Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

Titre : Une Femme
Autrice : Anne Delbée
Genre : Biographie
Editions : Le Livre de Poche
Nombre de pages : 384
Lu en : français
Résumé : C'est grâce à ce livre, enfin réédité, que nous a été révélée la vie extraordinaire de Camille Claudel. Sœur aînée de l'écrivain Paul Claudel, Camille a connu, en tant que femme et en tant qu'artiste, un destin hors du commun. A la fin du siècle dernier, une jeune fille de dix-sept ans qui veut être sculpteur, c'est inconcevable, voire scandaleux. Or, Camille se lance dans l'aventure à corps perdu, avec l'enthousiasme et la farouche volonté qui la caractérisent. Jusqu'au jour de 1883 où elle rencontre Auguste Rodin. Le Maître accepte de la prendre comme élève ; bientôt il deviendra son amant. Suivent quinze années d'une liaison passionnée et orageuse d'où Camille sortira épuisée et vaincue... Elle mourra en 1943 à l'asile de Montdevergues, près d'Avignon, après un terrible internement qui aura duré trente ans, laissant au jugement de la postérité une oeuvre considérable, d'une rare puissance et d'une originalité visionnaire. Ce livre de réhabilitation de Camille, écrit avec émotion par une autre femme, une autre artiste, lui rend enfin justice. 

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Une Femme est paru au début des années 80, où il a connu un véritable succès et a participé à la redécouverte de l'oeuvre de Camille Claudel, injustement oubliée par l'histoire et éclipsée par son frère, Paul Claudel, et surtout par son maître sculpteur et amant, Auguste Rodin. 

Une Femme est certes une biographie, mais c'est avant tout un roman, avec une plume d'une inventivité et d'une sensualité assez folle, qui déploie des images souvent poétiques, parfois déstabilisantes, toujours bien trouvées. L'autrice suit le fil de la vie de son héroïne, en intercalant des passages classiques, d'autres beaucoup plus... fumeux, des lettres de l'asile où Camille s'est fait interner par son frère, des souvenirs, des projections, des délires même. Elle crée ainsi une chronologie très éclatée, qui peut déconcerter, mais par laquelle on finit par se laisser porter. Le roman assume sa part - majeure - de fiction, de romanesque, se donne des effets de style et brode à partir de rumeurs - par exemple celles des grossesses de Camille -, mais sans jamais donner l'impression de trahir la mémoire de l'artiste. C'est la fiction dans ce qu'elle a de meilleur, assumée et exigeante au point que le lecteur en arrive à se demander comment la vie de Camille Claudel aurait pu être différente de ce qu'Anne Delbée suggère.

Et ça marche. Plus que touché, on est saisi. Le style a beau être très exigeant, soutenu, les points de vue dans la narration pas toujours évidents à reconnaître, le tout est terriblement convaincant. 
C'est un ouvrage difficile, pénible même, tant par sa forme quelque peu sibylline parfois - accrochez-vous pendant les 60 premières pages, la suite vaut le coup - que par son fond passablement sombre et déprimant. 
Mais c'est un ouvrage bouillonnant, passionnel, qui donne le sentiment de rendre justice à la femme hors-normes qu'était Camille. Au fil des pages, on s'enflamme comme elle lorsqu'elle évoque son désir brûlant de s'imposer comme "femme sculpteur", on se sent aussi abattu qu'elle par ses échecs, et surtout, on peine parfois à poursuivre sa lecture tant les injustices dont elle est victime sont écœurantes. Il est même difficile de garder son sang-froid face au comportement de Paul, son frère, éminent académicien et fort respectable écrivain. On peut d'ailleurs relever le traitement particulièrement soigné du personnage de Paul, que l'on suit  longuement adolescent puis jeune adulte, ambitieux sans être avide, mais dont on sait parfaitement quel acte lâche et cruel il va finir par commettre. Quand le basculement s'opère-t-il ? Y en a-t-il seulement un ? Sa trahison envers Camille était-elle là depuis le début, à couver, à attendre le bon moment ? 

Une Femme est donc un roman dense, complexe, pluriel, dont on ne saisit pas toutes les subtilités - surtout dans les fameux premiers chapitres, argh -, qui multiplie les créations littéraires : monologues intérieurs tourmentés, descriptions lyriques, lettres désespérées, ellipses de plusieurs années, récit plus classique... La lecture est surprenante à plus d'un égard, et apporte un éclairage intime sur une figure fascinante, dont certaines oeuvres prennent une nouvelle signification une fois qu'on en a découvert l'interprétation d'Anne Delbée. L'autrice ne sait pas tout sur son héroïne, évidemment, mais la version de sa vie qu'elle imagine s'impose comme délicate, crue certes, mais à plus d'un égard bienveillante envers cette artiste qui, soyons honnêtes, s'en est quand même pris plein la figure et méritait autre chose que ce qu'elle a subi. 

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