Le Coeur battant du monde de Sébastien Spitzer - Chronique n°499
Titre : Le Coeur battant du monde
Auteur : Sébastien Spitzer
Genre : Historique
Editions : Albin Michel
Date de parution : 2019
Lu en : français
Lu en : français
Résumé : Dans les années 1860, Londres, le cœur de l’empire le plus puissant du monde, se gave en avalant les faibles. Ses rues entent la misère, l’insurrection et l’opium.
Dans les faubourgs de la ville, un bâtard est recueilli par Charlotte, une Irlandaise qui a fui la famine. Par amour pour lui, elle va voler, mentir, se prostituer sans jamais révéler le mystère de sa naissance.
L’enfant illégitime est le fils caché d’un homme célèbre que poursuivent toutes les polices d’Europe. Il s’appelle Freddy et son père est Karl Marx. Alors que Marx se contente de théoriser la Révolution dans les livres, Freddy prend les armes avec les opprimés d’Irlande.
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Sébastien Spitzer avait fait fort pour son premier roman, avec un récit si sombre qu'il en devenait presque insoutenable, si dense qu'il en devenait presque cinématographique, si riche qu'il laissait un souvenir vivace, sensoriel à son lecteur. Si le destin du fils bâtard de Karl Marx qu'il imagine ici n'est peut-être pas aussi bouleversant que celui de Magda Goebbels dans Ces Rêves qu'on piétine, il demeure tout à fait saisissant, convaincant et marquant à bien des égards.
Après l'Allemagne nazie, c'est donc dans le Londres bouillant et miséreux de la Révolution Industrielle que Spitzer s'immerge, à grands coups de descriptions bien renseignées et de portraits de société comme il aime les dessiner, illustrés par les destins de personnages bien particuliers. L'écrivain n'hésite pas à faire s'exprimer de grandes figures historiques, à commencer par Engels et Marx eux-mêmes, piliers du récit qu'il propose ici. On découvre ainsi la vie un peu chaotique des deux intellectuels livrés à eux-mêmes après les grands espoirs et les encore plus grandes déconvenues du Printemps des peuples de 1848, peinant à concilier leurs aspirations idéalistes et la réalité de leur quotidien. Engels notamment, lié par son père à une grande manufacture de coton, fait face jour après jour à la condition effarante des ouvrières qui s'y laminent la santé, sans pouvoir vraiment agir tant la mécanique inébranlable de la productivité est viscéralement implantée dans le fonctionnement de l'usine. De son côté, un Marx vieillissant et quelque peu déconnecté du monde réel s'abîme dans la rédaction d'un Capital dont on sait qu'il ne le finira jamais, de plus en plus détaché de son entourage, qui se doute bien de l'impossibilité de combattre le système que Marx consacrera une vie à dénoncer.
Mais ce sont d'autres personnages qui portent en eux le cour - battant - du récit : Charlotte, immigrée irlandaise, malmenée par une société qui ne s'intéresse à elle que pour son corps, qui devient par un concours de circonstances la mère adoptive d'un enfant que lui confie Engels. Le lecteur le comprend assez vite : le petit garçon est l'enfant illégitime de Marx, dont nul ne doit apprendre l'identité véritable. A partir de là se déroule le récit de sa jeunesse, alors que ses tuteurs, parents cachés et autres superviseurs se déchirent autour de leurs idéaux contradictoires.
Certains portraits sont plus réussis que d'autres : là où on n'a aucun mal à se représenter Engels et ses tiraillements, à la fois attaché à un certain train de vie, convaincu de la nécessité de pousser ses ouvrières à se révolter, sincèrement engagé pour leur bien-être, et démuni face à un combat qui le dépasse, il est vrai qu'on peine à s'attacher à la figure d'un Marx moins haut en couleurs que celui de l'excellent film Le jeune Karl Marx de Raoul Peck. Les personnages féminins sont quant à eux tout à fait réussis, résilients, impressionnants de force et de conviction, et le jeune Freddy recueilli par Charlotte, s'il n'est pas la figure à la personnalité la plus affirmée du lot, reste un protagoniste que l'on se plaît à suivre.
C'est enfin l'atmosphère générale du roman qui convainc, ce Londres sale et bruyant retranscrit à merveille, où le coton importé d'Amérique fait tourner une industrie qui démolit autant qu'elle fait survivre ses travailleurs, et où les tensions s'accumulent, notamment du côté des Irlandais dont la rancœur et les velléités indépendantistes ne font que s'accroître au fur et à mesure que l'intrigue fait défiler les années. On se passionne pour ces destins brisés, ces frustrations ravalées, ces personnages qui paraissent condamnés à la pauvreté et au silence, et on se prend à espérer avec eux des lendemains meilleurs, tout en se doutant de l'issue pénible vers laquelle leurs luttes finiront par les mener. L'auteur parvient formidablement bien à maintenir une forte tension, un solide dynamisme et surtout une imagerie inventive au cœur de son roman, et les pages se tournent avec une voracité certaine. Le Cœur battant du monde est donc un ouvrage réussi, peut-être finalement moins pour son idée d'imaginer le destin du bâtard de Karl Marx que pour la façon dont il brosse le panorama social et historique du Londres du milieu du XIXème siècle. On en retient une histoire dure et éprouvante, marquée à la fois par une fatalité désespérante et une combativité à toute épreuve. Jolie découverte !
Sébastien Spitzer avait fait fort pour son premier roman, avec un récit si sombre qu'il en devenait presque insoutenable, si dense qu'il en devenait presque cinématographique, si riche qu'il laissait un souvenir vivace, sensoriel à son lecteur. Si le destin du fils bâtard de Karl Marx qu'il imagine ici n'est peut-être pas aussi bouleversant que celui de Magda Goebbels dans Ces Rêves qu'on piétine, il demeure tout à fait saisissant, convaincant et marquant à bien des égards.
Après l'Allemagne nazie, c'est donc dans le Londres bouillant et miséreux de la Révolution Industrielle que Spitzer s'immerge, à grands coups de descriptions bien renseignées et de portraits de société comme il aime les dessiner, illustrés par les destins de personnages bien particuliers. L'écrivain n'hésite pas à faire s'exprimer de grandes figures historiques, à commencer par Engels et Marx eux-mêmes, piliers du récit qu'il propose ici. On découvre ainsi la vie un peu chaotique des deux intellectuels livrés à eux-mêmes après les grands espoirs et les encore plus grandes déconvenues du Printemps des peuples de 1848, peinant à concilier leurs aspirations idéalistes et la réalité de leur quotidien. Engels notamment, lié par son père à une grande manufacture de coton, fait face jour après jour à la condition effarante des ouvrières qui s'y laminent la santé, sans pouvoir vraiment agir tant la mécanique inébranlable de la productivité est viscéralement implantée dans le fonctionnement de l'usine. De son côté, un Marx vieillissant et quelque peu déconnecté du monde réel s'abîme dans la rédaction d'un Capital dont on sait qu'il ne le finira jamais, de plus en plus détaché de son entourage, qui se doute bien de l'impossibilité de combattre le système que Marx consacrera une vie à dénoncer.
Mais ce sont d'autres personnages qui portent en eux le cour - battant - du récit : Charlotte, immigrée irlandaise, malmenée par une société qui ne s'intéresse à elle que pour son corps, qui devient par un concours de circonstances la mère adoptive d'un enfant que lui confie Engels. Le lecteur le comprend assez vite : le petit garçon est l'enfant illégitime de Marx, dont nul ne doit apprendre l'identité véritable. A partir de là se déroule le récit de sa jeunesse, alors que ses tuteurs, parents cachés et autres superviseurs se déchirent autour de leurs idéaux contradictoires.
Certains portraits sont plus réussis que d'autres : là où on n'a aucun mal à se représenter Engels et ses tiraillements, à la fois attaché à un certain train de vie, convaincu de la nécessité de pousser ses ouvrières à se révolter, sincèrement engagé pour leur bien-être, et démuni face à un combat qui le dépasse, il est vrai qu'on peine à s'attacher à la figure d'un Marx moins haut en couleurs que celui de l'excellent film Le jeune Karl Marx de Raoul Peck. Les personnages féminins sont quant à eux tout à fait réussis, résilients, impressionnants de force et de conviction, et le jeune Freddy recueilli par Charlotte, s'il n'est pas la figure à la personnalité la plus affirmée du lot, reste un protagoniste que l'on se plaît à suivre.
C'est enfin l'atmosphère générale du roman qui convainc, ce Londres sale et bruyant retranscrit à merveille, où le coton importé d'Amérique fait tourner une industrie qui démolit autant qu'elle fait survivre ses travailleurs, et où les tensions s'accumulent, notamment du côté des Irlandais dont la rancœur et les velléités indépendantistes ne font que s'accroître au fur et à mesure que l'intrigue fait défiler les années. On se passionne pour ces destins brisés, ces frustrations ravalées, ces personnages qui paraissent condamnés à la pauvreté et au silence, et on se prend à espérer avec eux des lendemains meilleurs, tout en se doutant de l'issue pénible vers laquelle leurs luttes finiront par les mener. L'auteur parvient formidablement bien à maintenir une forte tension, un solide dynamisme et surtout une imagerie inventive au cœur de son roman, et les pages se tournent avec une voracité certaine. Le Cœur battant du monde est donc un ouvrage réussi, peut-être finalement moins pour son idée d'imaginer le destin du bâtard de Karl Marx que pour la façon dont il brosse le panorama social et historique du Londres du milieu du XIXème siècle. On en retient une histoire dure et éprouvante, marquée à la fois par une fatalité désespérante et une combativité à toute épreuve. Jolie découverte !
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