Orphelins 88 de Sarah Cohen-Scali - Chronique n°441

Titre : Orphelins 88
Autrice : Sarah Cohen-Scali
Genre : Historique 
Editions : Robert Laffont (collection R)
Lu en : français
Nombre de pages : 428
Résumé : 
Munich, juillet 1945.

Un garçon erre parmi les décombres…
Qui est-il ? Quel âge a-t-il ? D'où vient-il ? Il n’en sait rien. Il a oublié jusqu’à son nom. Les Alliés le baptisent « Josh » et l’envoient dans un orphelinat où Ida, directrice dévouée, et Wally, jeune soldat noir américain en butte au racisme de ses supérieurs, vont l’aider à lever le voile de son amnésie.
Dans une Europe libérée mais toujours à feu et à sang, Josh et les nombreux autres orphelins de la guerre devront panser leurs blessures tout en empruntant le douloureux chemin des migrants.
Si ces adolescents sont des survivants, ils sont avant tout vivants, animés d’un espoir farouche et d’une intense rage de vivre.


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1945. 
C'est fini.

Circulez, plus rien à voir.
C'est le moment où le chapitre des livres d'histoire se termine, où on écrit la conclusion de la dissertation, avec une ouverture plus ou moins réussie qui jette en deux ou trois mots la perspective de la reconstruction à venir et du rétablissement de la paix.
En gros. 

Globalement, on arrive assez bien à vivre avec l'idée que la Seconde Guerre mondiale, c'était plié le 8 mai.
Sauf que pas tout à fait. 

Par exemple, il y a tous ces enfants, dans les décombres, qui ne se souviennent souvent pas de leur nom, ni de celui de leurs parents, ni de là où ils vivaient il y a quelques années. Parmi eux, Josh - en tout cas, c'est ainsi qu'il a été rebaptisé par les GI qui l'ont trouvé - qui se voit placé dans un orphelinat pour retrouver un corps à peu près en bon état de marche, à défaut de retrouver son identité. 

Josh ne se souvient de rien. Josh est en fait un nourrisson âgé d'une dizaine d'années, complètement hermétique à son environnement dans les premières pages du roman. Son traumatisme est évident, sa perte de repères difficilement mesurable pour le lecteur qui vit à des années lumières d'une telle situation. 
Et pourtant, le lien se crée.

Timidement, au départ, alors que le petit garçon commence petit à petit à trouver ses marques à l'orphelinat où on l'installe, à rassembler le peu de souvenirs qu'il lui reste, et surtout à comprendre ce que les nazis ont fait de lui pendant la guerre. A savoir l'arracher à sa famille pour le placer au sein du programme Lebensborn, dans une école de la Gestapo.

Très vite, le petit garçon se déploie, affirme sa volonté de mettre un visage sur les membres de sa famille fantôme, de retrouver son pays s'il en a un, sa langue même s'il ne se souvient plus que de l'allemand pour l'instant. Et le lecteur s'attache à ce drôle de personnage, qui n'a plus rien d'un enfant après ce qu'il a vécu, mais qui est encore tout sauf un adulte. 

Le roman prend ainsi son temps pour progresser, et n'offre à vrai dire pas d'aventure épique ou de rythme à couper le souffle. C'est encore une fois un roman de l'après, de hébétude, du lent rassemblement des pièces du puzzle, et d'une question insoluble : comment vivre maintenant ? Comment vivre après ça ?
Comment vivre lorsque tous ces enfants ont été arrachés à leurs parents, lorsque toutes ces femmes et jeunes filles ont été violées, lorsque toutes ces maisons ont été balayées ? Comment vivre lorsque les petits enfants juifs comprennent lentement que leurs parents ne figureront jamais sur les listes des rescapés, lorsqu'il est encore possible de se faire agresser pour un bout de pain parce qu'on crève littéralement de faim dans les rues ? 

Le roman est poignant à plus d'un égard, au point d'en devenir éprouvant à certains points, sans jamais non plus devenir intenable. Le récit est dramatiquement très chargé, avec des personnages déchirants, notamment Halina, Beate et évidemment Josh qu'on a envie de prendre dans ses bras de bout en bout. On peut regretter que l'intrigue tourne parfois en rond et ne gagne véritablement en puissance que dans les derniers chapitres, mais c'est un véritable choix de narration qui s'avère payant : en laissant le temps au temps, en prenant des pages et des pages pour faire un état des lieux, on permet aux enjeux de se former et aux issues de frapper fort et juste.

Sarah Cohen-Scali accomplit une nouvelle fois le formidable travail de pédagogie et d'émotion dont elle s'était déjà montrée capable avec l'incroyable Max. Et même si Orphelins 88 n'atteint pas tout à fait le niveau de violence, d'émotion et d'aboutissement qui était celui de son prédécesseur, il reste un texte puissant à plus d'un égard qu'on ne saurait trop recommander aux lecteurs de tous âges, pour apporter un éclairage plus qu'instructif sur cette période oubliée de l'histoire.

Une très belle lecture donc, très juste et sensible dans le traitement des sujets qu'elle s'est choisis - identité, deuil, violence, traumatisme, viol, pauvreté : c'est éprouvant, certes, mais sans jamais verser dans le pathos ou le morbide. Sarah Cohen-Scali parvient parfaitement à se fondre dans la voix de son petit Josh, pour un texte sombre, mais - et oui, je sais, c'est cliché - indéniablement porteur d'espoir. 

Commentaires

  1. Je n'ai lu que deux romans (Max et Mauvais sangs, qui est un recueil en fait) de cette autrice et les deux m'ont beaucoup plu. Alors, tous ses autres, dont celui-ci, me font de l’œil. Surtout qu'il est intéressant de mieux découvrir l'après toute cette horreur, la difficile reconstruction.

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  2. Max était une lecture très puissante et instructive, ça me donne envie de lire ce nouveau roman qui a l'air tout aussi intéressant :)

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