Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona - [Cinéma]

Titre : Les Magnétiques
Réalisé par : Vincent Maël Cardona
Genre : Drame
Date de sortie : 17/11/2021
Avec : Thimothée Robart, Marie Colomb...
Synopsis : Une petite ville de province au début des années 80. Philippe vit dans l’ombre de son frère, Jérôme, le soleil noir de la bande. Entre la radio pirate, le garage du père et la menace du service militaire, les deux frères ignorent qu’ils vivent là les derniers feux d’un monde sur le point de disparaître.

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C’est l’un des plus beaux films français de l’année et vous n’en avez probablement pas entendu parler. Les Magnétiques, premier long-métrage de Vincent Maël Cardona, est un film formidable, sur lequel semblent n’avoir travaillé que des personnes qui savent pertinemment comment rendre un film plaisant et captivant, déterminées à raconter une histoire dans tout ce que cette expression a de plus excitant et galvanisant, et dont la maîtrise technique est éblouissante – voire inexplicable – quand on sait qu’il s’agit d’un premier film.

Fait rare et ô combien appréciable, aucun plan ne se contente d’être purement fonctionnel, et la photo est d’une absence totale de paresse ou de facilité : chaque image porte la marque d’une intention, chaque situation est filmée avec pertinence et surtout une inventivité rare (à combien de reprises tombe-t-on en arrêt face à une rue, un visage, une voiture, une main que l’on n’aurait jamais pensé à filmer ainsi et qui, pourtant, à l’œil de Cardona, semble s’imposer et n’exister que pour être capturée de cette exacte façon par une caméra ?). Au rythme quasi étourdissant d’une idée par seconde, le film révèle une photographie prodigieuse, balance une quantité industrielle de plans à s’en tatouer la rétine qu’on a aussitôt envie d’imprimer et d’afficher sur les murs de sa chambre. A travers un fabuleux travail du grain pellicule, des couleurs primaires (ces jaunes aigus, tranchants, un peu verdâtres, ces beaux bleus turquoise la nuit, ces rouges profonds, quel plaisir visuel !), le film rend un hommage enthousiaste mais tout sauf éculé à l’esthétique eighties, avec juste ce qu’il faut de créativité et de modernité pour ne pas tomber dans un simple pastiche ou un cocktail nostalgisant et clairement insincère à la Stranger Things. Pour le dire très simplement : il n’y a pas un plan à jeter, pas un seul, et cette maturité dans le filmage intrigue autant qu’elle réjouit.

L’intrigue, qui repose sur le passage à l’âge adulte de son personnage principal, sa relation avec son brillant frère aîné, l’éclosion de son premier amour, le déracinement auquel l’oblige son service militaire, trouve son juste équilibre entre originalité et sincérité, et touche à des émotions brutes, indescriptibles, qui déclenchent ce genre de vérité bouleversante et pas si fréquente au cinéma, qui touche sans qu’on puisse (s’)expliquer pourquoi. Ça parle de nostalgie, de perte, d’irréversible, d’adolescence laissée derrière soi, d’amours abîmées, de passion, de passion beaucoup, de transmission, de radio, de cassettes, et de musique, évidemment. Ça en parle sans posture, avec un mélange de fièvre et d’acceptation qui m’a, en tout cas, pulvérisée de beauté et de tristesse.

Les Magnétiques est enfin un film sacrément bien écrit : pour le dire ainsi, il y a juste ce qu’il faut, et rien d’autre. Les dialogues disent ce qui doit être dit sans bavardage, sans surplus, témoignent d’un humour formidable, et les silences sont aussi riches que de longs discours. Le scénario travaille l’évolution des personnages avec une subtilité inouïe : ce n’est que dans la toute dernière scène, qui opère une forme de rétrospective sur l’ensemble du film, que l’on se rend compte tout d’un coup de la lente et profonde métamorphose qu’a notamment connue le personnage principal. Rien n’est jamais martelé, rien n’abêtit ou n’infantilise le spectateur, qui se trouve par là même formidablement valorisé, mis en confiance : c’est lui qui rassemble les pièces, s’empare des sous-entendus, repère des symboliques, sans que jamais la narration n’ait à les lui pointer du doigt ou à lui rappeler à l’oreille : « T’as vu comme je suis un film intelligent, t’as vu, t’as vu ? » Il n’y a, je crois, guère d’expérience plus plaisante pour un public de cinéma que celle d’avoir l’impression que c’est lui qui « fait » le film, en tout cas qui s’en fait sa propre interprétation, et Les Magnétiques y parvient avec brio. Le personnage principal, Philippe, connaît un vrai récit d’apprentissage dont on ne prend conscience de l’ampleur qu’une fois parvenu à son aboutissement, et le film manifeste une pudeur, une retenue non seulement très compatibles avec l’époque du récit, mais profondément satisfaisantes, car bien sûr, tout ce qui n’est pas dit n’en résonne qu’avec davantage de force.

Un (long) mot enfin sur le fascinant travail du son que le film opère, avec ses personnages passionnés de radio, son mixage impeccable, sa sensorialité, sa façon de donner exactement la juste place aux souffles, hésitations, mots mâchés, mastications, pour rendre l’expérience d’autant plus immersive sans jamais virer à la caricature ou à la coquetterie. Le film se pique même de construire quelques scènes en un mot anthologique, d’une maîtrise immense, où les doigts de Philippe deviennent platines, son monde orchestre symphonique et ses cassettes partition chaotique, pour créer de sublimes bulles de musique, de bruit et de rêve où les mots chahutent les mélodies jusqu’à donner naissance à de pures parenthèses de plaisir, de rêve et de beauté. La bande originale du film complimente à merveille l’intrigue, et loin de servir le récit, elle le porte et le scande, avec là encore une merveilleuse sélection de titres des années 1980 qui n’a rien de la citation balourde et dont chaque morceau s’intègre au film de façon organique, naturelle, bienvenue. On regrette presque de voir le film s’achever tant on se sentait bien dans son univers, dans cette petite ville de province que chacun connaît par cœur, avec ses rues où il semble avoir plu même lorsqu’il n’a pas plu, le bar un peu miteux où l’on se sent bien quand même, et cette gare, cette gare surtout, où l’on s’est tous arrêtés avec un pincement au cœur, un long soupir d’ennui et un peu de vague à l’âme, dans les autres lieux que la caméra explore, les rues du Berlin encore sectorisé, les champs où la jeunesse des personnages flamboie lors de soirées d’anthologie, les chambres d’adolescents envahies par les câbles et les platines où les rêves se racontent sur les ondes.

A mi-chemin entre la rétrospective et la chronique, l’hommage et le pur kif de créateur, on a tant l’impression d’une œuvre très personnelle que d’un film avant tout désireux d’être généreux avec son spectateur, qui l’accompagne dans son visionnage sans jamais forcer l’émotion. Les acteurs sont prodigieux, l’amertume de l’histoire saisit à la gorge sans plomber, la fin en un mot parfaite (quel sommet d’émotion !), le rythme soigneusement orchestré, et si l’histoire peut parfois sembler prévisible, du moins classique, c’est qu’elle ne s’attache pas tant à réinventer l’eau tiède qu’à être juste, et c’est bien plus rare et bienvenu qu’on ne peut le penser.

C’est un chouette film. Un sacrément chouette film. C’est plaisant, c’est beau, c’est joli, c’est triste, c’est tellement fluide, c’est tellement léger. Unique frustration : on en aurait voulu encore plus, des scènes comme ça, rien qu’une seule scène supplémentaire de radio, dans la continuité de ce passage prodigieux où Philippe se laisse submerger par sa passion, sa sensibilité et ses intuitions musicales pour composer la plus belle déclaration d’amour qu’on a vue au cinéma depuis longtemps. Oui, vraiment, on en aurait voulu encore. Mais on le sait, et le film nous le rappelle : rien ne sert de vouloir trop répéter les moments évanouis, aussi beaux aient-ils été. Il vaut mieux se les rappeler et les chérir plutôt que de trop chercher à les reproduire, au risque de les dénaturer.

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