The Blazing World de Siri Hustvedt - Chronique n°551

 Titre : The Blazing World
Autrice : Siri Hustvedt
Genre : Contemporain
Date de parution :
Editions : 
Lu en : anglais

Nombre de pages : 379
Résumé : Hustvedt tells the provocative story of the artist Harriet Burden. After years of watching her work ignored or dismissed by critics, Burden conducts an experiment she calls Maskings: she presents her own art behind three male masks, concealing her female identity.

The three solo shows are successful, but when Burden finally steps forward triumphantly to reveal herself as the artist behind the exhibitions, there are critics who doubt her. The public scandal turns on the final exhibition, initially shown as the work of acclaimed artist Rune, who denies Burden’s role in its creation. What no one doubts, however, is that the two artists were intensely involved with each other. As Burden’s journals reveal, she and Rune found themselves locked in a charged and dangerous game that ended with the man’s bizarre death.

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Existe également en français

Titre : Un monde flamboyant
Editions : Actes Sud | Babel

Traduit par : Christine Le Boeuf
Résumé : 
Après sa disparition, une artiste plasticienne, Harriet Burden (dite "Harry"), méconnue de son vivant, fait l'objet d'une enquête menée par un professeur d'esthétique auprès de tous ceux qui, de près ou de loin, l'ont côtoyée de son vivant.

Cet envoûtant thriller intellectuel qui a pour théâtre les milieux de l'art redistribue avec brio les thèmes chers à Siri Hustvedt dans son oeuvre de fiction comme dans ses essais, et constitue une inoubliable plongée dans les arcanes de la création comme de l'âme humaine, explorées ici par une romancière sans conteste au sommet de son art.

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Harriet Burden en a bavé. On peut même dire qu'elle a tout donné. Pour réussir, pour s'exprimer, se faire connaître, se battre contre les limites posées par ses proches, son environnement et ses contemporains, faire triompher d'une façon ou d'une autre ses idées et la forme qu'elle leur donne.
A sa mort, le constat semble clair : elle a tout l'air d'avoir échoué. Sa production artistique est restée particulièrement méconnue tout au long de sa vie, on s'est en général intéressé à elle plus pour son mari que pour elle-même, et ses deux enfants mènent des vies tout à fait détachées de la sienne sans fusion remarquable.

Mais voilà, une étude universitaire ambitieuse s'empare alors de l'artiste disparue, à la lumière de révélations particulièrement croustillantes : Harriet (autosurnommée Harry dans une tentative assumée de brouiller les frontières du genre et de s'inventer au-delà des limites qu'on voudrait lui imposer) aurait eu recours à trois hommes pour se faire passer pour les créateurs d'oeuvres à elle, dans une sorte d'expérience sociale visant à prouver l'existence d'un biais genré et sexiste empêchant les femmes d'accéder à la notoriété aussi facilement que les hommes. La tentative d'Harriet semble avoir été fructueuse, puisque les trois séries d'oeuvres ont connu un succès critique et un accueil bien supérieurs à tout ce qu'elle a pu connaître en son nom propre. Seulement, comme on le découvre petit à petit, la combine d'Harry n'est pas allée sans encombres, notamment lorsque l'un des trois hommes de paille a cessé de jouer le jeu de son éminence grise. 

Le roman revient donc, au moyen d'un ensemble de documents divers et variés datant d'époques encore plus diverses et variées, sur la mise en place, le déroulement et l'héritage de la supercherie d'Harry, avec un talent, une inventivité et une tension de tous les instants. On obtient ainsi une sorte d'enquête constituée d'entretiens, d'extraits de journaux et de témoignages, format très bien exploité qui parvient à maintenir en éveil la curiosité du lecteur tout au long de l'intrigue. De plus, le roman ne s'arrête pas à l'histoire d'Harriet et de ses trois complices (au demeurant très intéressante et bien menée), mais pousse encore au-delà,  évoque l'art, sa définition et son utilité, la critique, les jugements qu'on formule et ceux qu'on ferait mieux de garder, la transmission, l'héritage et toutes ces traces qu'on a si souvent très très très envie de laisser.  

Harry surtout constitue le coeur du récit, personnage fascinant aux facettes multiples et incandescantes, 
parfaitement acariâtre, parfaitement ambitieuse et parfaitement touchante, pétrie d'ambition, d'impatience et de théories à prouver. On la découvre sous ses moindres visages, de son érudition limite arrogante à son besoin désarmant d'obtenir l'amour et la reconnaissance de son milieu (un peu, rien qu'un peu), et si on se dit dans les premiers instants qu'on va vraiment avoir du mal à s'y attacher, on se retrouve trois cents pages plus tard, en dépit de sa condescendance, de son surintellectualisme, de son intransigeance et de son côté sacrément obtenu, sincèrement attaché à cette figure fascinante, décrite avec une telle justesse, une telle précision et une telle variété de points de vue par Siri Hustvedt qu'on serait tenté de croire Harriet réelle ou inspirée d'une figure historique (et pourtant non, elle reste fictive).

L'oeuvre est dense, exigeante, construite sur un solide bagage théorique, parcourue de références artistiques, critiques, psychanalytiques, offre un panel de personnages d'une exhaustivité folle, des bizarres, des génies, des méchants, des sincères, des naïfs et des grands curieux, parvient à recréer de façon plus que saisissante le milieu artistique new-yorkais et le soumet à une analyse captivante au prisme du genre, de la classe, de l'origine ethnique et du politique. L'autrice parvient de façon à la fois très poussée mais malgré tout accessible à suggérer l'immense, ineffable complexité des intrications entre la famille, l'intimité, la carrière, l'image publique, la sexualité, la créativité, les peurs, les talents et les lubies de tous ses personnages, avec un équilibre certain, facilité par la succession des formats, voix et points de vue qu'offre l'ouvrage. 

Le tout est très complexe, ne nous y trompons pas, et il ne s'agit vraiment pas d'un roman qu'on peut dégainer comme ça dans le métro pour en grapiller les pages deux par deux, mais il n'a rien non plus de prétentieux ou d'arrogant : peu importe qu'on ne saisisse pas la moitié des références brandies par son héroïne à la lisière du ridicule, on est quand même inclus, élevé et inspiré par cette histoire, ébloui par le talent, la force, l'intelligence et la rouerie d'Harriet, qui arrive tout de même à se jouer de tout son monde sans jamais le révéler de son vivant (n'est-ce pas la victoire ultime ?), et se bat contre la société et le système qui l'ont invisibilisée en lui retournant ses propres armes. On se retrouve à aimer plus que tout cette femme qu'on avait commencé par trouver imbue d'elle-même et assez vaine, ses enfants qu'on trouvait faibles devenant de plus en plus humains et pertinents, et son objectif en apparence assez simpliste voire immature touchant carrément au génie, avec ces doubles et triples manipulations particulièrement jouissives à voir se dérouler. Un roman rare, après lequel on a du mal à passer à d'autres textes, tant il parvient à créer son univers propre, sa grammaire unique et son atmosphère électrisante. C'est un sacré incendie que The Blazing World, une oeuvre puissamment féministe, érudite et concrète, galvanisante à plus d'un trait. Brillant !

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