Berezina de Sylvain Tesson - Chronique n°446

Titre : Berezina
Auteur : Sylvain Tesson
Genre : Littérature de voyage | Contemporain
Editions : Folio
Nombre de pages : 280
Résumé : « Il y a deux siècles, des mecs rêvaient d’autre chose que du haut-débit. Ils étaient prêts à mourir pour voir scintiller les bulbes de Moscou. » 


Tout commence en 2012 : Sylvain Tesson décide de commémorer à sa façon le bicentenaire de la retraite de Russie. Refaire avec ses amis le périple de la Grande Armée, en side-car ! De Moscou aux Invalides, plus de quatre mille kilomètres d'aventures attendent ces grognards contemporains.


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Il y a ceux qui s'en tiennent aux chemins balisés. Ceux qui osent parfois faire un pas de côté, tenter un soupçon d'aventure.
Et puis il y a Sylvain Tesson. 
Et Sylvain Tesson n'est pas du genre à faire quelque chose d'aussi banal que de prendre l'avion pour rentrer à Paris après un événement littéraire à Moscou.
Non, Sylvain Tesson ne fait pas cela. Sylvain Tesson, lui, décide de retracer le chemin de la retraite de Russie de Napoléon et de la Grande Armée, en 1812. Et puis pour pimenter un peu cette aventure somme toute assez fade, il va le faire en side-car - ou moto à panier adjacent pour les puristes. 
Pourquoi ? 
Parce que l'histoire. Parce que le défi. Parce que l'inconnu. 

Et c'est du pur Sylvain Tesson. Au programme : savoir encyclopédique, galères dantesques, litres et litres de vodka poivrée, anecdotes historiques et observations désabusées sur le genre humain. 
Sans oublier la dose attendue et espérée de descriptions splendides. Parce que c'est évidemment ce qu'on recherche avant tout avec Tesson. Du spectacle. Et du spectacle, il y en a.

Ainsi s'élance notre auteur-narrateur fou, en pleine tempête de neige, parce que sinon ce ne serait pas drôle, avec des compagnons plus ou moins alcoolisés et plus ou moins assurés sur les routes accidentées de leur parcours de 4000 kilomètres. C'est l'un de ces livres que l'on voudrait dévorer mais que l'on s'oblige à savourer, tant il regorge d'observations pertinentes, de péripéties, et même de scènes franchement comiques.

Par la force des choses - et par le contexte qui n'a radicalement rien à voir -, on découvre dans Berezina un Sylvain Tesson bien différent de son avatar de Dans les Forêts de Sibérie. Dans ce dernier ouvrage, il était contemplatif, immobile, ermite, dans celui-ci, il est hyperactif, déchaîné, à la dérive, toujours en proie à une nouvelle galère. Les deux partagent cependant l'essentiel : une plume assez prodigieuse, un goût pour les descriptions renversantes, et une propension à étaler son savoir que d'aucuns pourraient trouver prétentieuse, mais que l'on qualifiera ici de touchant.

Parce que c'est bien ce qu'il est, ce drôle d'animal de Sylvain Tesson, touchant, avec son obstination déraisonnable, sa misanthropie si avancée qu'elle en devient risible mais jamais grotesque, sa propre conscience de ses excès, sa volonté de toujours voir plus grand, son incapacité totale et pathologique à faire des compromis. C'est un personnage auquel on ne peut que s'attacher, et qui, par ses frasques, rend inoubliables des épopées déjà passionnantes sur le papier.

Berezina est donc un franc succès tessonesque, très différent de Dans les Forêts de Sibérie par son côté complètement chaotique, à l'image de la fameuse Berezina napoléonienne, mais non moins captivant. On a l'impression d'être plongé dans une blague entre potes qui aurait mal tourné, on voit lentement le beau et noble projet du départ devenir une succession d'imprévus et de détours rocambolesques. C'est donc un roman hétéroclite, un peu fouillis par instants, mais qui parvient par miracle à maintenir un fil rouge cohérent, et surtout à convaincre et transporter son lecteur. 

Et lorsque la dernière page se tourne, subsiste ainsi un sentiment de grandeur, de banalité, de n'importe quoi, d'absurde, bref, sans doute un mélange qui ne devait pas être complètement étranger au fameux Napoléon vaincu, en 1812. 
Ce ne sont pas des épopées qui ont apporté une quelconque richesse, une quelconque avancée philosophique, technique ou politique.
Ce sont juste quelques pauvres hommes qui fuient le froid de toutes leurs forces, à deux siècles d'écart. 
Mais ce sont aussi des preuves de résilience, de résignation, d'obstination. 
Et ça, c'est beau.

(Comment faire une fin de chronique pseudo-dramatique 101)


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