De l'autre côté de l'été d'Audrey Diwan - Chronique n°563
Autrice : Audrey Diwan
Editions : Flammarion
Genre : Contemporain | Drame
Date de parution : 09/01/2009
Lu en : français
Nombre de pages : 250
Résumé : Une femme, quasi sexagénaire, isolée, qui souffre de n’être plus la jeune fille désirable qu’elle a été, propose à un jeune homme de s’installer chez elle pour un an moyennant rémunération, quitte à détruire tous les fondements sur lesquels était bâti son quotidien.
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Voilà deux mois que j'ai terminé ce livre et que son histoire, poisseuse, lourde, redoutable, me hante. Voilà deux mois qu'Eugénie ne cesse de se détruire encore et encore dans ma tête, et que les mots d'Audrey Diwan poursuivent leur ronde infernale - et étrangement, si belle.
Eugénie
a 58 ans, un mari, Georges, qui l’a quittée pour une autre, une fille, Hermine,
qui la méprise un peu, sans doute parce qu’elle a très peur de finir comme elle.
Elle fréquente des amies qui l’utilisent tantôt comme faire-valoir, tantôt
comme simple réceptacle à confidences, un corps qu’elle est triste de voir
vieillir et souvent l’impression de faire tapisserie. Elle n’est pas si fade
que cela pourtant, il lui reste une envie réelle de jouir de la vie, de prouver
qu’elle n’en a pas fini avec l’aventure et les sensations, les vraies. Un jour,
lors d’un déjeuner au restaurant avec ses amies Marissa et Laure, son regard
accroche un jeune serveur qu’elle décide d’appeler Arnaud. Peu après, à la
suite d’un énième rappel à son âge, à sa condition de femme vieillissante,
Eugénie retourne au restaurant et, sur un coup de tête, propose à Arnaud de
passer un an avec elle, moyennant rémunération. Elle ne le lui révèle bien sûr
pas, mais le montant qu’elle lui propose représente la totalité de sa fortune
personnelle.
Tout
d’abord incrédule au point de ne même pas lui répondre, Arnaud comprend
qu’Eugénie est sérieuse. Il finit par accepter l’improbable marché, au prix d’une
compensation mensuelle et d’une somme finale faramineuse une fois les douze
mois de cohabitation écoulés. L'accord se résume en quelques mots : Arnaud passera ses nuits avec Eugénie,
simplement à lui tenir compagnie, sans la moindre ambiguïté sexuelle, et sera
libre la journée.
L’ambiance est tout d’abord étrange, fébrile, empreinte de malaise, et Eugénie plonge dans la panique à l’idée de s’être couverte de ridicule. Petit à petit cependant, cliente et prestataire s’amadouent, se trouvent des points communs. Eugénie le désire, mais elle a si honte d’elle qu’elle s’interdit ne serait-ce que de se formuler cette attirance, et prend l’habitude de dormir dans le salon. Petit à petit, alors que le désir enfle, que le mensonge s'épaissit et que les mystères d'Arnaud s'assombrissent, l'arrangement glisse sournoisement du pacte à l'emprise, sans qu'il ne soit vraiment évident de déterminer qui d'Eugénie ou d'Arnaud manipule le plus l'autre...
Sombre,
vénéneux, magnétique, De l’autre côté de
l’été entraîne son lecteur dans une ronde hypnotique de destruction et de
désirs coupables, dont le rythme lancinant ne lui laisse aucun répit, et crée
un tunnel émotionnel qui le mène tout droit à un dénouement d’une intensité
remarquable. Le personnage d’Eugénie, fascinant dans sa construction, est une
narratrice formidable, qui raconte tout sans avoir à tout dire, et dont les
compromissions et les mensonges sont d’autant plus saisissants qu’elle ne les
formule jamais vraiment de façon explicite. La quinquagénaire se présente comme
une femme simple dénuée du moindre intérêt, de la moindre qualité remarquable,
mais ce n’est que pour mieux révéler une complexité, une tortuosité, une
sensibilité exacerbée qui font d’elle un pur personnage de littérature, à
mi-chemin entre Emma Bovary, Mrs Robinson et la marquise de Merteuil. Arnaud, lui,
est un Solal des Solals/Julien Sorel fascinant lui aussi, qui se veut
machiavélique, manipulateur même, maître de sa propre vie et capable de dominer
Eugénie comme il l’entend, mais se révèle bien moins assuré qu’il ne le
prétend.
Chacun
des personnages du récit agit comme révélateur des failles des autres, dans un
jeu de miroirs inversés fascinant et brillamment exécuté : les amies
d’Eugénie révèlent son insécurité, tandis qu’elle-même les met face à leur
vacuité ; Georges réveille la cruauté d’Eugénie, tandis qu’elle expose sa
veulerie, son côté pathétique ; Arnaud prend plaisir à humilier Eugénie et
à moquer sa faiblesse, ses addictions, ses peurs, mais c’est auprès d’elle
qu’il vient trouver son réconfort et, à la fin des fins, un amour vrai.
La
structure du récit, linéaire certes, n’en est pas moins complexe et
parfaitement orchestrée, avec une vraie générosité de la part de l’autrice qui
livre, scène après scène, de grands moments de tension, d’ambiguïté, de
destruction, de subtilité émotionnelle, et ne s’égare jamais dans la moindre
digression psychologisante. Page après page, elle se maintient dans le
clinique, la chair, la vérité de ses personnages, les creuse couche par couche
et en extrait quelque chose de très simple et de foudroyant : ce sont là
des êtres aussi sublimes que méprisables. Aussi galvaudé que cela puisse
sonner, elle touche à un universel, à une angoisse de mort, à un appétit de
destruction partagé par tous, et qui revêt chez chacun une forme différente. On
assiste, écœuré, époustouflé, au lent saccage d’Eugénie de sa propre existence,
avec le sentiment de voir opérer une métamorphose nécessaire, un chant du cygne
aussi admirable que stérile. Dans la destruction, Eugénie se révèle, accède
enfin aux richesses qu’elle avait étouffées toute une vie durant : son
obstination, sa force d’âme, sa détermination, que ce soit dans la médiocrité
ou dans le balayage de toutes les conventions.
On
retient de ce roman une plume incroyablement maîtrisée, qui parvient à déployer
des atmosphères vivaces sans jamais se disperser dans des fioritures, et à
allier une structure chirurgicale une mélodie envoûtante. On se souviendra
également de son côté faustien, avec ce pacte initiatique conclu entre Eugénie
et Arnaud, la mécanique tragique qui s’enclenche aussitôt, et le ballet furieux
dans lequel se succèdent les étapes ultérieures de leur relation. A mi-chemin
entre le théâtre, l’épopée et le drame psychologique, De l’autre côté de la nuit est un fascinant moment de littérature, qui
invente un monde tout en parvenant à chaque instant à le rendre intelligible et
sensible pour le lecteur.
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