Bilan du mois [Décembre 2020]

 Bonjour à toutes et tous !

Le mois de décembre fut tour à tour chaotique, tempétueux, apaisé, surchargé, miraculeux, anxiogène à souhait ou encore apathique, semé de remises en question, détours intérieurs et autres révélations inopinées. J'ai lu (pas autant que je ne l'aurais souhaité), écrit, réfléchi à ce que je voulais écrire, arrêté d'écrire, pris du temps pour réfléchir, j'ai essayé de sortir (quand c'était autorisé), j'ai eu froid (parfois), j'ai rêvé de l'an dernier (et de la neige à Montréal), j'ai mangé des patates douces pour me réconforter (et vous êtes heureux de le savoir), et puis j'ai relativisé (entre autres grâce à la fiction, c'est bien ce qu'elle nous permet). 

J'ai toujours eu énormément, énormément (je veux bien dire par là : énormément) de mal à m'autoriser à ne pas être productive, à lâcher prise, à laisser le temps passer sans aussitôt culpabiliser de ne pas le mettre au profit d'une quelconque entreprise. Ces dernières semaines, je m'y suis essayée, juste un peu, comme ça, juste voir, respirer sans compter, patienter sans attendre. Si vous m'autorisez une petite pépite de conseil en cette période de transition, la voici : dégagez-vous de vraies périodes sacralisées de néant. C'est fou ce que c'est réparateur.

Voici donc après cet instant de philosophie de comptoir édifiant (que voulez-vous, je n'ai pas résisté à la tentation de bavasser), le bilan de mes huit lectures du mois !

Le coup de cœur du mois...

Ce que je ne veux pas savoir et Le Coût de la vie de Deborah Lévy : on a vu passer ces deux jolis livres colorés un peu partout en librairie (et pour cause, ils ont reçu rien de moins que le prix Fémina étranger, ça va, sympa), et c'est entièrement justifié. Ces deux très courts ouvrages autobiographiques, chacun consacré à un épisode marquant de la vie de leur autrice, offrent des incursions aussi saisissantes qu'exigeantes dans l'intériorité de l'écrivaine, qui évoque sa condition de femme, d'Occidentale, d'épouse, d'artiste et de mère, ses désillusions, ses chamboulements, ses remises en question, sans faux effet de pathos artificiel, de complaisance ou d'autocentrisme. C'est l'autobiographie dans tout ce qu'elle peut avoir d'inspirant et de touchant : un récit qui ne cherche pas à être autre chose que ce qu'il est, qui ne prétend pas donner de leçons sur la vie, mais qui ne va jamais non plus se refermer sur lui et a quelque chose de bouleversant dans son honnêteté, sa puissance, et sa capacité à dire énormément en très très peu de mots, de phrases ou de pages. Très recherché, très riche et très beau dans sa simplicité !

J'ai adoré...

The Blazing World de Siri Hustvedt (Un Monde Flamboyant en VF) : alors là, on est sur un sacré roman, pas si épais que ça mais vraiment dense, sorte d'enquête constituée d'entretiens, d'extraits de journaux et de témoignages, revenant sur l'existence d'une artiste aujourd'hui disparue dont on a découvert après la mort qu'elle avait eu recours à trois hommes de paille pour faire passer ses oeuvres comme les leurs, ce qui avait permis à son travail d'enfin rencontrer le succès, prouvant ainsi aux yeux de l'artiste le sexisme prégnant dans le milieu artistique new-yorkais où elle évolue. Le roman ne s'arrête pas à l'histoire de cette supercherie (au demeurant très intéressante et bien menée), mais va bien évidemment au-delà de son intrigue, brossant une héroïne parfaitement acariâtre, parfaitement ambitieuse et parfaitement touchante, pétrie d'ambition, d'impatience et de théories à prouver, évoque l'art, sa définition et son utilité, la critique, les jugements qu'on formule et ceux qu'on ferait mieux de garder, la transmission, l'héritage et toutes ces traces qu'on a si souvent très très très envie de laisser. Passionnant !
Thérèse et Isabelle de Violette Leduc : j'aime Violette Leduc passionnément, je n'aurai de cesse de le répéter ici jusqu'à ce que son nom circule enfin davantage dans les listes des meilleurs auteurs et autrices du vingtième siècle en France, et je le ferai avec joie, en plus de ça. Thérèse et Isabelle arrive en même pas deux cent pages à créer une relation d'une intensité folle entre ses deux héroïnes, et à donner à voir avec un talent fou et des images d'une beauté sans commune mesure tout ce que peut être, représenter, évoquer et susciter la passion amoureuse, en faisant sans aucun doute l'un des ouvrages les plus originaux, saisissants et mémorables que j'ai pu lire ces derniers mois. 

J'ai beaucoup aimé...

L'Idiot de Fédor Dostoïevski : sacré pavé tout de même (en même temps, on parle de littérature russe), qui aurait vraiment gagné à subir certaines coupes (notamment dans ses digressions la plupart du temps pas très marquantes), mais dont les personnages sont décrits avec une rare vivacité, l'intrigue menée avec une ironie délicieuse et bien maintenue tout au long du récit, le propos lui-même illustré par tout un ensemble de scènes tour à tour comiques, cocasses, épiques et tragiques, dans une histoire vivace et exigeante dont on retient de nombreux passages pour leur couleur, leur rythme, leur humour et leur ambition. Très belle lecture !

Mrs Dalloway de Virginia Woolf : difficile (quasi impossible) d'exprimer comme ça au débotté un avis critique un tant soit peu original sur ce roman à propos duquel pas mal d'analyses sacrément développées ont été délivrées, mais allons-y tout de même : c'est là un texte pour le moins flottant (forcément, il est la démonstration de force ultime de son autrice, Virginia Woolf, qui a passé toute sa vie à développer la technique narrative du stream of consciousness, c'est-à-dire le flux de conscience, soit une façon particulièrement fluide, en apparence décousue mais en réalité très travaillée, de retranscrire le cours des pensées d'un personnage). On s'y laisse porter sans trop savoir où l'on finira par échouer, au gré des déambulations de Clarissa Dalloway, femme d'âge mûr de la bonne société londonienne tout affairée à organiser une réception, dont les pensées, rencontres et autres instants de méditation rythment ce beau roman d'accents tantôt ironiques, tantôt las, tantôt mélancoliques, tantôt émerveillés. On y dissèque l'ennui, tout ce qu'il charrie, et la façon dont on peut parfois s'en contenter, les apparences et ce qu'elles peuvent apporter, le conformisme et ce qu'il en coûte de ne pas y adhérer. La lecture peut parfois avoir un vrai côté frustrant, à force d'effleurer tant et tant de personnages et de problématiques sans pouvoir forcément s'y appesantir, mais il y a aussi une forme de jubilation à se contenter de tout laisser couler, d'observer ces personnages fatigués de vivre qui n'ont jamais rien compris à ce qu'ils faisaient dans la vie mais le font si bien et avec une telle efficacité qu'ils y trouvent presque (presque) une forme d'apaisement. 

J'ai bien aimé...

Heureux les heureux de Yasmina Reza : une lecture qui commençait (très) fort avec trois ou quatre premiers chapitres fulgurants d'efficacité, monologues intérieurs particulièrement mémorables, vissés à des personnages aussi désagréables qu'immédiatement amusants, mais voilà, l'ouvrage dérive ensuite vers des intrigues bien plus convenues et des observations bien moins corrosives (oui oui, le mariage c'est souvent très amer, les gens sont aigris et tout le monde ment, oui, oui voilà), et force est d'admettre qu'on referme le roman avec moins d'enthousiasme que dans ses premiers chapitres. Le texte garde un certain nombre de vraies fulgurances cela dit, et mérite le détour ne serait-ce que pour ses premières pages (cette scène au supermarché, c'est du génie, vraiment).
De Grandes ambitions d'Antoine Rault : un roman que j'ai pris un plaisir certain à lire au cours de ces journées poreuses et flottantes qui s'écoulent entre Noël et le Nouvel An, avec son intrigue-fleuve, son ensemble choral de personnages principaux aux destins entrecroisés et sa plume très descriptive sans accroc, mais auquel je dois reconnaître qu'il manquait un peu d'acidité, d'audace ou de noirceur pour me laisser une impression vraiment marquante. Tout est bien mené, bien décrit et bien orchestré (ce qui vaut d'être relevé étant donné la taille du pavé et le nombre des personnages), mais voilà, tout ça reste très (très) classique dans le déroulé de la narration, sans grande surprise au niveau de la caractérisation et de l'évolution des personnages, et surtout sans réel parti pris narratif ou théorique quant à l'intrigue en elle-même (l'auteur décrit les vies, ambitions et compromissions de ses héros et héroïnes, dans ce qui relève finalement plus de la chronique que d'une réelle fiction engagée ou engageante). Lecture divertissante donc, mais qui aurait pu être tellement plus marquante avec un peu moins de descriptions et un peu plus d'invention !

Sur ce, excellent mois de janvier à vous !

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