The Great Believers de Rebecca Makkai - Chronique n°528

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Titre : The Great Believers
Autrice : Rebecca Makkai
Genre : Contemporain
Lu en : anglais
Date de parution : 2018
Editions : Penguin Books
Nombre de pages : 421
Résumé : In 1985, Yale Tishman, the development director for an art gallery in Chicago, is about to pull off an amazing coup, bringing in an extraordinary collection of 1920s paintings as a gift to the gallery. Yet as his career begins to flourish, the carnage of the AIDS epidemic grows around him. One by one, his friends are dying and after his friend Nico's funeral, the virus circles closer and closer to Yale himself. Soon the only person he has left is Fiona, Nico's little sister.

Thirty years later, Fiona is in Paris tracking down her estranged daughter who disappeared into a cult. While staying with an old friend, a famous photographer who documented the Chicago crisis, she finds herself finally grappling with the devastating ways AIDS affected her life and her relationship with her daughter. The two intertwining stories take us through the heartbreak of the eighties and the chaos of the modern world, as both Yale and Fiona struggle to find goodness in the midst of disaster.

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Les Optimistes
Existe également en français
Titre : Les Optimistes
Editions : Les Escales
Traduit par : Caroline Bouet  
Résumé : A Chicago, dans les années 1980, au coeur du quartier de Boystown, Yale Tishman et sa bande d'amis, artistes, activistes, journalistes ou professeurs vivent la vie libre qu'ils s'étaient toujours imaginée. Lorsque l'épidémie du sida frappe leur communauté, les rapports changent, les liens se brouillent et se transforment. Peu à peu, tout s'effondre autour de Yale, et il ne lui reste plus que Fiona, la petite soeur de son meilleur ami Nico.

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The Great Believers, c'est une sacrée histoire, du genre qui touche à des dizaines, voire à des centaines d'existences, qui se divise entre deux continents, deux époques et deux urgences, qui cache derrière sa belle couverture jaune pétard une bien sombre histoire, qui aurait pu sombrer dans un certain nombre d'écueils, du misérabilisme au mélodrame, mais qui trouve au contraire son ton propre, subtil et dévastateur. C'est enfin l'un de ces romans américains multi-primés qui chamboulent la critique, qu'on s'attend à trouver surestimés et dont on réalise au contraire combien ils ont mérité toute l'attention qu'ils ont reçue. C'est formidablement réussi, en somme.
 
The Great Believers, c'est ce titre splendide que les éditeurs français ont choisi tout à fait correctement de choisir par Les Optimistes, mais que je préfère encore en anglais, qu'on pourrait transcrire littéralement comme "Les Grands Espéreurs". J’en aime la polysémie du beau mot qu'est "believers", exprimant à la fois un aspect presque religieux, comme des "croyants", mais aussi une idée de détermination, d'assurance, comme des "convaincus". Ces grands espéreurs, ce sont le produit d'années de doute, de perte et d'antagonisation de leur cercle social par le reste du monde, si vicieuse et si durable qu'elle en est presque venue à les empoisonner en leur propre sein et à leur inoculer le virus dévastateur de la méfiance et du silence, fléau contre lequel ils ont fini par opposer leur seule arme, ce fameux mélange de foi et de certitude, mélange bizarre et contradictoire dans lequel on arrive parfois à puiser l'espoir. Ces grands espéreurs, ce sont les personnages que l’on s’apprête à voir traverser toute une vie, et surtout à aimer.
 
Ils s’appellent Yale, Richard, Julian ou encore Charlie, font partie d’une même bande d'amis jeunes, gays, tous plus ou moins artistes, et surtout laminée par le sida qui a fini par atteindre la ville de Chicago en cette fin des années 1980. Ils s’apprêtent à connaître, et ont déjà entamé, des années de douleur indicible, au fil de diagnostics incontrôlables, de traitements inaccessibles, coûteux ou foireux (au choix), d’une valse des enterrements auxquels ils ne seront souvent même pas conviés par la famille, parce que pas assez sophistiqués, fréquentables ou bien portants, parce que c'est comme ça, qu'il est des choses dont on ne parle pas, ou jamais comme il le faut, et que la maladie a toujours été l'une d'entre elles, surtout lorsqu'elle se superpose à l'homosexualité, à la jeunesse et à une soi-disant responsabilité des personnes atteintes, responsabilité qui n'est en réalité que le rejet primaire et agressif d'une société qui n'a jamais cherché à comprendre ou prévenir cette crise.
 
Les grands espéreurs ont été jeunes, et beaucoup le resteront pour toujours, mais certains s’en sont réchappés, à commencer par Flora, la petite soeur de l'ancien meilleur ami de Yale, emporté très tôt par la maladie. C’est elle qu’on retrouve dans l’autre versant de l’intrigue, en 2015, à Paris, où Flora se rend pour retrouver la trace de sa fille unique après des années de silence. Ca fait déjà trente ans qu’elle n’a plus vingt ans, qu’elle grandit sans son frère, qu’elle se débrouille comme elle peut, mais quelque part, tout ça la poursuit encore, et il n’est pas exclu que son drôle de voyage expiatoire à Paris soit aussi pour elle l’occasion d’expliquer, de comprendre et de partager cette époque de deuils, de mauvaises nouvelles et de maturité construite bien malgré elle.
 
On alterne ainsi entre ces deux temporalités, ces deux douleurs distinctes, l'une immédiate, brûlante, l'autre mieux comprise, mieux intégrée, mais toujours aussi lancinante. Le roman n'est curieusement pas aussi sombre que ce que l'on pourrait croire après ce résumé : c'est aussi une histoire d'art, de création (à travers le personnage de Yale, galeriste de profession), de transmission (beaucoup), d'amour (surtout), de famille (malgré tout) et de mémoire. On s'y trouve ému, amusé, railleur ou attendri, on y voyage, on y espère, on y apprend l'acceptation.
 
The Great Believers n'est pas l'histoire d'héros, de victimes fauchées en pleine jeunesse, de larmes qu'on arrache aux lecteurs ou de transcendances hypocrites qu'on inventerait à ces jeunes hommes malades. Le récit ne fait pas de mystères, ne ménage pas le moindre faux-semblant, et sans faire dans les présages sombres ou les effets d'annonce, reste toujours honnête avec son lecteur et ne cherche jamais à créer de retournemnt de situation, de suspense insoutenable ou d'une quelconque forme d'intrigue autour du sort de ses protagonistes. On sait ce qu'on lit, on sait où l'on se dirige, on sait à quoi s'attendre, et on n'en est que plus bouleversé par le récit. Le tout témoigne d'une pudeur et d'une délicatesse qui forcent le respect : rien n'est censuré ou retenu, et on a largement de quoi être bouleversé par la réalité de la maladie, du deuil et de l'injustice, mais on n'est pas non plus confronté à des détails inutilement déshumanisants ou humiliants. Yale et ses amis n'existent peut-être pas, mais ils demeurent le reflet de milliers de de malades qui ont aimé, souffert, espéré, patienté, voulu et parfois tout perdu. Et ça, Rebecca Makkai ne l'oublie jamais. C'est une vie, sans destin ultime à achever, sans coïncidences éblouissantes à tout bout de champ, sans plan suprême couvé par une divinité quelconque. Juste une poignée d'être humains tour à tour touchants, égoïstes, faibles, passionnants et menteurs, dont subsiste l'énergie, l'envie et la bienveillance.
 
C'est aussi un sacré long roman, auquel on consacre plusieurs journées, voire quelques semaines, de lecture absorbée, le temps de laisser infuser cette histoire dense et complexe, de s'attacher surtout à toute sa bande de personnages, et de savourer combien l'autrice a su décrire avec intelligence et inventivité la dynamique particulière qu'ont les relations amicales et amoureuses entre de jeunes hommes, cette spontanéité, cette gratuité, cette brusquerie parfois aussi, le tout encore nuancé par le contexte ô combien particulier de l'époque, intensifié par l'urgence propre à ces existences menacées. Un soin tout particulier est en effet porté à l'atmosphère générale de ces années-là, de l'Amérique de Reagan, de ses malaises, de ses termes nouveaux, de ses perspectives en pointillés, pour un résultat aussi subtil que marquant.
 
C'est enfin et surtout un roman qui témoigne d'un travail de recherche tout en profondeur et humilité de la part d'une autrice qui se sait bien éloignée de la réalité qu’elle décrit, comme elle en témoigne à la fin de l’ouvrage, elle qui est blanche, mariée, hétérosexuelle, que la maladie ne touche pas, et qui fournit donc tous les efforts nécessaires pour donner à son récit l'honnêteté, la spontanéité et la justesse dont il a besoin. The Great Believers frappe par le profond respect que son écrivaine porte de toute évidence à ses personnages, par le soin qu'elle a porté à leur raconter une vie juste, fictive certes, mais à tout instant crédible et bien équilibrée.

Tout n'est pas parfait, notamment au niveau des réactions de certains personnages (comme Claire, dont le rejet de sa mère frôle parfois la caricature), mais le roman compense en sincérité et en lucidité ce dont il manque parfois en équilibre. Avec un texte aussi long et aussi riche, il était évident que le rythme ne serait pas égal, mais on ne peut honnêtement que saluer l'effort de cohérence et de stabilité fourni tout au long du texte, qui parvient à capter l'attention du lecteur tout au long de son déroulement.

Lisez donc The Great Believers, l’histoire d’une forme d’optimisme et d’énergie qu’on n’a pas l’habitude de voir en littérature, l’histoire de vies qui changent, pour tenir, pour s’émerveiller, pour s’aimer, l’histoire de ce qui demeure, et de tout ce qu’on pourra réinventer.


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