Jolis jolis monstres de Julien Dufresne-Lamy - Chronique n°484

Titre : Jolis Jolis Monstres
Auteur : Julien Dufresne-Lamy
Editions : Belfond (collection Pointillés)
Genre : Contemporain
Date de parution : 2019
Lu en : français
Résumé : Au début des années sida, James est l’une des plus belles drag-queens de New York. La légende des bals, la reine des cabarets, l’amie fidèle des club kids et des stars underground. Quand trente ans plus tard il devient le mentor de Victor, un jeune père de famille à l’humour corrosif, James comprend que le monde et les mentalités ont changé.

Sur trois décennies, Jolis jolis monstres aborde avec finesse et fantaisie la culture drag, le voguing et la scène ballroom dans un grand théâtre du genre et de l’identité. Au cœur d’une Amérique toujours plus fermée et idéologique, ce roman tendre mais bruyant est une ode à la beauté, à la fête et à la différence. Une prise de parole essentielle.

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"Personne ne sait à quel point c’est difficile de ressembler à des femmes."

New York, années 80. Le monde des cabarets, des Maisons et des clubs flamboie de toutes ses paillettes et de toutes ses extravagances, les drags se réinventent chaque soir plus créatives et provocantes, les conventions passent à la trappe et les timidités se dépassent. James est jeune, beau, puissant, et tous les soirs, il devient Lady Prudence, la plus belle drag queen du quartier, si ce n'est de tout New York. L'époque est impardonnable, cruelle même à plus d'un égard, surtout lorsque le sida s'incruste sans demander l'avis de personne et commence à décimer les rangs de la communauté. Mais the show must go on, le goût de la fête se transmet, la joie survit aux décès et aux humiliations. Elle traverse même les générations, puisque trente ans plus tard, Lady Prudence enfile à nouveau ses tenues de soirée, cette fois-ci pour enseigner ses arts et ses trouvailles à une nouvelle venue, Mia, qui découvre à peine un univers qui la fascine et l'intimide dans le même temps. Plus que jamais, les drags sont à la fois intimes et politiques, nécessaires et délicieusement futiles. 

A l'image des drags dans toute leur diversité et leur créativité, la plume de Julien Dufresne-Lamy possède une multitude de facettes, tour à tour corrosive, malicieuse, amère, taquine, pédagogue, bienveillante, loufoque, furieuse, indignée, hilare, émerveillée, soigneuse. Elle décortique, explique, résume, complexifie, nuance, expose tout un monde de conventions, de rites et de codes secrets élevés à un rang quasi sacré, autant de découvertes pour le néophyte, toujours avec un immense respect. Bien au-delà d'une simple étude de cas portée par une documentation solide, le roman embrasse une vision du monde, adopte son langage, sa fougue, sa détresse aussi parfois, son audace. Le récit se révèle d'une intensité folle sans jamais tomber dans le trash ou dans le voyeurisme, et cet équilibre-là force réellement l'admiration. 

Je manque de mots pour dire combien ce roman-ci en offre, combien il ouvre les yeux, horrifie et attendrit, combien il expose à des réalités infiniment riches, combien il brosse des personnalités merveilleusement touchantes, combien il vient frapper de plein fouet tout ce que le monde peut avoir d'intolérant, de laid et de médiocre. C'est un éloge de l'audace, de l'extrême, de la marge et de la communauté. C'est un récit aussi épique que tragique, une histoire de passion et de transmission, et qui pose à chaque page la question insistante de la transgression, de la déviance, de ce que c'est, de ce que ça fait, de ce que ça crée. 

C'est un roman qui fait se sentir un peu bête et très éclairé, accueilli dans une communauté qui réinvente le sens un peu éculé que l'on donne parfois à ce terme, qui honore le respect tel que l'on devrait le prôner, et non pas sa version terne et amère, la tolérance, qui ne fait que fermer les yeux sur ce qu'elle méprise silencieusement. Non, ici, dans Jolis jolis monstres, on admire, on se pâme, on innove, on cueille les applaudissements, on se recueille aussi, on se souvient. C'est une mémoire un peu marginale aux yeux de la grande histoire officielle, mais tellement humaine, tellement cruciale, tellement intense pour qui la regarde avec bienveillance et considération. Un très beau roman, à la fois pédagogique et érudit, militant sans se forcer à l'être, à mettre entre toutes les mains. 

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