Le Journal d'une Femme de chambre d'Octave Mirbeau - Chronique n°529

Titre : Le Journal d'une Femme de chambre
Auteur : Octave Mirbeau
Genre : Classique
Editions : Le Livre de Poche
Lu en : français
Date de parution : 1900
Nombre de pages : 512
Résumé : Ce journal d'une femme de chambre est celui de Célestine, au Mesnil-Roy, en Normandie. Elle est nouvellement engagée, acceptant la place dans l'espoir de se reposer des turbulences parisiennes. Les événements ne manqueront pas pour colorier son quotidien. Un quotidien qu'elle consigne avec "toute la franchise qui est en elle et quand il le faut toute la brutalité qui est dans la vie".
C'est donc là un journal de femme en province, au bas de l'échelle sociale, et le prétexte pour Mirbeau de brosser au scalpel une étonnante galerie de portraits, dans une violente satire des moeurs provinciales et parisiennes de la Belle Époque. Autopsie de la bonne bourgeoisie, ce Journal dresse en petites touches, parfois en larges aplats, les travers d'une humanité mesquine, hypocrite, et condamne tous les débordements nationalistes et antisémites.

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Certains classiques, qu’on se le dise, peuvent laisser un peu songeur lorsqu’on ne fait qu’en lire le résumé, et j’avouerai que Le Journal d’une femme de chambre faisait partie pour moi de ces titres obscurs dont je me doutais que je les lirais un jour, sans non plus nourrir d’enthousiasme particulier à leur sujet.
Comme je peux avoir tort, parfois.

Le Journal d’une femme de chambre, c’est incroyable. Et laissez-moi vous expliquer pourquoi.

Le Journal est celui de Célestine, femme de chambre de profession donc, qui en a vu des vertes et des pas mûres, et qui a déjà eu plus que son compte de maîtres ingrats, vicieux ou menteurs, de maisons bizarres et malsaines, d’histoires tristes ou drôles, quand elles ne sont pas les deux à la fois, et surtout d’éternels départs, renvois et autres démissions, desquels elle se remet toujours lentement, par une nouvelle embauche et une nouvelle déception.

Célestine n’a pas tout pu choisir, dans la vie, et même sa carrière n’est qu’un pis-aller, en attendant mieux, un beau mariage par exemple. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle se morfond, déprime ou s’agace de son existence. Au contraire, elle s’en amuse. Elle raconte. Et surtout, elle se souvient.

C’est toute la nature humaine que Célestine observe au fil de ses différents emplois, elle qui n’a pas son pareil pour capturer les détails risibles, sordides ou intrigants que ses maîtres sont si peu doués pour cacher, elle qui s’amuse de reconnaître partout les mêmes vices, les mêmes négligences et les mêmes manies, elle à qui au fond, on ne la fait plus vraiment, et qui ne se trouve pas si mal dans son rôle d’observatrice attentive et très corrosive de vies qu’elle a appris à ne plus jalouser.

Elle est arrogante, Célestine, caustique aussi, terriblement attachante malgré tout. Elle amuse son public tout autant qu’elle-même, provoque quelques soupirs consternés, surpris ou hilares et trouve toujours le mot juste, la petite remarque qui va bien, la bonne comparaison acide.

Elle est instable, c’est certain, pleine d’envies et d’ambitions, commet des erreurs, parfois irrattrapables comme on finit par le comprendre au fil des confidences qu’elle glisse dans son journal, comme malgré elle, rattrapée par un passé qu’on finit par comprendre bien moins fluide et anodin que ce qu’elle a pu laisser entendre dans ses premières pages.

Elle est forte, la voix de cette domestique douloureusement consciente de sa propre condition, révoltée, atterrée par la médiocrité de ses nouveaux employeurs et par l’ennui dans lequel elle se morfond chez eux, en Normandie. Elle ne se laissera pas abattre, en tout cas pas de sitôt. Elle continuera de raconter, d’emporter ses lecteurs dans la valse tellement réjouissante de ses récriminations indignées. A moins qu’elle ne finisse par trouver plus fort qu’elle, plus fort encore que ce monde et cette société qu’elle a fini par analyser mais qu’elle ne maîtrise pas pour autant. A moins que toutes ces années ne l’aient niée, réduite. A moins qu’elle ne souffre de certaines blessures particulières, du genre dont on ne se remet pas, et qu’on cherche à guérir bien malgré soi sans se douter de combien on se fourvoie.

C’est ce que raconte le Journal d’une femme de chambre. Des tentatives, une infinité, au point que leur actrice elle-même n’y croit plus vraiment. Une ambition, surtout, une énergie furieuse et flamboyante. Une insatisfaction, constante. Reste à voir comment se terminent de pareilles histoires, celles qui commencent comme des milliers d’autres, déroulent leurs fantaisies en toute discrétion, et risquent à chaque instant d’y laisser des plumes.

C’est fabuleux, magiquement écrit, brillant d’intelligence. C’est peut-être l’une des tentatives les plus réussies de narration féminine par un homme écrivain, reconstitution infiniment minutieuse d’une profession qu’on a le sentiment de comprendre dans sa globalité (autant en tout cas qu’un roman peut le laisser entrevoir). C’est ardent, c’est passionnant, et c’est violent.

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