Littératurpitudes #8 - Petit Précis d'Initiation à la Littérature Féministe

Coucou, je suis féministe.

(Bisous)

Ce n'est sans doute une découverte pour pas grand-monde ici parmi celles et ceux qui me suivent, mais je tenais à le rappeler, parce qu'on n'a jamais assez de féminisme dans une existence.
(N'est-ce pas ?)

Le but de cet article, au-delà de célébrer tous les êtres humains quel que soit leur genre ou quoi que ce soit d'autre d'ailleurs, est de vous apporter quelques références, quelques ouvrages parmi ceux qui m'ont le plus inspirée, et qui m'ont poussée à nourrir les réflexions qui m'ont fait avancer sur cette épineuse, complexe et passionnante question.

Que vous n'ayez encore jamais vraiment abordé la question ou que vous ayez déjà quelques notions, vous trouverez votre bonheur dans cette liste de titres que j'ai voulus accessibles et, surtout, qui ne vous tomberont pas entre les mains. Promis, tous sont certifiés par le Label "non-ennuyeux et prenant". 

Il ne s'agit pas là de donner de "bons ou mauvais points", d'accorder une note sur l'échelle du féminisme ou bien de clamer que tout bon livre doit être féministe ou ne sera pas.
Non.

D'ailleurs, tous les ouvrages que je m'apprête à citer ne relèvent pas directement ou ne s'autoproclament pas héritiers du féminisme : ce sont simplement un ensemble de titres éclairants, qui accordent une place majeure à la question des femmes et de leur place dans la société, pointent les injustices et autres joyeusetés qu'elles subissent toujours, et indiquent surtout des pistes à suivre pour un monde un peu plus chouette. 

Il s'agit simplement d'apporter un premier éclairage, d'entamer la conversation, bref, de réfléchir ensemble dans la joie et la bonne humeur.

Enjoy.

Du côté de la théorie...
Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir : un ouvrage souvent cité comme "la base", et pour cause, il l'est. CEPENDANT (notez mon insistance), ce n'est pas un titre par lequel je vous conseillerais de commencer votre plongée littéraire féministe si vous ne vous sentez pas déjà un minimum initié. Le Deuxième Sexe est un ouvrage très poussé par certains aspects, voire très technique, qui ne se dévore pas d'une traite, sans y penser. Le texte est exigeant et demande une implication constante du lecteur : rien d'insurmontable bien évidemment, et il ne fait nul doute que vous pourrez le lire un jour ou l'autre et en profiter pleinement, mais disons que Le Deuxième Sexe se déguste, a besoin de temps pour décanter, pour faire effet. Et quel effet !
Beauté Fatale de Mona Chollet : il s'agit sans doute du tout premier essai féministe (le premier d'une longue série, huhu) que j'ai découvert. Je me souviens parfaitement de mon état après avoir tourné la dernière page : révoltée, (et encore, le mot est faible), indignée, furieuse, furibonde, incrédule (oh, sweet child). Comment cela est-il encore possible ? Comment peut-on continuer à dire aux femmes ce qu'elles doivent faire/porter/dire/comment elles doivent se comporter dans les moindres sphères de leur existence et pas uniquement les plus attendues ? Pourquoi l'aliénation féminine évoquée par le sous-titre n'a-t-elle pas été enterrée depuis les premières lois féministes des années 60 ou 70, pourquoi en est-on encore là (et où en est-on vraiment d'ailleurs), comment cette aliénation a-t-elle changé pour s'adapter au monde contemporain et mieux s'y dissimuler ? Autant de questions passionnantes qui ne manqueront pas de vous hérisser le poil de colère, abordées avec ironie, intelligence et intransigeance par une autrice passionnante et très accessible. Go go go go.
Le Mythe de la virilité d'Olivia Gazalé : j'en ai déjà longuement et admirativement parlé sur ce blog : cet ouvrage combine théorie politique, histoire, sociologie et surtout philosophie pour s'interroger sur le thème essentiel et souvent délaissé - quoique de moins en moins actuellement - des masculinités, et notamment de la masculinité que l'on dira "classique", "virile", "traditionnelle", "dominante". D'où vient-elle ? Comment s'est-elle imposée ?  Quelles conséquences a-t-elle sur l'ensemble de la société et des individus qui la composent ? Y a-t-il seulement une alternative ? L'ouvrage est d'une fluidité et d'une accessibilité exemplaires, sans jamais non plus se départir d'une certaine exigence intellectuelle. Il a surtout la grande pertinence de pointer un fait essentiel : le féminisme lutte pour les droits de tous les individus, y compris les hommes, qui gagneraient eux aussi à ce que notre grand ami le patriarcat finisse enfin par avoir la gentillesse de s'effondrer (oh, sweet dreams). Bref, foncez !
Le Livre noir de la Gynécologie de Mélanie Déchalotte : une lecture qui peut s'avérer éprouvante à plus d'un égard par mais que j'ai trouvé d'une exigence et d'une clarté remarquable, complet sur tous les plans, incroyablement éclairant, instructif tant pour de parfaits néophytes que pour celles et ceux qui s'y connaissent déjà un peu. L'ouvrage combine témoignages, enquête, données statistiques et analyses pour faire lumière sur les violences gynécologiques et obstétricales  qui sont encore et toujours subies aujourd'hui par les femmes (allant d'actes médicaux pratiqués sans consentement jusqu'à des attouchements, des agressions sexuelles et même des viols). Le tout est évidemment atterrant, révoltant, mais ô combien nécessaire, et donne surtout des pistes éclairantes pour les combats qui restent à mener. 
Résultat de recherche d'images pour "le racisme est un problème de blanc"
Why I'm no longer talking to white people about race anymore / Le racisme est un problème de Blancs de Reni Eddo-Lodge : parce que le féminisme n'est pas qu'une histoire de genre, c'est aussi une lutte qui se doit d'être intersectionnelle - c'est-à-dire de toujours prendre en compte comment différentes discriminations ou stigmatisations, par exemple de genre, classe, religion, race sociale, ou orientation sexuelle -, voici un ouvrage plus qu'éclairant sur le racisme, ce qu'il signifie réellement, pourquoi il est toujours d'actualité, avec un éclairage tout particulier sur la situation des femmes noires.

Pour en revenir au livre.
Vous avez vu le titre, vous en avez sans doute été surpris. C'est le but. Ce livre veut que vous le lisiez, et il a raison. Essai éclairant à plus d'un titre, honnête, intransigeant, eye-opening comme diraient nos amis anglophones, révoltant aussi, il offre un chapitre particulièrement juste sur le féminisme, ainsi qu'un ensemble de données, d'explications, d'analyses et d'éclairages sur nos différents biais, nos jugements conscients et inconscients, et la façon dont nous pouvons collectivement réfléchir à mettre fin à cette situation. Il ne s'agit pas du tout de vous faire ressentir de la honte, de la culpabilité, pas du tout : ce serait stérile et vain. Au contraire, c'est un roman qui se veut global, total, et qui veut donc aussi parler à un public global. 

Du côté de la fiction...
Le Choeur des Femmes de Martin Wrinckler : si vous ne deviez en lire qu'un seul, ce serait celui-ci. Ce livre a changé ma vie.
(Et je suis très sérieuse).
Je l'ai lu une première fois à tout juste quinze ans, et j'ai été absolument stupéfaite, éberluée, foudroyée, tout ce que vous voudrez. Pour la première fois, j'ai pris conscience d'être une femme (ou presque), de tout ce que cela impliquait, de toutes les réalités que cette condition pouvait englober, de toutes les attentes, histoires, de tous les traumatismes qui pèsent sur ce simple mot. 
Je l'ai relu il y a quelques mois, dans l'espoir de trouver les mots pour en parler ici (inutile de dire que j'ai échoué). La relecture a été tout aussi forte, mais différente : il peut paraître présomptueux de dire qu'on a beaucoup grandi en à peine trois ans, mais ça a bel et bien été le cas, et laissez-moi vous dire que ce roman m'a accompagnée, ouvert les yeux, réchauffé et brisé le coeur à la fois. Lisez-le, immédiatement. C'est un ordre. (Doux mais ferme)
Résultat de recherche d'images pour "asking for it"Couverture Une fille facile
Asking for It / Une fille facile de Louise O'Neill : acclamé un peu partout par la critique et le lectorat, ce roman offrait dès 2015 l'une des perspectives les plus justes, frappantes et nécessaires sur le viol, le fait d'en avoir subi un, la position de victime, la nécessité et parfois l'impossibilité de se faire justice, les préjugés prégnants : c'est terrible, c'est bouleversant, et surtout, ça refuse tout mélo ou tout sensationnalisme. Le style est peut-être un tantinet simple, mais c'est du pinaillage plus qu'autre chose.  Le roman propose donc de suivre l'histoire d'Emma, jeune fille violée lors d'une soirée arrosée, à qui l'on dit qu'elle l'a "bien cherché" vu son comportement et son accoutrement.
Oui. Bien sûr.
(Pour être claire : la victime d'un viol n'est jamais responsable. Jamais. Voilà.)
Louise O'Neill fait un formidable travail, en combinant une fiction touchante et saisissante à un message clair et nécessaire. Bref, une valeur sûre.
Résultat de recherche d'images pour "americanah"Résultat de recherche d'images pour "americanah"

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie : je ne pouvais pas décemment écrire un article sur le féminisme sans citer à un moment ou à un autre Chimamanda Ngozi Adichie, mon héroïne, mon idole, ma femme (presque). Ecrivaine nigériane, reconnue un peu partout dans le monde pour son discours féministe extrêmement puissant, son roman le plus connu raconte le parcours merveilleusement touchant d'une jeune Nigériane, installée aux Etats-Unis depuis ses études universitaires, qui fait le récit de sa vie en tant qu'étrangère aussi bien dans son pays d'origine que dans son pays d'installation, en tant que jeune femme qui cherche sa place, en tant que jeune femme noire, en tant que jeune tout court, bref, c'est drôle, c'est éclairant, c'est acerbe, c'est passionnant, ça mérite amplement son succès. Foncez. 
Résultat de recherche d'images pour "les années ernaux"
Les Années d'Annie Ernaux : une de mes plus belles lectures de l'année, un roman qui ne porte pas d'étiquette explicitement féministe - Ernaux refuse d'ailleurs le terme -, mais qui, par son approche subtile de la vie d'une femme tout au long du XXème siècle, des obligations qui pèsent sur elle, des frustrations qu'elle ressent, parvient à rendre compte d'une vérité saisissante : être une femme, ça craignait déjà hier, et ça craint toujours aujourd'hui. 
La narratrice ne se clame jamais explicitement femme, mais le moindre de ses souvenirs crie "je suis une femme et cela a eu des conséquences sur tous les aspects de ma vie". C'est à ce titre que j'ajoute Les Années à cette liste, parce que parfois, l'implicite, l'intime et le sous-entendu ont autant d'effet que les manifestes et les essais. 

Plus largement, le roman est splendidement écrit et furieusement nostalgique, et vous offrira un splendide morceau de littérature - je ne peux d'ailleurs que vous recommander la bibliographie d'Annie Ernaux dans sa globalité : pour ne citer que lui, le premier roman  autobiographique d'Ernaux, Les Armoires Vides, aborde directement son avortement, alors que l'acte était alors encore prohibé par la loi en 1974, quand le roman paraît. 
Moi je dis, respect. 


Image associée

Voilà donc pour mes premières recommandations (n'hésitez pas à contribuer via les commentaires) !

Il y aura un volume 2, bien évidemment, ne serait-ce que parce que j'ai encore tant à lire (de L'Art de la Joie aux romans d'Ursula le Guin en passant par Orlando de Virginia Woolf ou encore les autres ouvrages de Simone de Beauvoir, le monde de la littérature féministe est vaste et riche, et nous réserve encore de nouvelles et formidables découvertes).

Bisous égalitaires et embrassades non-genrées, et sur ce, à très bientôt !

Commentaires

  1. Merci pour cette article, je pense que je viendrai plusieurs fois voir ta liste pour choisir une lecture féministe ! J'avais retenu beauté fatale de la critique que tu en avais faite et bien sûr Americanah (c'est mon obsession du moment, je VEUX ce livre). Et why I'm no longer talking to white people about race avait déjà attiré mon attention. Bref il faut que je me mette à lire ces quelques livres sur ce sujet qui m'intéresse tellement !

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