Leurs Enfants après eux de Nicolas Mathieu - Chronique n°436

Titre : Leurs Enfants après eux
Auteur : Nicolas Mathieu
Genre : Littérature générale
Editions : Actes Sud
Lu en : français
Nombre de pages : 426
Résumé : Août 1992. Une vallée perdue quelque part à l’Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a 14 ans, et avec son cousin, ils s’emmerdent comme c’est pas permis. C’est là qu’ils décident de voler un canoë pour aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence. Avec ce livre, Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt, cette France de l’entre-deux, celle des villes moyennes et des zones pavillonnaires, où presque tout le monde vit et qu’on voudrait oublier.

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On pourrait résumer l'essence de ce livre d'une façon terriblement simple, mais terriblement juste : c'est un roman sur l'adolescence. 

Celle d'Anthony, de Steph, de Clem, de Hacine, des autres, de ces jeunes que l'on suit l'espace de quatre étés, quelque part dans le nord-est de la France, dans un coin pas vraiment excitant, pas très loin du Luxembourg. 
Anthony a 14 ans et la frustration immense de celui qui n'a encore rien vécu et ne sait pas pourquoi. 
Anthony a 16 ans, puis 18, puis 20, il a grandi, il a un peu changé, pas trop, mais quand même, de plus en plus, il est toujours amoureux de l'idée de vivre, de l'idée qu'il se fait de cette fille qui l'obsède depuis des années, de l'idée de faire quelque chose de grand de sa vie mais aussi de l'idée de rester tranquille encore un peu. Anthony s'ennuie, s'aveugle, s'obstine. Anthony grandit. 

Il n'est pas seul, il y a ses parents, ses amis, tous ces gens qui aiment, se disputent, échouent et vieillissent, mais aussi la France, sa réalité sociale, son actualité, qui leur pèsent, les inspirent, ou les deux à la fois. 

Nicolas Mathieu construit ainsi le genre de roman que l'on a envie de qualifier de façon un peu prétentieuse de balzacien, un roman que l'on devine un peu autobiographique, un peu sociologique, très social, très inspiré et très littéraire. La qualité purement stylistique du livre est indéniable, la construction irréprochable, et certaines phrases, sans jamais devenir pompeuses, arrivent à invoquer quelque chose de quasi-sublime par leur justesse. 

"C'était une nuit spéciale. Il suffisait de regarder le ciel. Les étoiles vous piquaient le cœur." 

L'auteur fait preuve d'un talent redoutable pour planter le décor, plonger dans une situation, brosser le tableau d'un instant, mais aussi et surtout le portrait d'un personnage en quelques coups de phrases bien pensées. Décrire les pensées d'un adolescent est sans aucun doute l'un des exercices littéraires les plus périlleux tant on a vite fait de sombrer dans les clichés, mais jugez plutôt de l'efficacité de ce portrait : 

"Anthony venait d'avoir quatorze ans. Au goûter, il s'enfilait toute une baguette avec des Vache qui Rit. La nuit, il lui arrivait parfois d'écrire des chansons, ses écouteurs sur les oreilles. Ses parents étaient des cons. A la rentrée, ce serait la troisième."

Cinq phrases, et vous avez le personnage. Vous voyez Anthony, vous n'avez pas lu des pages et des pages sur lui, mais ce que vous avez découvert vous suffit à imaginer le reste, des cheveux en bataille, des heures à penser aux filles qui l'ignorent, les grasses matinées, un air un peu gauche. On nous a montré, sans nous développer des tartines sur de quelconques souvenirs d'enfance ou rituels matinaux soporifiques. 
Et c'est comme ça pendant tout le roman. Direct. Puissant. Évocateur. 

Qu'il s'agisse de rendre compte de l'évolution d'une jeune fille qui découvre l'acharnement et la détermination au travail, la liesse de la France en finale en 98, le calme plat d'un petit village de Lorraine où rien ne se passe, l'auteur est toujours au rendez-vous. Mais le roman n'est pas qu'une succession de petits tableaux, aussi réussis soient-ils, c'est un ensemble, un panorama, une véritable vision - évidemment inspirée par la propre vie de l'auteur -, un vécu donc. Cela ne devrait avoir aucune résonance chez des lecteurs qui n'ont jamais posé les pieds en Lorraine ou qui sont nés après la fameuse Coupe du monde - eh oui, je suis une 2000, c'est dur à accepter mais je le vis bien -, et pourtant, le charme opère. Parce qu'on aura beau dire, on a tous été - ou on sera tous - à un moment ou à un autre un adolescent un peu paumé et très frustré. L'auteur le sait, part de cette expérience qui nous est commune, et va encore un peu plus loin, en lui trouvant une beauté, une certaine profondeur, un quasi-sens, par la littérature, par l'excès des sentiments des personnages, leurs contradictions stupides et splendides. C'est riche. C'est touchant. Ça marche. Lisez ce livre. 


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