L'Intimité d'Alice Ferney - Chronique n°548
Autrice : Alice Ferney
Genre : Contemporain
Editions : Actes Sud
Publié en : 2020
Nombre de pages : 560
Résumé : Une libraire féministe, célibataire par conviction, qui a décidé de longue date qu’elle ne serait pas mère ; un père architecte qui cherche une nouvelle compagne ; une enseignante fière de son indépendance qui s’est inscrite sur un site de rencontres. En révélant leurs aspirations, leurs craintes, leurs choix, Alice Ferney orchestre une polyphonie où s’illustrent les différentes manières de former un couple, d’être un parent, de donner (ou non) la vie.
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D'Alice Ferney, j'avais lu (et sincèrement adoré) Les Bourgeois, paru il y a trois ans et reçu avec un certain succès public comme critique, chronique familiale riche et foisonnante d'une lignée parcourue de secrets, d'héritages, de pressions invisibles et de loyautés contradictoires. C'est donc avec impatience que j'attendais de me plonger dans L'Intimité, mais force est d'admettre qu'en ce qui me concerne, je suis un peu passée à côté.
My bad.
Ca commençait vraiment très bien, pourtant.
J'étais plus qu'happée.
Le roman s'ouvre sur une histoire tendre et attachante, celle d'une libraire passionnée aux voisins plus que mignons, couple parisien heureux, déjà parents d'un petit garçon, et qui s'apprête à accueillir un deuxième enfant. A travers le regard de Sandra, leur voisine donc, on apprend à connaître Ada et Alexandre, à se prendre de curiosité pour leur complicité manifeste, leur amour évident et leur famille en structuration.
Et puis Alice Ferney balance une énorme claque émotionnelle en pleine figure de son lecteur.
Très bien vu.
On bascule, on est saisi, on se laisse dépasser par ce retournement que rien ne laissait annoncer, et on dépasse la première centaine de pages avec des attentes soudain ranimées.
Dans mon cas, c'est précisément là que j'ai déchanté.
Face à un récit qui s'appesantit dans des dialogues très mécaniques, presque désincarnés, avec une narration tour à tour sobre jusqu'à en devenir transparente, puis hérissée de diatribes engagées à la fougue étonnante, on est comme perdu dans un tourbillon de débats théoriques un peu étourdissants, puis de longues plages de descriptions pas forcément captivantes et de situations pas non plus étonnantes, dans une histoire qui patine, se veut subversive, ou en tout cas sensible, et ne parvient qu'à peindre avec application mais sans passion des portraits de personnages assez robotiques, pour ne pas dire franchement froids.
Le livre a l'intelligence immense de pointer un ensemble de sujets captivants : parentalité, en distinguant bien et en comparant paternité et maternité, famille, filiation, deuil, réparation, transmission, GPA, éthique, asexualité et procréation, autant de thématiques nécessaires et passionnantes dont les ramifications se croisent et se recroisent à l'infini. Mais voilà, L'Intimité est bavard, flottant, et donne de ce fait l'impression de se détacher de la réalité qu'il décrit.
C'est toute la question de l'intime et du politique, d'autant plus pertinente ici vu le titre (sans blague). J'aime à croire et je défends d'ailleurs très souvent l'idée selon laquelle les récits les plus intimes, à la première personne, les témoignages et autres autofictions sont l'une des manières les plus puissantes et judicieuses d'évoquer les grands sujets transversaux, les questions sociales, les dilemmes politiques. Je suis persuadée que ces récits du moi parviennent à toucher au nous, que leur honnêteté leur permet de servir d'incubateur ou de prisme de réfraction, mais voilà, dans L'Intimité, on est dans le cloisonnement justement, et si on évoque certes la situation du reste du monde, si on rappelle certes que les sujets évoqués sont des débats d'actualité, force est d'admettre que le récit ne s'élève pas, se perd dans un côté surintellectualisant, avec de longues descriptions, blocs d'informations pas forcément digestes ni compréhensibles. Le tout est porté par des personnages qui s'avèrent vite difficiles à apprécier, ce qui n'a rien de mauvais en soi, mais qui n'aide pas franchement à se passionner pour leurs attermoiements surthéorisants.
Loin de moi l'envie de charger ce roman que je devine plein de bonnes intentions, et qui reste évidemment un texte de qualité, bien structuré et riche de pistes à dérouler. De même, je ne cherche absolument pas à faire de procès d'intention à l'autrice, et je comprends parfaitement en quoi elle a pu vouloir créer ces personnages dont elle ne partage pas nécessairement les opinions. Le roman agit comme une fable politique, certes, mais voilà, à mon sens, ça ne prend pas. Je ne pourrai formuler cette critique qu'à la première personne, étant donné que tout provient du traitement de certains sujets particulièrement complexes et nécessaires, comme l'asexualité, la GPA ou les relations non-exclusives, qui ne me paraît pas assez inclusif, pas assez distancié.
Bien sûr, il n'est pas du tout nécessaire que je sois d'accord avec un personnage pour apprécier le récit dans lequel il évolue (au contraire, et heureusement !), mais les opinions d'Alexandre, de Sandra et des quelques autres personnages sont ici présentées de façon si péremptoire et avec si peu de contradiction que je n'ai pu m'empêcher d'en concevoir un certain malaise. Entre les désirs abracadabrants et conditions intenables que pose l'un des personnages, l'égoïsme d'un autre, la passivité d'un autre encore, et l'espèce de discours cynique constant dans le roman autour de "l'amour aujourd'hui au XXIème siècle", je me perdais, je ne trouvais pas de résonance. J'aurais aimé plus de diversité, plus de bienveillance, moins de froideur dans la façon dont toutes ces définitions, situations et volontés sont décrites. De l'ouverture, en fait. Et puis aussi, je l'avoue, un peu plus d'espoir.
A voir donc ce que vous en penserez de votre côté : un roman qui m'a certes gênée, mais qui aura au moins le potentiel de déclencher des conversations, ce qui reste sans aucun doute l'un des plus beaux pouvoirs de ce grand magma informe et vivant qu'on appelle littérature.
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