Le Malheur du Bas d'Inès Bayard - Chronique n°437

Titre : Le Malheur du Bas
Autrice : Inès Bayard
Genre : Littérature générale | Contemporain
Editions : Albin Michel
Lu en : français
Nombre de pages : 268

Résumé : « Au cœur de la nuit, face au mur qu’elle regardait autrefois, bousculée par le plaisir, le malheur du bas lui apparaît telle la revanche du destin sur les vies jugées trop simples. »

Dans ce premier roman suffoquant, Inès Bayard dissèque la vie conjugale d’une jeune femme à travers le prisme du viol. Un récit remarquablement dérangeant.
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Quand je suis en colère, je le suis vraiment. 
Et ce livre m'a mise en colère. 

J'avais toutes les meilleures intentions du monde, vous savez. J'étais profondément intéressée à l'idée de voir ce que pouvait donner un roman centré sur une question aussi essentielle, problématique et profondément enracinée dans notre société que celles des violences sexuelles et sexistes subies par les femmes. Je suis particulièrement sensible aux intrigues "intimistes", centrées autour du destin d'un seul personnage dans le but de refléter un sujet universel. 

Hahaha. J'étais naïve. 

Le roman s'ouvre sur une scène de crime, ce n'est pas un spoiler, c'est même dit dès la première phrase. Un enfant, sa mère, son père, tous trois décimés par du poison, tous trois gisants, pris de court par leur trépas. 

Ça commence déjà bien. 

On retourne ensuite en arrière, pour découvrir Marie, 31 ans, mariée, plutôt heureuse, qui va hélas se faire un soir violer par son patron dans la voiture de ce dernier, et va en concevoir un traumatisme profond qui va la mener à haïr profondément l'enfant dont elle va tomber enceinte. 

On ne peut pas, on ne doit pas représenter les dizaines de milliers de femmes victimes de viol ou d'agression sexuelle comme toutes sujettes à des pathologies mentales, voire comme des infanticides. Evidemment, certaines victimes sombreront dans des maladies mentales à la suite de leur agression, telles que la dépression, le stress post-traumatique ou encore l'anxiété, et il n'y a rien de honteux à ça, mais ce n'est pas le cas pour toutes, et ça ne vire surtout pas à l'envie consciente, exprimée et permanente de défenestrer son enfant. 

Il y a 300 000 viols par an en France. 300 000. Si chacune des 300 000 victimes, femmes ou hommes, devenait un ou une sociopathe en puissance, nos statistiques démographiques ne seraient pas ce qu'elles sont. 

Je ne nie pas qu'il a pu exister quelques cas anecdotiques comme celui de Marie, mais c'est tout, tout sauf la tendance générale. Et je crois sincèrement qu'un roman comme celui-ci n'a au mieux aucune utilité, au pire un message nocif. 

Alors, vendons-le pour ce qu'il est, un roman noir qui n'a d'autre volonté que de verser dans le sensationnalisme, mais pitié, surtout pas comme un texte féministe, socialement engagé et réparateur. C'est tout le contraire. 

Pour ce qui est du roman lui-même, au-delà du fond de son intrigue, il n'y a pas grand-chose à commenter. L'écriture est désespérément plate, et on a comme l'impression qu'elle cherche à compenser son absence de relief par un vocabulaire outrageusement grossier, trash, par une profusion assez stupéfiante de descriptions de fluides corporels de toutes sortes. Mais on n'a pas besoin d'être explicite pour choquer, je dirais même que le choc qu'un lecteur ressent sera beaucoup plus marquant et profond s'il se produit par des mécanismes subtils, implicites, qui reposent sur une certaine connivence entre lecteur et auteur.  

Si désormais, pour être "remarquablement dérangeant", il suffit de mentionner toutes les trois pages que l'héroïne se roule dans son vomi et s'étale dans sa crasse, autant décerner la palme de la Subtilité à The Human Centipede

Je suis navrée d'écrire une critique aussi virulente, et je ne doute aucun instant des intentions louables de l'autrice, qui a sans aucun doute cherché à choquer pour rendre compte d'à quel point ces situations sont intolérables, sont une violence faite aux victimes, et doivent être combattues. Mais je pense qu'il est nécessaire de signaler que ce n'est pas en livrant un texte pareil que l'on parviendra à plus d'apaisement. Alors, je le dis une dernière fois. 

Ce qu'il me reste de cette lecture ? Une énorme incompréhension. Et surtout, beaucoup de colère.

J'ai du mal à accepter qu'on puisse livrer une vision aussi inutilement trash, aussi peu représentative de la réalité et aussi gratuite des violences sexuelles et sexistes subies par les femmes. Je veux, j'exige qu'on écrive de la fiction et de la non-fiction sur le viol, le harcèlement, le sexisme, mais pitié, ne faites pas des femmes victimes des meurtrières et des psychopathes. Notre société n'a pas besoin de ce genre de romans pour se réconcilier et se construire autrement. C'est même tout le contraire. 

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