Titre : Rose
Réalisatrice : Aurélie Saada
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 08/12/2021
Durée : 1h42
Synopsis : Rose, 78 ans, vient de perdre son mari qu’elle adorait. Lorsque sa peine laisse place à une puissante pulsion de vie lui faisant réaliser qu’elle peut encore se redéfinir en tant que femme, c’est tout l’équilibre de la famille qui est bouleversé...
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Rose a près de 80 ans, trois enfants, un mari qu'elle aime, et toute sa tête, merci bien. La vie lui est douce. Pas grand-chose à gérer, son mari adoré prend tout en charge. Les enfants ont leurs soucis, c'est sûr, et puis vieillir n'est pas très amusant, mais Rose s'en accommode. Quand on connaît un tel amour, rien ne pèse vraiment longtemps. Seulement un jour, sans que Rose n'ait jamais vraiment considéré cette possibilité, son mari disparaît, et elle se retrouve veuve, livrée à elle-même dans le grand appartement où elle traîne sa sidération, sous les yeux compatissants, puis atterrés, puis exaspérés de son benjamin, qui vit toujours là avec elle. La famille s'agace, voudrait la secouer, mais rien n'y fait, Rose semble s'affaisser petit à petit dans une douleur amorphe, mutique. Mais lorsqu'elle retrouve enfin un souffle, lorsque par miracle, par accident un peu, elle renoue avec une envie de vivre telle qu'elle n'en a jamais connue, son entourage tout entier se rebiffe, se vexe, s'inquiète. On la voulait calme, Rose, pas libre comme ça. On la voulait propre et souriante, mais pas aussi hilare, pas aussi tempétueuse, pas aussi fantasque. On voulait la ranger dans sa case de petite mamie gâteau qui ne déborde pas de son moule, pas la voir virevolter de part en part, sortir le soir, chantonner, balancer leurs quatre vérités à ses enfants autoritaires. On voulait beaucoup de choses pour Rose, mais c'est elle qui désire, désormais.
On n'a pas beaucoup entendu parler de Rose, pas plus qu'on ne l'a vu passer en salles, avec sa distribution toute fugace et toute confidentielle. Le film a pourtant plus d'une qualité à faire valoir, plus d'une fulgurance à partager avec ses spectateurs, et parvient à construire autour de prémisses franchement compliquées à défendre (une protagoniste quasi octogénaire, veuve, sans réelle intrigue, un premier film) une œuvre d'une délicatesse folle. Techniquement, cinématographiquement parlant, le film fonctionne bien, sans non plus réinventer l'eau tiède, mais c'est dans l'émotion qu'il tire son épingle du jeu. La réalisatrice signe une brillante direction d'acteurs, parvient à saisir le spectateur à la gorge par la douleur, la tristesse, la brutalité émotionnelle de certaines scènes, sans jamais en faire des caisses, et signe de vrais moments de grâce (cette scène finale, quelle douceur !). Le film, rythmé, dynamique, s'appuie sur la verve de ses personnages pour être théâtral plus que verbeux, et s'il est bavard, c'est dans le meilleur sens du terme. On pourrait redouter une trame très classique, façon "et soudain son monde s'effondre", avec force gros plans et violons et silences et plans de coupe sur des fleurs tristes ou que sais-je, mais Aurélie Saada se refuse à ça. Le personnage de Rose traverse certes un passage à vide, la narration explore sa perte, son choc, dévoile le deuil dans ses aspects classiques comme dans les plus triviaux (donc les plus touchants) mais le film reste constamment porté par une puissante énergie, celle de l'entourage qui s'inquiète, s'agite, compose avec ses propres névroses ; celle des rencontres qui continuent malgré tout, celle des découvertes et des premières fois que le quatrième âge n'empêche aucunement de connaître ; celle des revirements de situation, des prises de décision. Rose aime, fume, chante, danse, foire, boit, sort, Rose se heurte à une vieillesse qu'elle n'avait pas conscience d'avoir atteinte et qu'elle décide d'investir comme un laboratoire (puisque tout sera bientôt fini, pourquoi ne pas explorer), aux limites d'un monde qui ne lui a jamais paru aussi âpre, mais dont elle découvre avec vertige qu'elle ne l'a jamais vraiment habité non plus. Se rendre dépositaire de ses propres choix, donner corps à ses propres envies, c'est certes s'exposer à des blessures dont elle avait été protégée jusqu'ici, mais c'est aussi et surtout goûter à une joie féroce, inédite, à côté de laquelle elle aurait encore pu passer des années si la mort de son mari ne l'avait pas contrainte à ne plus exister que par et pour elle-même. Rose, plus que l'histoire d'un veuvage ou la simple chronique de la vie d'une octogénaire haute en couleurs, est le récit d'une conquête d'indépendance, un véritable roman d'apprentissage, une proposition d'une fraîcheur et d'un mordant formidable. On dit souvent qu'on peut se réinventer à tous les âges, que la vieillesse n'est pas une condamnation à l'ennui, mais Rose ne se contente pas de ces poncifs, et donne un corps à cette idée, modèle un vrai personnage vivant, avec des désirs, des défauts, des passions, des incohérences, des crises et des rires, des vrais, qui tremblent et qui débordent.
Parce que oui, Rose est avant tout, et ce n'est en réalité pas si surprenant qu'on pourrait le penser, un film vraiment très, très marrant. On rit, beaucoup, de toutes les couleurs (jaune, noir, bien sûr, mais on s'accorde aussi de beaux rires tendres, voire carrément un peu niais), en toutes circonstances (lors d'un dîner, d'une scène de drague, d'une dispute), à la faveur de dialogues acérés, de décalages mordants. On danse, on fredonne aussi, avec le beau travail autour de la musique, originale ou non, diégétique ou non, qui berce et transporte l’ensemble des scènes, heureuses comme mélancoliques. Le film trouve sa grâce à mi-chemin entre l'autodérision des personnages et leurs peurs sincères, dévorantes, et dépeint quelque chose qu'on voit partout dans la vraie vie et trop rarement au cinéma : des gens qui ne savent pas ce qu'ils veulent, et qui tentent alors d'un peu tout vouloir d'un coup.
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