Le Paradoxe d'Anderson de Pascal Manoukian - Chronique n°445

Titre : Le Paradoxe d'Anderson
Auteur : Pascal Manoukian
Editions : Seuil
Genre : Contemporain
Lu en : français
Nombre de pages : 304
Résumé : Plus rien n'est acquis. Plus rien ne protège. Pas même les diplômes. À 17 ans, Léa ne s'en doute pas encore. À 42 ans, ses parents vont le découvrir. 
La famille habite dans le nord de l'Oise, où la crise malmène le monde ouvrier. Aline, la mère, travaille dans une fabrique de textile, Christophe, le père, dans une manufacture de bouteilles. 
Cette année-là, en septembre, coup de tonnerre, les deux usines qui les emploient délocalisent. Ironie du sort, leur fille se prépare à passer le bac, section « économique et social ». Pour protéger Léa et son petit frère, Aline et Christophe vont redoubler d'imagination et faire semblant de vivre comme avant, tout en révisant avec Léa ce qui a fait la grandeur du monde ouvrier et ce qui aujourd'hui le détruit. Comme le paradoxe d'Anderson, par exemple. 
« C'est quoi, le paradoxe d'Anderson ? » demande Aline. Léa hésite. « Quelque chose qui ne va pas te plaire », prévient-elle. Léon, dit Staline, le grand-père communiste, les avait pourtant alertés : « Les usines ne poussent qu'une fois et n'engraissent que ceux qui les possèdent. »

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Aline et Christophe s'en sortent bien.
Juste bien, mais bien. 
Ca pourrait être tellement pire. 

Tous deux sont ouvriers, qualifiés, ils gagnent même un peu plus que le SMIC, il n'y a vraiment pas de quoi se plaindre. Ils ont le même emploi depuis des années et des années. Tout ira bien. Leur aînée, Léa, s'apprête même à passer le bac et à entamer des études supérieures. 

La machine est bien rodée. 
Mais comme toute machine, il ne suffit que d'un grain de sable pour que la belle mécanique huilée s'enraye.
Et aujourd'hui, dans notre société vorace, précipitée et aveugle, lorsqu'une machine s'enraye, elle ne se contente pas de gripper un peu, non. Elle dévale toute la pente. 

Il ne reste plus à Aline et Christophe que leur imagination, pour tenter de déployer un ensemble de caches-misère, de stratégies, de trésors de débrouille, pour masquer une réalité qui finira de toute façon par s'imposer. 
Et c'est terriblement émouvant.

La plume de Pascal Manoukian est directe, juste, actuelle et pertinente. En s'attachant à décrire ce petit destin parmi d'autres, l'histoire somme toute cruellement banale de cette famille de quatre, c'est évidemment une réalité bien plus sournoise qu'il déploie, la vérité cynique et écœurante d'une société en déliquescence. Plus rien n'y fait sens, c'est même ce qu'illustre parfaitement le fameux paradoxe d'Anderson autour duquel tout le roman tourne : un enfant d'ouvrier, même diplômé du supérieur, même après des études plus longues que celles de ses parents, n'a aucune assurance d'accéder à une position sociale plus élevée. 

Le miracle capitaliste est en panne, ne reste plus que la réalité : le licenciement, la dérive sociale, la colère. Et Le Paradoxe d'Anderson est l'expression parfaite de cette colère, sans jamais verser dans le misérabilisme, sans jamais verser dans le pamphlet non plus. C'est justement par cette mesure, ce réalisme, cette justesse de ton que le roman convainc. En s'attachant à rendre justice à cette famille d'une combativité sans nom, l'auteur parvient non seulement à fédérer le lecteur à cette cause particulière, mais à s'interroger sur une réalité sociale bien plus complexe et importante. Evidemment, une telle démarche peut paraître usée ou vue et revue, mais il faut ici saluer l'intelligence avec laquelle Manoukian mène son histoire : si le roman s'ouvre de façon assez classique, avec des scènes de vie "classiques" de la vie ouvrière, il se teinte très vite d'une dimension "farcesque", à la limite de la parabole, avec des scènes que l'on sait volontairement exagérées mais qui viennent souligner de façon plus que saisissante des faits que l'on sait avérés. On ne révèlera rien de l'intrigue ici, mais pour vous allécher, voici en quelques mots ce qui vous attend : cynisme, indignation et désobéissance civile.

On a donc deux romans en un : le roman sensible, poignant, un peu éculé sans doute mais très juste dans son ton, celui du drame familial et du glissement vers la misère sociale, et le roman qui se sait roman, le roman qui crée toute une fable aussi glaçante qu'hilarante. Les deux se mêlent étonnamment bien, et donnent une coloration toute particulière à ce Paradoxe d'Anderson, un texte finalement aussi grotesque que l'injustice sociale qu'il décrit, accessible, bien construit, bien senti, bref, à découvrir sans la moindre hésitation.




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