Fille de Camille Laurens - Chronique n°545
Titre : Fille
Autrice : Camille Laurens
Genre : Contemporain
Editions : Gallimard (collection Blanche)
Date de parution : 2020
Lu en : français
Nombre de pages : 224
Résumé : FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.
Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen. «Vous avez des enfants? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles», répond-il. Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?
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Laurence est une fille.
C'est tout bête et c'est tout.
Ca l'a déterminée, influencée, heurtée et instruite.
Ca a fait d'elle une certaine déception pour ses parents, et une cible certaine pour tout un tas d'agressions, restrictions et autres oppressions.
Ca a fait d'elle
C'est un roman court, tout en fluidité et en fragments, et malgré ça vraiment marquant. C'est l'histoire d'une fille qui se veut femme et parvient petit à petit à s'improviser son statut à elle, hybride, bancal et personnel. C'est un individu qui ne se sent pas forcément politique mais dont la vie l'est à chaque instant, c'est une démonstration subtile et éclatante de combien le privé est politique et combien certaines dynamiques structurelles viennent irriguer toute une vie intime de leurs injonctions. C'est une vie qui se croit sans intérêt, qui s'autorise donc à se livrer dans tous ses détails, et qui s'avère justement grâce à ça passionnante. On ne lit pas Fille pour son histoire, son intrigue (inexistante, là n'est pas le but) ni même son personnage principal (qui n'existe, et là encore, c'est volontaire, qu'à travers le regard que d'autres portent sur elles), mais pour la précision, l'intelligence et la pertinence du regard que l'autrice porte sur son sujet d'étude. La thématique de la féminité, de la maternité, de la sexualité et de la vulnérabilité, dans toutes ses bizarreries et ses contradictions (et puis même, c'est quoi, la féminité ?), est ici décortiquée avec un mélange de dérision, de sérieux et de cynisme, et c'est plus que jouissif.
On retient enfin Fille pour sa plume davantage que son histoire, sa belle plume ciselée aux fulgurances tour à tour ludiques, poignantes, simples et érudites, ses jeux de mots géniaux dans tous les registres, ses références transgénérationnelles, de la pop culture à la littérature, sa façon inouïe de connecter tout un tas de domaines (historiques, politiques, sociologiques, scientifiques) pour en tirer une réflexion solide, accessible et plus que convaincante autour de ce qu'est être une femme. C'était loin d'être gagné, vu le côté battu et rebattu du sujet, vu les bêtises qui ont pu être échangées là-dessus, mais dans le cas de Fille, le propos m'a semblé délicat, et même bienvenu, quand bien même il aurait pu à mon sens encore gagner en radicalité (mais bon, ça, c'est juste moi).
Une très belle lecture donc, intelligente, et c'est tout réfléchi que de le dire. On manque de textes comme ça, ancrés à la fois dans le passé et dans la réalité de leur temps, des témoins très actuels et qui se veulent moteurs de changements, la littérature telle qu'on l'aime, accompagnatrice, lucide et tournée vers le dialogue, un ensemble de petites trouvailles et de grandes révélations plus ou moins marquantes, mais toujours pertinentes. Ce n'est qu'un point de vue singulier, évidemment, mais c'est aussi tout ce qui fait la force du texte. Une proposition à lire, et dont il faudra ensuite débattre.
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