne - qui sont au passage des personnages épouvantablement et merveilleusement attachants. La discipline de la narratrice paraît finalement tout aussi sensée que toute autre façon de mener sa vie, admirable même, assez robinsonesque et dépouillée. C'est une vie pour la vie, pour la beauté de se sentir grandir et de conquérir de petites victoires de tous les instants face aux aléas de son environnement, une vie de responsabilités déchirantes et de moments de grâce. 

Le Mur Invisible s'offre donc comme une véritable expérience, forte et violente, douce et réconfortante. Le récit se déroule dans une routine curieusement magnétique dont on ne parvient pas à se détacher, et établit en quelques pages à peine une figure romanesque splendide dont les atermoiements sont autant de raisons de la soutenir.  C'est une lecture marquante, hypnotique, angoissante et éprouvante, un texte qui interroge et émeut, un récit aux accents d'éternité qui ne manquera pas de vous saisir comme il l'a fait pour moi. Foncez !

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Rendons enfin à César ce qui est à César, voici le fameux post Instagram qui est à l'origine de cette splendide découverte (et je ne saurais d'ailleurs trop vous enjoindre à suivre la fantastique Diglee et ses régulières recommandations littéraires !).




J’ai dû attendre un jour avant de faire ma chronique de ce livre, tellement il m’a secouée. Je vous l’ai déjà dit en Story, mais pour celleux qui l’ont loupée,voilà ce qui s’est passé. Au cours d’une balade à la Fnac je suis tombée sur ce roman dont je ne savais rien: la couverture m’a attirée (et le fait que ce soit une autrice) et j’ai lu une page au hasard. Les larmes me sont montées immédiatement. J’ai rapidement parcouru le dos, mais je savais déjà qu’en rentrant, j’allais le lire. Résultat: quatre jours de lecture avide. Ce livre est une fine réflexion sur l’humain, sur la guerre, sur la nature, sur la solitude, sur le silence, sur les animaux... et il est si dur à décrire! Le pitch: une femme part en vacances à la forêt chez des amis. Mais un matin, un mur invisible s’est érigé dans la forêt, et tout ce qui est de l’autre côté du mur semble mort. Elle se retrouve donc seule, sans savoir ce qui s’est passé, accompagnée d’un chien qui n’est pas le sien. Commence la survie... et la liberté, aussi. • C’est indescriptible parce que le ton oscille entre tension, angoisse, et plénitude, douceur, sérénité. J’avais envie de franchir le papier et d’être avec elle dans cette clairière. Je ne pensais QU’À ÇA, nuit et jour. Le texte date de 1963 et porte les stigmates d’une époque qui craint l’arme nucléaire. La peur d’une arme nouvelle, qui détruirait le monde, palpite en filigrane. La menace plane, qui ternit la douceur d’une vie au rythme des saisons et de la lumière. • Bref: c’est une sorte de mélange entre « La Route » de Mc Carthy et « Walden, la vie dans les bois »de Thoreau... mais écrit par une femme. Et ça ajoute à la puissance du récit parce qu’en plus, ça brise les codes du genre. Pas d’homme protecteur ou de femmes faire valoir. La figure de l’ermite est revisitée. • Je sais déjà que jamais, jamais je n’oublierai cette lecture. Elle m’a meurtrie, elle m’a nourrie, elle m’a marquée au fer. Impossible d’enchaîner tout de suite, je suis encore trop remuée. . Bon sang, lisez ce livre! (Il y a aussi eu un film Allemand qui paraît-il, vaut le détour!) . . #digleelectures2019 #lemurinvisible #digleelectures
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