Août 61 de Sarah Cohen-Scali - Chronique n°485
Titre : Août 61
Autrice : Sarah Cohen-Scali
Autrice : Sarah Cohen-Scali
Genre : Historique
Editions : Albin Michel (collection Litt')
Nombre de pages : 480
Lu en : français
Lu en : français
Date de parution : 2019
Résumé : Ben ne sait plus qui il est, il ne reconnaît plus ses proches. Alzheimer ?
Résumé : Ben ne sait plus qui il est, il ne reconnaît plus ses proches. Alzheimer ?
Il va devoir revisiter un passé douloureux dans l'Allemagne en guerre et celle de la libération, puis dans l'Angleterre et la France des années cinquante. Son fil rouge, fil d'Ariane dans le labyrinthe d'une mémoire traumatique : son amour d'enfance, Tuva, née dans un Lebensborn norvégien, qu'il rejoint à Berlin, un soir d'août 1961, alors que le Mur va scinder la ville en deux.
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Un grand merci aux éditions Albin Michel pour cet envoi !
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Ben a la mémoire fuyante, changeante, agaçante. Le monde s'agite autour de lui sans qu'il ne comprenne plus vraiment pourquoi, les ombres se succèdent, les noms lui échappent. Ses propres souvenirs se sont fait la malle. Il n'a plus la moindre idée ce qu'il a bien pu faire de sa vie, de ce qu'il était avant de devenir le vieillard dans le corps duquel il se trouve désormais. Seule certitude, seule présence avec lui : une petite voix dans sa tête, celle de l'enfant qu'il a été, en 1945, alors que la Seconde Guerre mondiale laissait lentement retomber son souffle brûlant, et que la reconstruction s'amorçait pour lui.
Le petit garçon dans sa tête n'en revient pas. Le monde a bien changé, depuis sa sortie des camps de la mort, son arrivée en Angleterre, son réapprentissage de la vie. Il fait part de sa stupéfaction à Ben, de son inquiétude pour le vieil homme, aussi. Puisqu'ils n'ont personne d'autre à qui se raccrocher, ils vont s'entraider, se répondre, et puis, avec un peu de chance, rassembler les pièces de l'immense puzzle de leur existence, entre les cendres de l'Allemagne prise par les Alliés, le Londres des années 50 et les barbelés du mur de Berlin.
Août 61 s'offre ainsi comme une odyssée mémorielle, mi-nostalgique mi-bienheureuse, au cœur de parcours chahutés, traumatiques, bouleversants. Il y a celui de Ben, en réalité né sous le nom de Beniek, déporté, rescapé, déplacé. Il y a celui de Tuva, petite fille née au sein du programme Lebensborn, rejetée par son propre pays une fois le Reich démantelé. Il y a les autres, tous ces enfants perdus, rejetés, apatrides, orphelins, devenus souvenirs vivants d'une guerre que le monde ne veut plus avoir à contempler.
Ben, Tuva et les autres n'ont plus qu'eux-mêmes pour vivre.
Parce qu'aussi absurde que ça soit pour eux qui ont vu la mort, il leur faut continuer.
Sarah Cohen-Scali a cette faculté rare de décortiquer la psyché de ses personnages avec une précision et une justesse implacables, sans jamais verser dans des préconceptions stéréotypées, ni choquer pour choquer. La brutalité, la violence et la déshumanisation sont là, parce que réelles et indéniables, mais sans jamais être romanticisées, surlignées ou rendues grotesques par une trop forte dramatisation. L'histoire se suffit à elle-même. La mémoire se suffit à elle-même.
Ce sont bien sûr des fictions que Cohen-Scali tisse, des récits intenses aux multiples péripéties, mais non seulement ces intrigues ne font pas dans la surenchère, au-delà de ça, elles sont soutenues par une documentation solide et portent une vision d'ensemble de la période, racontent la grande histoire à travers les petites. L'amour s'entremêle à l'horreur, la dictature aux petites routines quotidiennes, avec une obsession récurrente dans l'oeuvre de l'autrice pour les thèmes de la transmission, de l'héritage, de la loyauté, de la reconstruction. Ses romans sont profondément admirables en ce qu'ils ne prennent jamais le lecteur de haut ni ne cherchent à le blesser juste parce qu'il est facile de le faire en s'emparant de sujets aussi sombres : au contraire, ils éduquent comme ils apaisent, ils assument et subliment aussi cette beauté et ce pouvoir de séduction que la fiction a en plus par rapport aux essais historiques. Comme dans Max (2012, Gallimard), où l'écrivaine plongeait ses lecteurs dans l'enfer des orphelinats Lebensborn, puis Orphelins 88 (2018, Robert Laffont), où elle étudiait la fin de la Seconde Guerre mondiale, la dévastation, l'impossible recommencement, elle renouvelle sa narration sincère, sensible, brute. Dans ces trois romans, Cohen-Scali se concentre sur la figure de l'enfant, première victime du conflit dont on méprise trop souvent la sensibilité et la perspicacité, et dont l'absolue dépendance envers le reste du monde rend le sort encore plus révélateur des atrocités de la guerre. Un choix qui rend certes la lecture éprouvante, mais ô combien touchante.
Août 61 est une merveille de mélancolie, de sensibilité et d'émotion, un récit qui frappe en plein cœur, secoue sérieusement et laisse surtout un souvenir d'une force assez inouïe. Plus qu'une belle découverte, c'est une histoire qui hante, fait grandir, fait frémir. Sarah Cohen-Scali donne à sa "trilogie" un troisième volet d'une maturité rare, qui confirme, élève et transcende la prouesse littéraire qu'elle avait déjà accomplie avec Max puis Orphelins 88. A mettre entre absolument toutes les mains, jeunes ou plus expérimentées. Un ouvrage précieux, difficile certes, mais inoubliable.
Ben a la mémoire fuyante, changeante, agaçante. Le monde s'agite autour de lui sans qu'il ne comprenne plus vraiment pourquoi, les ombres se succèdent, les noms lui échappent. Ses propres souvenirs se sont fait la malle. Il n'a plus la moindre idée ce qu'il a bien pu faire de sa vie, de ce qu'il était avant de devenir le vieillard dans le corps duquel il se trouve désormais. Seule certitude, seule présence avec lui : une petite voix dans sa tête, celle de l'enfant qu'il a été, en 1945, alors que la Seconde Guerre mondiale laissait lentement retomber son souffle brûlant, et que la reconstruction s'amorçait pour lui.
Le petit garçon dans sa tête n'en revient pas. Le monde a bien changé, depuis sa sortie des camps de la mort, son arrivée en Angleterre, son réapprentissage de la vie. Il fait part de sa stupéfaction à Ben, de son inquiétude pour le vieil homme, aussi. Puisqu'ils n'ont personne d'autre à qui se raccrocher, ils vont s'entraider, se répondre, et puis, avec un peu de chance, rassembler les pièces de l'immense puzzle de leur existence, entre les cendres de l'Allemagne prise par les Alliés, le Londres des années 50 et les barbelés du mur de Berlin.
Août 61 s'offre ainsi comme une odyssée mémorielle, mi-nostalgique mi-bienheureuse, au cœur de parcours chahutés, traumatiques, bouleversants. Il y a celui de Ben, en réalité né sous le nom de Beniek, déporté, rescapé, déplacé. Il y a celui de Tuva, petite fille née au sein du programme Lebensborn, rejetée par son propre pays une fois le Reich démantelé. Il y a les autres, tous ces enfants perdus, rejetés, apatrides, orphelins, devenus souvenirs vivants d'une guerre que le monde ne veut plus avoir à contempler.
Ben, Tuva et les autres n'ont plus qu'eux-mêmes pour vivre.
Parce qu'aussi absurde que ça soit pour eux qui ont vu la mort, il leur faut continuer.
Sarah Cohen-Scali a cette faculté rare de décortiquer la psyché de ses personnages avec une précision et une justesse implacables, sans jamais verser dans des préconceptions stéréotypées, ni choquer pour choquer. La brutalité, la violence et la déshumanisation sont là, parce que réelles et indéniables, mais sans jamais être romanticisées, surlignées ou rendues grotesques par une trop forte dramatisation. L'histoire se suffit à elle-même. La mémoire se suffit à elle-même.
Ce sont bien sûr des fictions que Cohen-Scali tisse, des récits intenses aux multiples péripéties, mais non seulement ces intrigues ne font pas dans la surenchère, au-delà de ça, elles sont soutenues par une documentation solide et portent une vision d'ensemble de la période, racontent la grande histoire à travers les petites. L'amour s'entremêle à l'horreur, la dictature aux petites routines quotidiennes, avec une obsession récurrente dans l'oeuvre de l'autrice pour les thèmes de la transmission, de l'héritage, de la loyauté, de la reconstruction. Ses romans sont profondément admirables en ce qu'ils ne prennent jamais le lecteur de haut ni ne cherchent à le blesser juste parce qu'il est facile de le faire en s'emparant de sujets aussi sombres : au contraire, ils éduquent comme ils apaisent, ils assument et subliment aussi cette beauté et ce pouvoir de séduction que la fiction a en plus par rapport aux essais historiques. Comme dans Max (2012, Gallimard), où l'écrivaine plongeait ses lecteurs dans l'enfer des orphelinats Lebensborn, puis Orphelins 88 (2018, Robert Laffont), où elle étudiait la fin de la Seconde Guerre mondiale, la dévastation, l'impossible recommencement, elle renouvelle sa narration sincère, sensible, brute. Dans ces trois romans, Cohen-Scali se concentre sur la figure de l'enfant, première victime du conflit dont on méprise trop souvent la sensibilité et la perspicacité, et dont l'absolue dépendance envers le reste du monde rend le sort encore plus révélateur des atrocités de la guerre. Un choix qui rend certes la lecture éprouvante, mais ô combien touchante.
Août 61 est une merveille de mélancolie, de sensibilité et d'émotion, un récit qui frappe en plein cœur, secoue sérieusement et laisse surtout un souvenir d'une force assez inouïe. Plus qu'une belle découverte, c'est une histoire qui hante, fait grandir, fait frémir. Sarah Cohen-Scali donne à sa "trilogie" un troisième volet d'une maturité rare, qui confirme, élève et transcende la prouesse littéraire qu'elle avait déjà accomplie avec Max puis Orphelins 88. A mettre entre absolument toutes les mains, jeunes ou plus expérimentées. Un ouvrage précieux, difficile certes, mais inoubliable.
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