Les Patriotes de Sana Krasikov - Chronique n°507

Titre : Les Patriotes
Autrice : Sana Krasikov
Genre : Historique
Editions : Albin Michel
Lu en : français
Traduit par : Sarah Gurcel
Date de parution : 2019
Nombre de pages : 600
Résumé : Alors que les États-Unis sont frappés par la Grande Dépression, Florence Fein, à seulement 24 ans, quitte Brooklyn pour une ville industrielle de l’Oural, dans la toute jeune URSS. Elle n’y trouvera pas ce qu’elle espérait : un idéal d’indépendance et de liberté. Comme de nombreux Refuzniks, son fils Julian, une fois adulte, émigre aux États-Unis. Des années plus tard, en apprenant l’ouverture des archives du KGB, il revient en Russie et découvre les zones d’ombre de la vie de sa mère.

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Les Patriotes, c'est une sacrée brique.
Plus que ça, c'est un roman historique étalé sur plus de soixante ans d'action, une saga familiale englobant les destinées de trois générations d'une même lignée prise entre l'Amérique et la Russie, mais aussi le récit du capitalisme et de ses promesses non tenues, du communisme et de ses désillusions, de la violence ordinaire, de l'immigration, bref, un bon paquet de dossiers brûlants.
Et avec un tel pavé, difficile de faire dans l'entre-deux : soit l'ambition de l'histoire donne lieu à une fresque historique captivante, soit ses ramifications finissent par s'emberlificoter d'elles-mêmes et filer une migraine carabinée au lecteur désarçonné.
Dans le cas des Patriotes, ça a marché. 
Et pas qu'un peu.

Ce n'était pourtant pas gagné : la première fois que je l'ai entamé, je me suis heurtée à un récit qui me paraissait assez terriblement hermétique, et j'ai bien failli en rester là, après m'être péniblement hissée jusqu'à la page 250 avec un sentiment d'essoufflement et d'incompréhension similaire à celui que l'on doit manifester en courant un marathon les yeux bandés (et je n'étais pas même rendue à la moitié de la fameuse brique, d'où le découragement).
Cependant, sur un coup de tête que l'on peut expliquer par mon optimisme à toute épreuve ou bien par ma grande bêtise (probablement un mélange des deux), j'ai décidé de recommencer ma lecture à la toute première page. De redonner une chance au livre. Et d'aviser.
Fort bien m'en a pris.
Je ne m'explique à vrai dire pas tout à fait par quel miracle ou quel réajustement de mon cerveau cela a pu se produire, mais le fait était là : le récit auquel je ne captais pas grand-chose et donc les péripéties semblaient passer dans mon cerveau sans jamais ne s'y imprimer était brusquement devenu captivant, vivant, cohérent, marquant. J'ai adoré. Et j'ai tout dévoré en 24 heures.

Mesdames et messieurs, la logique.

Les Patriotes, c'est en premier lieu l'histoire de Florence, jeune Américaine juive d'origine russe, qui n'a jamais connu que New York, Cleveland et leurs déceptions successives, et décide tout à coup de partir pour l'URSS et ses promesses de justice, d'accomplissement et de solidarité. Embarquée sur un bateau pour une traversée de plusieurs semaines, elle rêve à des lendemains meilleurs, sans se douter que bien sûr, la réalité n'aura pas grand-chose de commun avec les grands discours idéalistes que ses quelques collègues soviétiques aux Etats-Unis ont pu lui tenir. Le roman s'attache ainsi à décrire l'itinéraire chaotique de la jeune femme, prise entre ses idéaux, ses identités, ses loyautés, et bien entendu les retentissements que ses choix auront sur sa descendance, alternant les narrateurs et les époques, et témoignant surtout d'un remarquable travail de recherche et de croisement des sources de la part de l'autrice, qui ne se contente pas de promener son héroïne d'un bout à l'autre du globe, mais en profite pour décortiquer tous les stratagèmes d'influence et de propagande interposée que déploient les deux blocs tout au long de la Guerre Froide. C'est fait avec subtilité et pédagogie, et le moins que l'on puisse dire, c'est que le rendu est réussi.

Certaines trames narratives restent plus prenantes que d'autres, et la trajectoire de Florence reste la plus captivante là où celle de son fils et de son petit-fils dans la Russie contemporaine, si elle permet de rendre compte de l'héritage soviétique de façon cynique et glaçante, paraît parfois un peu froide et technique à côté de l'intense tourbillon de dilemmes et autres passions de Florence. Les Patriotes n'en reste pas moins 
brillant, nerveux, captivant d'un bout à l'autre. Il est surtout une oeuvre dont on peine à croire qu'il s'agit d'un premier roman, tant il s'avère fantastique, foisonnant d'idées, classique dans son style et sa construction mais fabuleusement riche dans son fond. Bref, une vraie réussite - et si ça ne marche pas du premier coup, reste toujours la possibilité d'une seconde tentative, pas vrai. 

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