La Petite Femelle de Philippe Jaenada - Chronique n°451

Titre : La Petite Femelle
Auteur : Philippe Jaenada
Genre : Contemporain
Editions : Points
Nombre de pages : 724
Lu en : français
Résumé : Au mois de novembre 1953 débute le procès retentissant de Pauline Dubuisson, accusée d'avoir tué de sang-froid son amant. Mais qui est donc cette beauté ravageuse dont la France entière réclame la tête ? Une arriviste froide et calculatrice ? Un monstre de duplicité qui a couché avec les Allemands, a été tondue, avant d'assassiner par jalousie un garçon de bonne famille ? Ou n'est-elle, au contraire, qu'une jeune fille libre qui revendique avant l'heure son émancipation et questionne la place des femmes au sein de la société ? Personne n'a jamais voulu écouter ce qu'elle avait à dire, elle que les soubresauts de l'Histoire ont pourtant broyée sans pitié. Telle une enquête policière, La Petite Femelle retrace la quête obsessionnelle que Philippe Jaenada a menée pour rendre justice à Pauline Dubuisson en éclairant sa personnalité d'un nouveau jour. À son sujet, il a tout lu, tout écouté, soulevé toutes les pierres. Il nous livre ici un roman minutieux et passionnant, auquel, avec un sens de l'équilibre digne des meilleurs funambules, il parvient à greffer son humour irrésistible, son inimitable autodérision et ses cascades de digressions. Un récit palpitant, qui défie toutes les règles romanesques.

----------------------------------------------------

Certains romans ont de l'ambition. 
D'autres ne sont qu'ambition.
La Petite Femelle fait partie de la seconde catégorie. 

C'est le roman d'un acharné, d'un têtu, d'un convaincu. C'est le roman d'un écrivain capable d'éplucher des décennies d'archives, de coupures de presse, de retourner des rumeurs dans tous les sens pour y trouver un fond de vérité, de reconstituer lui-même une scène de meurtre afin d'évaluer la faisabilité de telle ou telle configuration. Jaenada décortique, analyse, explique, accorde sa juste importance au moindre événement de la vie de Pauline Dubuisson, et surtout, dément. 
Beaucoup. 
Il revient sur des décennies de calomnies, de mensonges et autres inventions sensationnalistes passées dans le domaine public, et s'efforce de démentir tous les fantasmes que l'on a tissées autour de la figure de cette petite femelle qui a été un temps l'objet de la haine de tout un pays. 

C'est le roman d'un attendri, d'un fasciné, d'un enchanté. Pauline est solaire, insaisissable, sombre, aussi hors-normes que parfaitement humaine. La comprendre, c'est faire une quasi expérience-limite, c'est découvrir la cruauté des autres, l'absolu, c'est franchir des points de non-retour successifs en sachant que le suivant sera pire encore que le précédent.

C'est aussi le roman d'une surprise constante et renouvelée, celle du lecteur, perpétuellement éberlué par la légèreté de l'enquête à l'époque, par l'intransigeance de toute une société, par la férocité d'un sexisme et d'une misogynie qui s'appliquent à tous les degrés d'une existence et s'appliquent à la détruire point par point.

C'est le roman d'une tentative désespérée de parvenir à la vérité, qui sait très bien qu'elle est condamnée à être inexacte, mais qui poursuit tout de même son lent travail de compréhension, de recueillement des savoirs, de pédagogie. C'est une leçon de patience. 

C'est enfin le roman d'un homme qui s'amuse, qui joue même avec le plus sordide, qui entrecoupe ses considérations techniques de parenthèses et autres exquises digressions tout à fait personnelles. (Merci, Monsieur Jaenada, pour votre usage incomparable de la quadruple parenthèse. C'est, à n'en pas douter, un apport historique à la littérature française contemporaine. N'arrêtez jamais.) 
Philippe rencontre Pauline, la dévisage sous toutes les coutures, explore avec elle son environnement, tisse sans cesse des points communs entre sa propre existence et celle de son héroïne, et embarque le lecteur dans ce qui devient une sorte de trio improbable, à cheval entre fiction, histoire, mélodrame, biographie et enquête policière. Les anecdotes valsent dans tous les sens mais avec une inexplicable sensation d'ordre, d'adéquation et de pertinence, les pages se tournent à un rythme dévorant, et une vérité, à défaut de la vérité, émerge enfin. 

Et c'est une très belle vérité.
C'est une très belle façon de raconter une histoire, un parcours.
C'est un roman plus que particulier, d'une formidable liberté, d'une spontanéité à couper le souffle, et ce sans jamais se départir d'une certaine exigence historique et psychologique. Bref, un régal, une lecture réjouissante à plus d'un titre, effarante, glaçante, saisissante, une réussite sur tous les plans. 




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]

J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda - Chronique n°517

Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

U4 – Koridwen d'Yves Grevet — Chronique n°120

Le Choix d'Isabelle Hanne [Littérature]