Par les routes de Sylvain Prudhomme - Chronique n°534
Titre : Par les routes
Auteur : Sylvain Prudhomme
Genre : Contemporain
Editions : Gallimard (collection L'Arbalète)
Date de parution : 2019
Lu en : français
Nombre de pages : 297
Résumé : « J’ai retrouvé l’autostoppeur dans une petite ville du sud-est de la France, après des années sans penser à lui. Je l’ai retrouvé amoureux, installé, devenu père. Je me suis rappelé tout ce qui m’avait décidé, autrefois, à lui demander de sortir de ma vie. J’ai frappé à sa porte. J’ai rencontré Marie. »
Avec Par les routes, Sylvain Prudhomme raconte la force de l’amitié et du désir, le vertige devant la multitude des existences possibles.
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Il s'appelle Sacha, il a quarante ans, un peu plus, une vie agréable. Il est écrivain, ça lui réussit plutôt bien. Mais voilà, il s'ennuie. Il a envie, besoin peut-être, d'ailleurs. Alors il part, quitte la ville, les obligations, la routine, retrouve un petit village du Sud qu'il aime et où il s'imagine déjà écrire un nouveau roman, enfin seul, enfin libre. Mais à peine installé à V., le voilà confronté à un visage familier, presque un fantôme du passé : l'autostoppeur, personnage mystérieux sans nom ni âge dont on comprend très vite qu'il est un ancien camarade de galère de Sacha, désormais installé à V. avec sa femme et son fils. Très vite, les souvenirs resurgissent, les frustrations aussi. On se compare, on se cherche, on se surprend à avoir (ou pas) changé.
Sacha se trouve bien, ici. Il aime cette espèce de famille d'adoption qu'il a trouvée chez l'autostoppeur. Ce dernier, au contraire, subit l'arrivée de Sacha dans sa vie comme un révélateur, une perturbation qui lui fait effet de douche froide. N'est-ce pas triste, n'est-ce pas un signe de défaite que l'écrivain l'ait retrouvé aussi vite, sans même avoir à le chercher ? L'autostoppeur n'a-t-il pas abandonné ce qu'il avait de plus précieux, son sens de l'audace, de l'aventure ?
Difficile de répondre à cette question. L'autostoppeur ne le fait d'ailleurs pas. Il se contente de partir, tout simplement, par les routes, en autostop donc, par soif d'ailleurs, d'improvisation, de joyeux bazar. Il n'a ni destination, ni itinéraire, ni date retour. Rien qu'un amour immodéré pour les petits trous perdus, les villages aux noms insolites, et les cartes postales dont il abreuve sa femme et son fils, et puis Sacha aussi, à V. où ils attendent en vain son retour.
C'est un roman sans réelle intrigue, une simple plongée dans le quotidien flou et tracassé d'aventuriers qui ont peur de l'être, voire qui ont renoncé à le devenir, et dans les ruminations solitaires qui en naissent. C'est l'histoire de ceux qui choisissent de s'installer, ceux qui regrettent de l'avoir fait, et ceux qui refusent de s'y résoudre. C'est l'affrontement entre ceux qui préfèrent rencontrer des inconnus, les regarder, et puis les aimer justement parce qu'ils les quittent, et de ceux qui regrettent de ne pas passer assez de temps avec ceux qu'ils connaissent déjà. C'est une odyssée dont on redoute le terme, une expérience littéraire déstabilisante à plus d'un titre. La plume est fuyante, pleine d'ellipses, de suggestions, de silences jamais vraiment brisés, de provocations jamais vraiment actées. On assiste à des chocs, des ruptures, des désillusions, mais jamais dans le fracas. Au contraire, tout se déroule dans une forme étonnante de discrétion, de fluidité, de retenue, jusqu'aux dialogues qui ne sont pas même délimités par des tirets ou des guillemets, mais comme intégrés au texte, étouffés.
C'est donc un curieux ouvrage que Par les routes, à la fois très dense et très vide, récit complètement tourné vers l'ailleurs, l'infini et l'exploration, et pourtant très intime, très calme, sans réelles perturbations ou péripéties. On est emporté presque malgré soi par ce récit imprévisible et peut-être un peu inégal, avec parfois de longues plages de méditations un peu trop incolores, mais aussi des scènes bouleversantes de simplicité, de délicatesse, et, même si le mot est un peu galvaudé, d'humanité.
Difficile de poser des mots face à ce roman qui va justement en effacer, en intérioriser. Tout est suggéré, proposé : rien n'est imposé, et c'est sans doute au lecteur d'aller puiser dans sa propre sensibilité pour aller compléter les magnifiques silences de ce récit singulier. On bascule parfois dans un côté un peu trop "catalogue", décousu presque, mais par lequel on se laisse finalement porter avec une certaine aisance. Une belle expérience de lecture donc, un peu insaisissable et cryptique par instants, mais qu'on aurait indéniablement du mal à oublier, tant Sylvain Prudhomme parvient à toucher avec brio à un dilemme universel : partir, ou rester. Créer, ou entretenir. Semer, ou s'astreindre à la tâche ingrate et si peu spectaculaire des retrouvailles.
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