20 livres pour mes 20 ans [Littératurpitudes]


Aujourd'hui, j'ai vingt ans.

Et je ne suis clairement pas prête.
Vingt ans, surtout quand on est une petite créature littéraire, c'est spécial, ça constitue comme un symbole, ça fait peur et envie. Vingt ans, c'est l'occasion ultime de se confronter à ses propres souvenirs, de dresser des bilans, de songer à l'avenir et de s'émouvoir de ce qu'on est déjà plus. C'est une étape sans l'être, un instant où l'on commence tout de même à s'être déjà bien construit, mais où l'on reste encore infiniment en maturation, en élaboration. 

Vingt ans, c'est encore le tout début d'une vie de lectrice qui dure depuis près de trois lustres maintenant (gloups), et qui ne demande qu'à être encore enrichie de nouvelles découvertes. Ce n'est pas pour autant que je ne me suis pas déjà constitué mon petit panthéon littéraire personnel, des références qui m'habitent et me portent, des récits qui m'inspirent, des personnages qui m'accompagnent à leur manière depuis des années ou quelques mois seulement, autant de goûts, de préférences et d'attachements qui me définissent tout autant que je me les suis réappropriés.

Parce que vous commencez à me connaître, avec mon obsession conjuguée pour les listes, les jolis symboles et les longues réflexions émues face au vaste chemin de la vie, voici donc la liste de vingt des ouvrages qui m'ont le plus marquée, chamboulée et poursuivie au cours des vingt dernières années (avec tout de même une légère concentration d'ouvrages lus sur les cinq dernières années, oui, je sais, c'est étonnant). Il y a de tout, promis, de la SF aux classiques en passant par quelques titres de YA et même des autobiographies. 

Pas beaucoup de surprises, mais que des révélations.

Primaire (les premières découvertes la naissance de l'imaginaire tout ça)
Peggy Sue et les Fantômes, tome 1 : Le Jour du chien bleu: Amazon ...
Peggy Sue et les Fantômes de Bruno Brussolo : Peggy Sue et moi, c'est globalement assez inouï comme histoire d'amour. C'est à peine encore disponible en ligne aujourd'hui, c'est un peu tombé dans l'oubli (je crois ?), mais qu'est-ce que c'était réussi. Combien cette saga m'a transportée, subjuguée, secouée, passionnée, combien j'ai tourné ses pages avec avidité, combien je me suis sentie importante, éblouie ou stimulée alors que je me plongeais dans ces mondes imaginaires captivants en compagnie d'une Peggy Sue en laquelle je me projetais totalement, animée pour la première fois par cette question magique et ultime du lecteur : "et moi, à sa place, je ferais quoi ?". Pour tout ça, pour les secrets cachés, les nuits sans sommeil, les mondes parallèles et la magie partout, merci Peggy Sue.
Amazon.fr - Sacrées sorcières - Dahl, Roald, Blake, Quentin, Farré ...
Sacrées Sorcières de Roald Dahl : il me fallait choisir l'un des Roald Dahl, alors ce sera celui-ci, mais sachez que ce fut un déchirement que de devoir renoncer à Charlie et la Chocolaterie, James et la grosse pêche, Matilda, le BGG ou George Bouillon. Roald Dahl a été pour beaucoup, beaucoup dans la construction de mon imaginaire. J'ai dû lire chacun de ses romans une demi-douzaine de fois (je rigole pas, j'étais vraiment obsessionnelle avec mes lectures quand j'étais petite), ce qui me donne donc une connaissance assez impérissable de ses histoires. Elles m'ont effrayée, voire carrément terrorisée dans le cas de Sacrées Sorcières, et m'ont (je crois) réellement appris certains mécanismes narratifs extrêmement puissants, plongée dans des récits dans lesquels je me transportais vraiment, et fait comprendre le potentiel d'immersion de la fiction. Rien que ça.

Collège (le moment où on ne ressemble plus à grand-chose et où l'école est globalement le pire endroit du monde, mais aussi où on a la confirmation que les livres sont la meilleure chose du monde)
La Passe-Miroir de Christelle Dabos : la base de la base, j'ai envie de dire. Une saga qui m'a passionnée, que j'offre encore très régulièrement aux gens autour de moi, et dont le savant mélange d'exquises influences continue encore de m'attendrir lorsque j'y repense. La Passe-Miroir, pour la Capucine de quatorze ou quinze ans que j'étais, c'était une sorte de synthèse de tout ce que je pouvais rechercher dans mes lectures : de la fascination, avec ce monde imaginaire à la mythologie époustouflante, de la romance, avec cette relation ultime d'alchimie, d'allers-retours et de non-dits entre Ophélie et son fiancé, du mystère, du suspense, de l'évasion en somme, mais aussi de l'ambition à travers l'ampleur de l'univers, de l'histoire et des thèmes déployés, et enfin de l'imagination, tellement, tout le temps. Encore bravo à l'écrivaine adorabilissime qu'est Christelle Dabos pour cette création assez hors du commun.
Rebecca (Nouvelle traduction), Daphné Du Maurier | Livre de Poche
Rebecca de Daphné du Maurier : un roman dont la découverte m'a subjuguée. J'étais vraiment toute petite quand j'y pense, je n'avais rien lu de pareil, d'aussi envoûtant, d'aussi déstabilisant aussi, que cette histoire sombre et étrange dont l'héroïne n'a pas de nom et dont la fin n'en est pas une. Rebecca, au-delà d'être l'un des romans que j'ai le plus relus dans ma vie, est aussi et surtout une histoire qui a profondément influencé mon imaginaire, la façon dont je me représente et raconte le deuil, l'absence, la peur et le secret. C'est une oeuvre d'une puissance juste inouïe (oui, le mot inouï va beaucoup revenir dans cet article, je préviens), et que je ne saurais trop vous recommander à découvrir si vous avez la chance de pouvoir encore profiter de la première impression mémorable que suscite cette histoire. Foncez ! 

Lycée (le début d'une forme d'autonomie littéraire oui oui)
Charlotte : un roman de David Foenkinos
Charlotte de David Foenkinos : le fameux, Charlotte, que je racontais à tout le monde avoir lu d'une traite, à moitié debout, complètement subjuguée (anecdote véridique), à propos duquel j'ai parlé environ 12 heures avec une proportion assez industrielle des membres de ma famille, et qui a sans doute été le tout premier livre à propos duquel je me suis vraiment, profondément enthousiasmée, que j'ai défendu bec et ongles, pour lequel j'ai espéré le meilleur (et notamment le Goncourt - je me souviens encore du sentiment d'injustice cosmique qui a été le mien lorsque j'ai appris qu'il n'avait pas été retenu par le jury. Bon, il a fini par avoir encore mieux - petit combo Renaudot + Goncourt des Lycéens, ça fait plaisir, mais ma détresse de l'époque restait forte). Une sublime biographie en vers de l'artiste peintre juive Charlotte Salomon, dont le destin intrigue et passionne un écrivain qui se raconte à la première personne. Le plus réussi des romans de Foenkinos... et peut-être le seul qui pour moi dépasse le stade du "bon roman bien mené", et aille chatouiller un stade qui soit se situer pas loin du chef-d'oeuvre.
Les mains du miracle - Joseph Kessel - Folio - Site Folio
Les Mains du Miracle de Joseph Kessel : ce livre-là est peut-être moins inventif, original ou audacieux que d'autres dans cette liste, mais il a tout de même beaucoup compté pour moi, sans doute parce qu'il a constitué le sommet de ma fascination absolue pour tout ce qui touchait à la Seconde Guerre mondiale (fascination qui perdure aujourd'hui encore, soit dit en passant). Les Mains du Miracle, c'était un livre d'une fluidité folle, la promesse d'une lueur d'espoir quelque part dans le vaste marasme qu'étaient ces années de guerre à l'époque, le destin fou d'une personnalité toujours injustement méconnue et pourtant plus que mémorable (si ce n'est iconique), une biographie d'une richesse et d'un dynamisme rares dont je me souviens encore avec beaucoup, beaucoup d'enthousiasme.
Le Chœur des Femmes de Martin Winckler : j'ai lu ce roman très tôt, alors que je venais tout juste d'avoir quinze ans. C'était sans doute trop tôt, c'est-à-dire au meilleur moment possible. Le Choeur des Femmes, j'en ai beaucoup et souvent parlé ici, sans jamais parvenir à écrire une chronique qui rende justice à ce que ce livre peut représenter pour moi. Je l'écrirai un jour, après l'une des nombreuses relectures que je ferai de ce récit (comme j'en ai déjà fait plusieurs). D'ici là, je ne peux que vous répéter ce que je vous ai déjà souvent dit : ce livre a changé ma vie, ce livre m'a appris que j'étais une femme, qu'à ce titre j'avais des droits inaliénables, et que j'allais aussi être particulièrement exposée à certaines violences, douleurs et expériences. Ce livre m'a secouée, fait rire et espérer, presque pleurer aussi. Ce livre m'a fait grandir, s'est imposé à moi de trois façons différentes à chacune des trois lectures que j'en ai faites. Ce livre est un coup de maître, la définition de l'empathie, de la bienveillance et du respect. Ce livre fait partie des quelques histoires dont j'espère qu'elles orienteront et accompagneront ma vie.
Phobos de Victor Dixen : Phobos, c'est officiellement la mort de mon objectivité. J'aime passionnément cette saga, j'en ai dévoré chaque tome le jour même de sa sortie, je l'ai recommandée à n'en plus pouvoir, et j'ai clairement cessé de faire preuve de tout esprit critique à son encontre. Phobos, c'était une transition, une saga qui m'a cueillie autour de mes quatorze ans pour me laisser à dix-sept ans avec son flamboyant/époustouflant/traumatisant tome final, une histoire que j'ai vécue comme infiniment nuancée, à la fois très accessible et toujours dans une forme d'exigence, de profondeur. J'ai aimé son intensité, ses rebondissements, sa fluidité, j'ai aimé m'y perdre, m'y trouver un peu, m'y évader. J'ai passionnément aimé Phobos, et je l'aimerai toujours.

Etudes supérieures (la vraie vie le début des choses sérieuses, tout ça tout ça)
Amazon.fr - Into the Forest - Hegland, Jean - Livres
Into the Forest/Dans la Forêt de Jean Hegland : ce livre m'a démolie, reconstruite, hypnotisée et complètement dépassée. Ce livre m'a cueillie par surprise, alors que je l'avais trouvé par hasard dans une librairie inconnue qui le mettait en avant comme coup de cœur, et ne m'attendais à pas grand-chose de plus qu'une sympathique histoire survivaliste/post-apocalyptique.
Comme j'avais tort.
Into the Forest, c'est de la pure fiction initiatique comme elle me bouleverse, un récit d'apprentissage qui explose environ tout ce qui a pu se faire dans le genre en termes d'émotion, de justesse, de profondeur et de radicalité. C'est une proposition d'une force inouïe, l'histoire de comment deux jeunes soeurs découvrent l'indépendance, la force et la liberté dans une situation où elles sont "censées" se trouver complètement désemparer (à savoir ni plus ni moins que la fin de notre civilisation, en gros). Livrées à elles-mêmes dans leur maison perdue au fond d'une forêt californienne, les deux adolescentes se disciplinent, s'exercent, et trouvent une routine qui leur est propre, un bonheur réinventé, une complicité nouvelle. J'ai à vrai dire toujours du mal à réaliser que ce livre existe.
Aurélien - Louis Aragon - Folio - Site Folio
Aurélien de Louis Aragon : le gros classique que j'avais un peu peur d'entamer, tout en sachant qu'il y avait de fortes (très fortes) chances que je ne m'en remette pas.
J'avais vu juste.
Aurélien, c'est tout un tas de choses pour moi. Je crois que c'est un peu et surtout la fin de mon adolescence, la prise de conscience que j'avais en réalité déjà pas mal d'idées propres dans mon petit bagage mental. Je crois que c'est une histoire d'une absurdité, d'une poésie et d'une exigence telles que je n'ai pu qu'être renversée. Je crois que j'avais besoin de me confronter à une réflexion exigeante autour de l'absolu, après lequel j'ai couru pendant pas mal de temps dans ma vie, et qu'Aurélien a su me dire (ou qu'en tout cas j'ai su lui faire dire) ce dont j'avais besoin, à savoir que, globalement, quand on ne vit que pour l'absolu, on n'est pas très heureux (voire franchement malheureux). Aurélien ne fait pas que contredire ou décourager cela dit, bien au contraire, il suggère, il dessine, il espère. Il raconte que l'absolu a totalement (et heureusement) sa place dans nos vies, à condition de le prendre et de le traiter pour ce qu'il est : un horizon, un joli vernis à appliquer à certains fragments de l'existence, mais en aucun cas un objectif ou une exigence. Et pour tout ça, Aurélien compte au-delà des mots pour moi.
Educated (Une Education) de Tara Westover : un ouvrage que j'avais choisi un peu par hasard, sans trop savoir grand-chose de son contenu (avec une couverture pareille, difficile de ne pas se laisser tenter). Je n'étais clairement pas prête pour la décharge émotionnelle qui s'en est suivie, avec le récit infiniment humble, puissant et engagé d'une jeune femme qui retrace son enfance dans une famille coupée de tout, attachée à ses convictions jusqu'à s'y prendre au piège, déterminée à l'idée de faire de ses enfants des êtres préservés de toute influence néfaste, jusqu'à les empêcher tout contact avec le monde extérieur. L'autrice y raconte sa détermination, son amour malmené pour ses parents, la passion qu'elle a très vite nourrie pour le savoir et l'éducation auxquels elle a si peu eu accès dans son enfance, et comment elle a tout fait pour pouvoir y accéder après le lycée. C'est bouleversant, jamais spectaculaire ou outrancier, toujours délicat et respectueux. Et même en ayant vécu une enfance carrément préservée, surtout quand on la compare à celle de Tara Westover, on se retrouve dans certains aspects de son parcours : le fait qu'on ne sait pas où on va, mais qu'on y va quand même, parce qu'on sait, au fond, que ce sera mieux. Qu'on y sera bien. Qu'on y sera chez soi.
Belle du Seigneur d'Albert Cohen : je savais que j'allais aimer Belle du Seigneur. C'était plus ou moins acquis. C'était la recommandation ultime qu'on m'avait faite à quelques reprises avec un regard intense et une voix particulièrement assurée. C'était un roman qui allait me changer.
Je l'ai dévoré en l'espace de trois jours, autant vous dire que : je n'ai fait que ça (le bouquin fait quand même plus de 1000 pages). C'était une expérience de lecture comme j'en ai rarement vécu, intense, puissante, douloureuse presque tant elle m'a foudroyée d'un maelström d'émotions contradictoires. Je m'attendais à de la passion, et j'en ai certes eu, mais j'ai aussi eu droit à une dose monumentale d'effroi, d'absurde, de comique, d'ennui, de détresse, d'exaltation, de méchanceté et de douceur, de larges tableaux humains brossés avec une dose totalement excessive (et totalement jouissive) de détails acides, des personnages absolument insupportables qu'on ne se lasse pas de voir jouer leur drôle de pièce de théâtre condamnée. C'est fabuleux, Belle du Seigneur. Là encore, je n'ai pas réussi à en écrire la chronique. Bientôt, après relecture, promis.
Isidore et les Autres de Camille Bordas : un roman que j'avais vu venir au détour d'une rentrée littéraire (2018, si ma mémoire est bonne), avec sa couverture toute ludique et son résumé plus qu'alléchant. Il avait l'air d'une histoire familiale touchante, pas renversante non plus, et il a fini par voler mon coeur, le piétiner, le broyer et l'exploser en un million de petits morceaux, pour ne plus jamais me le rendre. Isidore et les autres, c'est donc l'histoire d'Isidore, et aussi de ses frères et soeurs aînés, parce que ce sont eux qui prennent en réalité toute la place, la parole et l'espace dans la famille, avec leurs QI exacerbés, leurs CV impressionnants et leurs lectures si sophistiquées, tandis qu'Isidore, le petit dernier à l'intelligence tout à fait normale et à la conversation bien en retard, fait figure d'élément du décor. Isidore se sent différent, bien sûr, mais s'y est habitué, et n'en souffre même plus vraiment. C'était sans compter sur la mort du père, qui va chambouler tout l'équilibre familial, et révéler Isidore pour ce qu'il est, à savoir une pure pépite d'être humain à l'intuition émotionnelle hors-normes, et sans aucun doute la présence qui permettra à toute sa famille de poser un regard nouveau, plus sain et plus bienveillant sur le monde. C'est doux, drôle, inattendu, captivant, infiniment réjouissant. C'est un roman qui m'a poursuivie, dont certains dialogues me marquent encore, dont les réflexions m'ont chamboulée. 
Les Années d'Annie Ernaux : bon, alors, celui-là, honnêtement, je vais avoir du mal à en parler de façon cohérente sans me transformer en flaque verbeuse. Ce livre, c'est tout, c'est tout moi, toutes mes sensations, tout de la façon dont je perçois le monde, toutes mes appréhensions, tout mon ressenti du temps qui passe, des gens, du monde, des sensations, c'est une forme d'apaisement inquiet, de tranquillité attentive, qui me parlent au-delà des mots. C'est un récit traversé par une sensibilité infiniment exacerbée, qui cadre absolument complètement avec ma tendance à me saisir des moindres détails de mon environnement, à les analyser et à leur faire dire tout un tas de choses très romanesques et très signifiantes. C'est un roman qui arrive à résumer toutes ces choses plutôt complexes de façon infiniment simple, fluide et accessible, une magnifique démonstration de force de la part d'une écrivaine qui n'a honnêtement plus grand-chose à prouver quant à sa maîtrise absolue du récit de soi, des autres et du monde. Sublime.
Amazon.fr - Chronique de la dérive douce - Laferrière de l ...
Chronique de la Dérive Douce de Dany Laferrière : on fera difficilement lecture plus iconique que celle que j'ai faite de Chronique de la dérive douce (le récit de l'arrivée de son auteur à Montréal dans les années 70, alors que celui-ci devait quitter son Haïti natal, et de son acclimatation au Québec, le tout avec une poésie folle) puisque j'ai lu cet ouvrage fabuleux d'une traite alors que j'étais dans le vol Paris-Montréal, m'apprêtant moi aussi à découvrir la belle province et à y passer une année d'études. C'était fou, virtuose, virevoltant, c'était une invitation à découvrir tout un univers que je n'avais fait qu'effleurer à travers mes recherches en ligne, c'était une folle bouffée d'espoir alors que je n'avais pas même encore foulé le sol de la ville qui allait m'accueillir de façon assez immédiate. C'était un voyage, une évidence, tout un sentiment de hâte et d'évidence qui se sont offerts à moi à travers ce livre. C'était un moment de lecture rare, comme on n'en connaît (je crois ?) qu'une poignée dans une vie.
Jolis Jolis Monstres de Julien Dufresne-Lamy : le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en commençant ce livre, je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait. Aucune. 
J'étais jeune et naïve, je voulais lire quelques titres de la collection où je venais tout juste d'apprendre que j'allais être publiée (youpi), et j'avais envie de découvrir ces monstres dont la couverture et le nom m'intriguaient tant.
Je n'ai pas été déçue.
J'ai été foudroyée, renversée et comblée.
Tout ça à la fois.
J'ai déjà beaucoup parlé de Jolis Jolis Monstres, je recommencerai ici : c'est un texte d'une puissance rare (le genre de livre qui donne à la fois envie de se ruer sur son clavier pour écrire à son tour tant il impose sa créativité, son souffle et sa passion, mais aussi le genre de livre qui file des complexes dans il paraît abouti, ambitieux et audacieux, et tant on se dit qu'on n'a pas moyen d'atteindre ce niveau-là), une histoire bouleversante, renversante, aux couleurs et au rythme inouï, un pur concentré de beauté, de violence et de passion qui mérite tous les superlatifs du monde, et à propos duquel j'ai tout à fait envie d'être aussi excessive que possible. C'est fantastiquement queer, profondément recherché et accessible à la fois, inventif, brutal et apaisant. C'est les monstres, quoi. Un peu étranges, mais si peu éloignés de nous. 
Il est juste que les forts soient frappés de Thibault Bérard : il est des romans qu'on croit ne pas avoir besoin de lire pour savoir qu'on les aimera, qu'on finit par lire, et dont on se rend compte qu'on n'avait en réalité aucune idée de combien on les aimerait. 
Le premier roman de Thibault Bérard est une sacrée claque, dont il m'a fallu un certain temps pour me remettre, un tunnel d'émotions qu'on traverse en trombe et au bout duquel on trouve une lumière rare, ultime presque. C'était pour moi un roman dont j'ai fait une lecture extrêmement personnelle, parce que ça me parle, tout ça, la maladie, le deuil, l'absence et l'espoir, parce que j'ai eu la chance de pouvoir échanger avec son auteur via ce petit blog, parce que j'attendais beaucoup de ce texte et qu'il a quand même réussi à me surprendre. Parce que c'est des histoires comme celle-ci que j'espère écrire et que je cherche encore à écrire. Parce que c'est ce sentiment-là, de reconnaissance soulagée, de beauté retrouvée et de résilience retrouvée, qui m'a permis de faire beaucoup, beaucoup, beaucoup des choses que j'estime le plus et dont je suis le plus fière dans ma vie. Alors merci Tibo. 
Sophie's Choice (Le Choix de Sophie) de William Styron : le grand retour de la Seconde Guerre mondiale (oups) !
Pour tout vous dire, j'ai beaucoup hésité entre ce roman-ci et l'un des innombrables romans de Zola qui m'ont marquée tout au long de ma vie de lectrice. Vous allez me dire, et à raison : "mais tu as fumé Capucine, un roman américain sur une rescapée de la Shoah d'une part, et une saga française réaliste et naturaliste du XIXème siècle, ça n'a absolument rien à voir". Alors, certes, mais écoutez un instant : je vois sincèrement des liens entre ces deux oeuvres certes très éloignées, mais unies par un même souffle, une même volonté de """raconter le monde""". Les deux approches ne se ressemblent pas tellement au niveau de leur contenu (entre le discours bien intense, personnel, morcelé et chargé en émotions de Sophie's Choice, et les descriptions analytiques foisonnantes d'un Zola occupé à disséquer sa propre société à travers la vie d'une famille, il y a certes un petit écart), mais au niveau de ce qu'ils m'ont fait ressentir. Ce sont des oeuvres pour lesquelles j'ai une profonde admiration, dans l'ambition de ce qu'elles déploient, dans ce qu'elles veulent raconter : l'histoire, la nature humaine, le monde dans ce qu'il a de plus sombre et de plus désemparant. Ce sont, à mon sens, deux façons virtuoses et maîtriser de faire ce sur quoi beaucoup se sont cassé les dents : raconter """"la grande histoire à travers la petite""""", saisir en quoi l'individu peut refléter des dynamiques qui le dépassent, et les rendre infiniment plus puissantes et signifiantes. Sophie, c'est infiniment elle et c'est infiniment chaque victime de la guerre, tout comme les Rougon-Macquart sont infiniment une famille prise au piège de sa propre génétique, condition et hérédité, tout en étant évidemment symptomatiques de la société dans laquelle ils évoluent.

Bref. Je m'arrête. Lisez Sophie's Choice. Et Zola aussi.

Bon, et du coup, tant qu'on y est, si vous voulez quelques recommandations zoliennes de ma part (si si, promis, cet adjectif existe), voici : La Conquête de Plassans, L'Assommoir, L'OEuvre, Nana et Au Bonheur des Dames.
Mémoires d'une Jeune Fille rangée de Simone de Beauvoir : lecture toute récente, alors forcément, on fait face à un certain biais, mais malgré tout plus que marquante. Les Mémoires d'une Jeune Fille rangée, c'est l'apothéose de tout ce que j'aime : le fait de romancer sa propre vie, d'inventer sans mentir pour autant, de tout analyser avec passion mais sans prétention, de voir du sens partout et par là même d'en inventer, d'apprendre à s'aimer et à se valoriser grâce aux mots et à la fiction. Au-delà d'être un excellent bouquin, Mémoires d'une Jeune Fille rangée, c'est aussi une sorte de mode d'emploi (non pas dans le sens où il ordonne de répliquer la vie de Simone de Beauvoir, mais plutôt dans la façon qu'il a de proposer, de suggérer une certaine façon de considérer et raconter comme sa vie, comme un épanouissement logique, harmonieux et inéluctable. Bon, après, on s'entend, c'est facile d'avoir une vision aussi agréable et enrichissante de l'existence quand on est quelqu'un comme Simone de Beauvoir, et qu'en plus on romance à fond le tout. Mais là encore, il ne s'agit pas de la prendre au pied de la lettre. Simplement de profiter de ce qui est - je crois - une vision assez pertinente, bénéfique et originale de l'estime de soi, de l'ambition et de la curiosité, et que je n'avais jamais vue transcrite avec une telle richesse et un tel dynamisme avant ce livre).
L'Insoutenable Légèreté de l'Être de Milan Kundera : bon alors là, vraiment, ce livre m'a démolie, comprise, soutenue et stimulée. C'est, en quelques mots, le roman de mes vingt ans, celui qui a su me saisir précisément là où j'en avais besoin, à ce drôle de seuil ou de passage que je suis peut-être seule à distinguer, mais qui me paraît faire quand même pas mal sens. L'Insoutenable Légèreté de l'Être, c'est ce roman que j'aurais sans doute bien moins apprécié il y a quelques années et que j'apprécierai sûrement encore davantage à l'avenir, qui m'a fait l'effet d'une sorte de validation, d'approbation, et en le même temps de défi lancé à la lectrice que j'étais, d'encouragement à me dépasser, à voir encore au-delà de là où je me trouve maintenant. C'est un texte particulier, qui ne se prend pas vraiment pour le roman qu'il est de toute façon à peine, mais qui a su, et qui saura je pense longtemps, m'apporter exactement ce qu'il me faut. De la passion, de la lucidité, de la douceur et de l'amertume. Et ça, vraiment, c'est précieux.

Et vous, alors, les romans de votre vie, ils ressemblent à quoi ? 

Commentaires

  1. Quel bel article, wahou !! Et bienvenue dans la vingtaine, j'te souhaite encore tout plein de délicieuses découvertes livresques^^

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