Le Parfum de Patrick Süskind - Chronique n°530

Titre : Le Parfum | Histoire d'un meurtrier
Auteur : Patrick Süskind
Genre : Contemporain | Historique
Editions : Le Livre de Poche
Date de parution : 1985
Traduit par : Bernard Lortholary
Nombre de pages : 269
Résumé : Au XVIIIe siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus horribles de son époque. Il s'appelait Jean-Baptiste Grenouille. Sa naissance, son enfance furent épouvantables et tout autre que lui n'aurait pas survécu. Mais Grenouille n'avait besoin que d'un minimum de nourriture et de vêtements, et son âme n'avait besoin de rien.
Or ce monstre de Grenouille, car il s'agissait bel et bien d'un genre de monstre, avait un don, ou plutôt un nez unique au monde et il entendait bien devenir, même par les moyens les plus atroces, le Dieu tout-puissant de l'univers, car « qui maîtrisait les odeurs, maîtrisait le cœur des hommes ».


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Celui-là, on m’en a parlé souvent.

« Tu l’as lu, Le parfum, évidemment ? »

« Tu vas adorer, c’est évident »

Non, je ne l’avais pas lu, Le parfum, bizarrement.

En revanche, c’est fait, maintenant.

Et c’est brillant, effectivement.


Le Parfum, c’est ce roman incroyablement dense, à l’action riche et aux descriptions saisissantes au point qu’on en oublie presque qu’il ne fait pas même 300 pages. L’intrigue s’y déroule dans la France du XVIIIème siècle, bien loin de celle que l’on côtoie en général dans les fictions historiques et autres films d’époque : pas de Galerie des glaces, pas de cour royale, pas de champ de bataille ou de guerre d’egos royaux européens. Ici, on n’a que la rue, la rue sale et croupissante, la pauvreté, partout, l’avidité aussi, et de façon générale, une bonne dose massive de médiocrité humaine. On pourrait dire de façon très éculée (mais aussi très exacte) que l’auteur ne prend pas de gants avec ses lecteurs, et les plonge dès la toute première page dans une description suffocante, impressionnante et révulsante de ce qu’est la rue à Paris à cette époque, de la crasse qui y règne, de combien on y meurt, gémit et souffre, et surtout, surtout, de combien on y étouffe. Le roman est en effet connu par-dessus tout pour sa façon de décrire les odeurs de ses décors, notamment lorsque celles-ci sont envahissantes, pestilentielles ou même carrément révoltantes. Le Parfum est justement un bouquet de senteurs, d'éléments odorifères et autres fragrances dont la diversité n’a d’égale que la précision de la description. Et je confirme, non seulement c'est réussi, mais c'est inoubliable. Le texte frappe à la gorge, au sang, aux sens, violente et sublime, chahute et chamboule. On est assailli d'intuitions souvent contradictoires : dégoût, attirance, rejet, émerveillement, dans un tournis rare comme seuls (je crois) les objets littéraires savent en provoquer.

C’est un roman brutal, d’une violence rare, aussi bien dans la cruauté et la laideur de ce qu’il décrit, que dans le pessimisme intransigeant avec lequel il dépeint la nature humaine et l’extrême déchaînement de passions qu’il prête à la foule, ou qu’enfin et surtout dans l’indifférence suprême de Grenouille, son obsession pour sa quête d’idéal, son incapacité à trouver du plaisir ailleurs que dans la discipline, et l’effort et le travail qui l’aideront à atteindre son mystérieux objectif intime.

La plume n’est pas aussi sophistiquée qu’on ne pourrait s’y attendre en entendant parler de classique de la littérature allemande, et s’avère même au contraire plutôt accessible, avec des descriptions foisonnantes et un vocabulaire très recherché, mais toujours entraînantes, saisissantes, convaincantes. Le côté un peu mécanique du récit sert aussi le rythme implacable avec lequel se déroule l’intrigue, cet itinéraire sordide d’une âme à la fois damnée et prodige. Le tout se lit donc d’une traite, avec un intérêt avide, une stupeur constante et une espèce de transe indescriptible tant l’auteur assène à son lecteur de multiples provocations sensorielles, retournements de situation et autres coups de théâtre à la limite du traumatisme.

Le Parfum est une œuvre clairement pas dédiée à toutes sortes de publics, mais assez unique en son genre, en ce qu’elle constitue sans doute l’un des textes les plus radicaux, brutaux et originaux que j’ai pu lire. C’est intense, tranché, ça se veut choquant et ça l’est sans le moindre doute, mais pas de façon gratuite ou inutile, puisque tout ce déchaînement d’odeurs, de pulsions et de passions aboutit à quelque chose, à une tension réelle, à une volonté (inconsciente ?) de la part du lecteur d’être témoin jusqu’au bout de cette quête totale et destructrice, à une atmosphère cohérente et pour le moins marquante, aux airs de conte de fées sacrément tordu, de récit historique qui n’a pas vraiment non plus vocation à l’être, et de roman, de pur roman, dans tout ce que ce mot implique d’unique, d’enflammé et d’inexplicable qu’on choisit presque d’iconiser. On aurait envie de considérer Le Parfum comme un récit de l’origine du mal, mais ça n’en est pas un, pas même une histoire du mal. Rien qu’une histoire énorme, bien trop gigantesque pour pouvoir se soutenir elle-même au-delà de 250 pages, fulgurante et captivante chronique d’une destruction annoncée (et désirée).

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