Einstein, le sexe et moi d'Olivier Liron - Chronique n°552
Titre : Einstein, le sexe et moi
Auteur : Olivier Liron
Editions : Alma Editions
Genre : Contemporain
Date de parution : 2018
Nombre de pages : 189
Lu en : français
Résumé : « Je suis autiste Asperger. Ce n’est pas une maladie, je vous rassure. C’est une différence. Je vais vous raconter une histoire. Cette histoire est la mienne. J’ai joué au jeu télévisé Questions pour un champion et cela a été très important pour moi. »
Nous voici donc en 2012 sur le plateau de France 3 avec notre candidat préféré. Olivier Liron lui-même est fort occupé à gagner ; tout autant à nous expliquer ce qui lui est arrivé. En réunissant ici les ingrédients de la confession et ceux du thriller, il manifeste une nouvelle fois avec l’humour qui est sa marque de fabrique, sa très subtile connaissance des émotions humaines.
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Il y a peu de choses aussi passionnantes que les intérêts très spécifiques des gens autour de nous, de leurs lubies, obsessions et autres passe-temps personnalisés, toutes ces occupations abstraites, étranges, voire inutiles pour certains, qui constituent la vocation d'autres personnes, et revêtent à leurs yeux un sens d'autant plus précieux qu'il leur est propre. Elles sont si belles, ces histoires, si fortes, si vivantes, elles nous rappellent à un sentiment de satisfaction tout particulier, et Einstein, le sexe et moi en brosse une illustration mémorable.
Ce roman est en effet peut-être l'un des témoignages les plus drôles et touchants de cette joie rare que l'on tire de l'accomplissement de nos objectifs les plus intimes, les plus bizarres et les plus précieux, cette béatitude qui se passe d'orgueil pour exister, ces challenges dont on triomphe avec extase peu importe qu'on ait droit à un public ou non. C'est l'histoire d'Olivier, jeune doctorant en lettres féru de botanique et de poésie, qui s'apprête à affronter le Super Champion en titre de l'émission Questions pour un champion après des mois, des mois et des mois de féroce entraînement lors de méticuleuses sessions de préparation. Il a carrément passé tout son été à réviser, avaler l'intégralité du Wikipédia français et seriner en boucle les noms latins des moindres plantes qu'il croisait. C'est une question de fierté, peut-être, de passion surtout, d'ambition certainement, une tentative de se trouver, de mieux s'aimer, d'être compris et respecté à la hauteur de ce qu'il incarne.
C'est un peu une revanche, certes, le triomphe discret d'un jeune homme dont l'enfance et l'adolescence ont été marquées par le rejet et la marginalité, mais c'est plus doux que ça, bien plus réjouissant qu'une vengeance bête et basique, c'est une exultation, un profond accomplissement, l'odyssée d'une vie condensée en une heure d'émission enregistrée. On y trouve des anecdotes diverses et variées sur l'état de la science contemporaine, d'étourdissantes digressions pratico-techniques au sujet de la notice biographique de Julien Lepers, la transcription d'une finale de Questions pour un Super Champion datée d'il y a neuf ans déjà, de splendides instants de contemplation, des variations sur la vie sentimentale du narrateur, et autres pépites mémorables concernant Einstein, l'autisme Asperger, les filles dont on tombe amoureux comme un camion nous roulerait dessus et l'œuvre romanesque de Dostoïevski. Ca vole, ça virevolte même, ça rebondit et ça se répond, c'est rythmé par une plume qui n'est jamais aussi belle que lorsqu'elle parle de dépression, jamais aussi attendrissante que lorsqu'elle s'attarde sur des précisions archéologico-historiques, et jamais aussi hilarante que lorsqu'elle s'attache à décrire les moindres petits détails de cette fameuse émission de Questions pour un Super Champion qu'Olivier a vécue comme le point cardinal de sa jeune vingtaine.
C'est beau, en fait, c'est beau parce que ça ne cherche pas à prouver quoi que ce soit, à justifier que oui, vraiment, une émission comme ça, diffusée à dix-huit heures sur France 3, ça peut changer une vie. C'est un texte qui se contente de montrer, avec une sincérité affolante de justesse, une plume vibrante de rythme, de trouvailles et de spontanéité, et un rythme fabuleux qui ne laisse guère le choix que de dévorer le roman d'une traite, que chacun est légitime à choisir sa propre rédemption, qu'il existe des victoires partout, et que n'importe qui peut devenir, par le truchement d'un jeu télé, d'un discours ou d'une escapade, le héros d'une soirée, et de sa propre vie au passage.
On se gorge avec délices de ce texte fourmillant d'arborescences, confessions et autres descriptions survoltées, on embrasse avec fascination la curiosité, la perplexité et l'enthousiasme de ce narrateur fantastique, qu'on ne considère pas un instant comme un weirdo, un geek ou un freak, mais comme un passionné dont les intérêts deviennent, le temps d'un roman (et qui sait, peut-être au-delà encore), un peu les nôtres par contagion, et à qui cette finale offre un magnifique exorcisme de la honte, de la colère et du ressentiment que lui ont légué des années de harcèlement, moqueries et brimades passées. Oui, c'est vraiment réjouissant de le voir transformer ce bagage-là, par la poésie, le jeu, la compétition et l'érudition en un formidable récit de reconquête de soi.
Un fabuleux, étourdissant et enivrant concentré de savoir, de poésie et d'érudition, un récit parcouru de pirouettes plus qu'hilarantes, de divagations spontanées et de très belles parenthèses contemplatives. On est bien, dans la tête d'Olivier Liron.
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